Star énigmatique à l’imposante présence, Joaquin Phoenix a remporté dimanche l’Oscar du meilleur acteur pour sa performance d’anti-héros violent et torturé dans Joker, un des rôles troubles dans lesquels il excelle et qui ont établi sa réputation. Les critiques sur le film et son personnage central, ennemi juré de Batman – accusés de présenter un meurtrier sous un jour trop favorable – n’ont pas empêché Hollywood de distinguer l’acteur au jeu intense.
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“Je déborde de reconnaissance”, a-t-il formulé alors qu’il recevait la statuette, visiblement ému, profitant de l’occasion pour se lancer dans un plaidoyer contre l’injustice.
“Je pense beaucoup à certaines des questions alarmantes auxquelles nous faisons face collectivement. Je pense que parfois on sent, ou on nous fait sentir, que nous défendons différentes causes, mais moi, je vois une communauté de points de vue. Que l’on parle d’inégalité entre les genres ou de racisme ou de droits des personnes LGBT, des personnes indigènes ou des animaux, nous parlons de la lutte contre l’injustice”.
Et de poursuivre : “Je pense que nous sommes devenus très déconnectés de la nature, et beaucoup d’entre nous sont coupables d’une vision égocentrique du monde”. Végétalien de longue date, il a évoqué, devant la crème d’Hollywood, le sort d’une vache “inséminée artificiellement” à qui on arrache son petit “bien que ses cris d’angoisse soient évidents”.
Famille hippie
Impressionnant et inquiétant à souhait dans le rôle du “Joker” pour lequel il ne s’est pas économisé, l’acteur américain de 45 ans a dit que son premier défi avait été de perdre du poids pour mieux incarner un Joker maladif au physique anguleux.
Il s’est ensuite documenté sur les différents profils d’assassins, avant d’en identifier un puis de s’en éloigner pour “avoir de la liberté”. “Je ne voulais pas qu’un psychiatre puisse identifier de quel type de personnalité il s’agissait”, a-t-il dit au festival du film de Venise, où Joker a remporté le premier prix. L’un des éléments-clés pour interpréter le rôle ? Son rire cruel si unique. “Cela m’a pris longtemps, je ne voulais pas le fabriquer, je voulais le trouver”.
Né en 1974 à Porto Rico, Joaquin, troisième d’une fratrie de cinq, grandit dans une famille hippie, adepte de la secte des “enfants de Dieu” qui passe sa vie sur les routes d’Amérique du Nord, avant de s’établir à Los Angeles. Là, les parents font appel à un agent pour lancer la carrière artistique de leur progéniture, avec un certain succès, puisque Joaquin et son aîné de quatre ans, River, sont embauchés dans deux téléfilms en 1982 et 1984.
En 1986, Joaquin Phoenix, rebaptisé “Leaf” (feuille), joue dans le film Spacecamp, puis en 1989 dans Portrait craché d’une famille modèle de Ron Howard. Mais sa carrière reste en retrait de celle de River, star de My Own Private Idaho (Gus Van Sant, 1991) après avoir incarné le jeune Indiana Jones dans La dernière croisade (1989).
En 1993, celui-ci meurt d’une overdose. L’appel désespéré aux services de secours de Joaquin, alors âgé de seulement 19 ans, est vendu aux médias et tourne en boucle sur les radios et la télévision. Traumatisé, le jeune acteur se met en retrait des studios.
Il fait son retour en 1995, face à Nicole Kidman, dans Prête à tout de Gus Van Sant. Il brille ensuite dans des rôles de personnages sombres: en mauvais garçon dans U-Turn d’Oliver Stone et surtout en empereur romain ennemi de Russell Crowe dans Gladiator (2000), qui lui vaut sa première nomination aux Oscars.
La même année, avec The Yards, il tourne pour la première fois sous la direction de James Gray, dont il deviendra un des acteurs fétiches, enchaînant le sublime La nuit nous appartient (2007) puis Two Lovers (2008).
Fausse descente aux enfers
La consécration vient en 2005 pour l’acteur, choisi pour incarner Johnny Cash, disparu deux ans plus tôt à 71 ans. Phoenix apprend pendant six mois à jouer de la guitare et à chanter et décroche le Golden Globe du meilleur acteur et un Grammy. Seule entorse au personnage : strictement végétalien, l’acteur exige de porter des vêtements synthétiques et non pas en cuir, comme ceux de Johnny Cash.
Devenu une tête d’affiche à Hollywood, Joaquin Phoenix se lance alors dans un projet fou. Il annonce arrêter le cinéma pour faire carrière dans le hip-hop.
Pendant deux ans, les médias décrivent sa descente aux enfers, entre concerts catastrophiques, excès en tous genres et interviews chaotiques. Silhouette empâtée et barbe longue, il se montre bredouillant, hagard, lors d’une émission télévisée américaine. Il reprendra cette apparence pour You Were Never Really Here, thriller psychologique où il incarne un vétéran de l’Irak traumatisé et mutique.
Tout n’est qu’artifice. Joaquin Phoenix est en train de tourner dans le plus grand secret un faux documentaire (I’m still here, 2010), sous la direction de son beau-frère à l’époque, Casey Affleck, et pousse la performance jusqu’à incarner son personnage hors plateau.
Konbini avec AFP