50 anciens journalistes d’iTélé s’associent pour lancer un média indépendant

50 anciens journalistes d’iTélé s’associent pour lancer un média indépendant

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(Capture d’écran Facebook / Explicite)

Cinquante anciens journalistes d’iTélé, partis de la chaîne d’info à l’issue d’un conflit avec Vincent Bolloré, ont décidé de lancer Explicite, un nouveau média novateur, entre indépendance, intégration du citoyen et formats originaux. 

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On n’était pas faits pour regarder Silence, ça pousse ! en replay.” Seulement deux mois après la grève historique qui a frappé la rédaction d’iTélé et poussé au départ quelque 70 journalistes, une partie d’entre eux a décidé de rebondir. Sous l’impulsion d’Olivier Ravanello, qui gérait les sujets géopolitiques sur la chaîne de Vincent Bolloré, il sont aujourd’hui 58 à s’engager bénévolement dans ce qu’ils se plaisent à décrire comme une aventure. Olivier Ravanello a énuméré en détails les ambitions d’Explicite lors de la conférence de presse de lancement de ce nouveau média : exploiter à fond la “liberté de flux, de temps et de format” des réseaux sociaux, avec des angles originaux pour proposer des contenus qui aident les gens à comprendre le monde”. De nombreux formats cohabiteront sur cette nouvelle plateforme :

  • Des reportages vidéo, courts ou longs, sur des sujets sélectionnés selon la ligne éditoriale et éthique des équipes.
  • Des directs interactifs menés par des spécialistes pour déchiffrer avec pédagogie une information complexe, format qui permettra aux spectateurs d’avoir une prise directe sur les sujets et d’éviter la frustration ressentie par beaucoup lors du simple visionnage d’une émission.
  • Des sessions de questions-réponses avec des journalistes en reportage à l’international, à la fin de leur journée de travail, pour se faire une idée claire de la situation et des enjeux locaux.
  • Enfin, ce qu’ils annoncent comme une petite révolution : la capacité de jongler à volonté entre plusieurs directs de reporters présents à plusieurs endroits d’un même événement, avec autant d’angles et de perspectives différentes.

Au-delà de la dimension pédagogique, l’une des ambitions affichées par Explicite est de créer un lien entre la population et ses représentants politiques, loin de la petite phrase politicienne ou des débats stériles qui dégoûtent et éloignent peu à peu le citoyen lambda du débat public : “À force d’être sur les petits buzz du jour on oublie la vraie politique”, tranche Olivier Ravanello. Concrètement, cela veut par exemple dire inviter un candidat à l’élection présidentielle et analyser en profondeur l’une de ses mesures fortes pendant une heure, un format bien éloigné de la rapidité imposée par les 140 signes de Twitter ou par le temps de parole réduit lors des débats des primaires.

Explicite compte également organiser des débats citoyens diffusés sur son site pour aller à la rencontre des électeurs et les intégrer dans le processus démocratique, à l’heure où le fourmillement d’outils de communication nouveaux se traduit trop peu souvent par des initiatives citoyennes de grande ampleur. Une manière de percer la bulle dans laquelle de nombreux médias sont accusés de s’être enfermés, au point de ne pas voir venir certains événements majeurs comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump. 

“Chaîne d’information à la demande”

Le tout sera disponible sur le site d’Explicite, à la manière d’une “chaîne d’information à la demande”, où l’internaute n’aura pas à attendre dix minutes avant de rencontrer le contenu qui l’intéresse. L’ambition : “Changer le mode de consommation de l’information sur les réseaux.” Ni plus ni moins.

Pendant la conférence (diffusée en direct sur Facebook, Twitter et Periscope), Olivier Ravanello a toutefois tenu à couper court aux accusations de mégalomanie : “On ne veut pas réinventer le métier, on n’est pas des génies.” L’humilité, évoquée à de multiples reprises, paraît être l’un des mots d’ordre de cette nouvelle rédaction. L’indépendance, aussi, surtout. Après des années passées sous la coupe d’un Vincent Bolloré à l’ingérence affirmée et aux accents d’autoritarisme, cet idéal journalistique est sur toutes les lèvres. Un idéal présent dès la genèse du projet : à la fin de la grève, une cinquantaine de journalistes ayant activé leur clause de conscience pour quitter la chaîne se retrouvent dans un bar, et le déclic se fait : “on s’est rendu compte qu’il y avait tout pour monter une rédaction”, que la vitalité d’un média réside dans ses journalistes et dans leur capacité à faire corps.

La structure d’Explicite semble s’appliquer à la perfection à cette idée d’un journalisme libre : la plateforme est une association, d’où son appendice “Journalistes associés“. Si les grandes figures de la chaîne comme Olivier Le Foll, Florent Peiffer ou Sonia Chironi donnent un certain élan médiatique à ce lancement, l’accent est mis sur la force tirée de la somme d’individualités dynamiques. En introduction à la conférence, les petits portraits vidéo des 50 membres de la rédaction s’enchaînent sur l’écran de présentation : “Bonjour à tous, je suis journaliste, et j’ai décidé de m’associer.” Une association indépendante faite d’individualités et qui repose sur le travail de journalistes bénévoles. Pour l’instant.

Appel aux “bonne fées”

Car le modèle économique de ce nouveau média est loin d’être fixé : “Personne n’a trouvé la formule magique” pour concilier ouverture sur les réseaux et juste rémunération des journalistes grâce aux abonnements. Ce qui pousse aujourd’hui les fondateurs d’Explicite à faire appel aux dons de “bonnes fées” pour les aider à poursuivre “l’aventure”. Une campagne de crowdfunding est d’ailleurs en cours pour lever des fonds.

Quoi qu’il en soit, les coûts de production des contenus s’en tiendront au strict minimum : billets d’avions, de trains, hôtels et matériel d’enregistrement. Des coûts qui devraient rester bas grâce aux nouvelles technologies permettant d’enregistrer des contenus de qualité à moindre coût. De fait, Explicite tente de se libérer du poids financier que représente le capital fixe des chaînes de télé (caméras sophistiquées, studios, etc.) en se concentrant sur la véritable plus-value d’une rédaction : un journalisme de qualité. Une infrastructure très légère qui devrait séduire les investisseurs potentiels.

Mais l’association ne souhaite pas réitérer la mauvaise expérience de l’actionnaire tout-puissant (coucou Vincent Bolloré) : les investisseurs éventuels seront tenus de signer une charte de confiance rédigée par et pour les journalistes de la rédaction afin de leur assurer une liberté éditoriale totale. Une volonté d’indépendance qui, si elle n’est pas neuve (Mediapart, Les Jours, Le Monde diplomatique) devrait séduire des citoyens de plus en plus suspicieux des “merdias et journalopes acquis aux puissances de l’argent”. Le charme opère déjà : alors que les premiers contenus ne seront publiés que vendredi 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump, le compte twitter @ExpliciteJA compte déjà pas moins de 15 000 abonnés. Quelques heures seulement après son ouverture.