Le documentariste britannique Adam Curtis, connu pour son brûlant Bitter Lake, monte des archives de la BBC et dissèque l’expression médiatique contemporaine.
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Le fond et la forme. Chez le documentariste Adam Curtis, la relation entre les deux est symbiotique, charnelle, absolument indissociable. Après son documentaire halluciné sur la “guerre de la terreur” américaine, le Britannique présente HyperNormalisation, un documentaire au format titanesque – 165 minutes – qui s’attaque à démonter la conception de la réalité médiatique en assemblant des séquences défectueuses qu’on croirait sélectionnées par une pince mécanique sur une chaîne de montage, toutes en provenance des archives de la BBC.
Le projet : nous raconter le monde moderne tel que vu par le judas médiatique, en exposer les failles et les mensonges, nous convaincre que l’oligarchie politique et technologique aux commandes de la planète a substitué à la réalité crue un décorum confortable composé pêle-mêle de réseaux sociaux, de terrorisme et de fausse démocratie. Hashtag #cavernedePlaton.
Si le propos d’HyperNormalisation – l’establishment politico-médiatique aliène la population en imposant une diversion à la réalité du monde – n’est pas foncièrement nouveau, et si on peut s’interroger sur le paradoxe de diffuser un documentaire de critique médiatique sur un média aussi mainstream que la BBC ou Vice, le style effréné du documentariste fait tout le sel de l’expérience visuelle.
En assemblant des séquences achroniques, qui nous téléportent du 11-Septembre à Donald Trump, qui superposent Poutine et Jane Fonda, Adam Curtis peut donner l’impression de troller son spectateur. De fait, il le responsabilise, et sait exactement ce qu’il fait. Démerdons-nous avec ses rushs, puisque nous contrôlons la vitesse de lecture : comme Bitter Lake, le film sera uniquement diffusé en ligne, sur le lecteur de la BBC.
Pour une fois, la réflexion n’est pas prémâchée
À l’heure du streaming, le format colossal d’HyperNormalisation et sa structure labyrinthique peuvent décourager le plus motivé des spectateurs. Qu’importe : le film doit être pris comme une série de vidéos YouTube ou, comme l’écrit le Guardian, comme “un type en plein marathon Wikipédia avec deux douzaines d’onglets ouverts sur son navigateur”.
Un zapping à la fois dogmatique et critique, qui file la télécommande au spectateur et l’encourage à choisir son programme, à trier le grain de l’ivraie dans le stock réuni par Curtis. Une approche ludique bien pensée, surtout pour un docu qui prétend nous délivrer de la manipulation en nous éduquant à la pensée critique. Pour une fois, au moins, la réflexion n’est pas prémâchée. Ne reste plus qu’à s’immerger dans les 2 heures 40 de rushs, maintenant. Qui a dit que la liberté de penser s’obtenait sans souffrance ?