L’association Droits des lycéens réclamait depuis des mois que l’Éducation nationale partage l’algorithme des admissions post-bac. C’est chose faite. Sur papier.
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Qui a dit que le gouvernement ne savait pas troller ? Lundi 17 octobre, l’avocat de l’association Droits des lycéens a reçu un volumineux courrier siglé de l’Éducation nationale. À l’intérieur, vingt pages imprimées parsemées de caractères au premier abord illisibles. Pourtant, cela faisait six mois que l’association attendait de recevoir ces informations du ministère : sur ces pages, il y a le code source de l’algorithme d’admission post-bac (APB), le logiciel qui gère l’affectation des lycéens aux filières d’enseignement supérieur (universités, écoles, prépas, etc.). Après les demandes répétées de l’association, l’équipe de développeurs de l’INP Toulouse a donc transmis le code au ministère. Qui, visiblement, a décidé de ne pas la jouer fair-play.
Les documents envoyés (400 lignes de code en PDF, vous ne verrez pas ça tous les jours), ne couvrent qu’une partie du code source, celle qui concerne l’affectation des lycéens aux filières “à capacité limitée”, explique Rue89. Bonne nouvelle : c’est ce que réclamait l’association à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), et c’est la première fois que ce code est accessible publiquement. Mauvaise nouvelle : il reste maintenant à le déchiffrer.
Pour ce faire, Droits des lycéens a lancé un appel aux informaticiens et a numérisé le code sur la plateforme collaborative GitHub. Mais la partie s’annonce ardue, car le ministère a semble-t-il “omis” de fournir deux éléments indispensables à la compréhension de l’algorithme, écrit en PL/SQL : la structure de la base de données et le sens des différentes formules et sigles utilisés dans le code. Il manque la Pierre de Rosette, ce qui rend le code “quasiment inexploitable”, comme le résume un administrateur système interrogé par Rue89. Pour le blogueur du Monde Guillaume Ouattara, qui s’est livré à une autopsie minutieuse du courrier, le verdict est sans appel : le code APB est “incomplet”.
Jeu de piste
Pourtant, en l’espace d’à peine trois jours, la mobilisation des internautes a permis de progresser, petit à petit, en déchiffrant un par un les caractères à coups de déductions logiques. Un glossaire commence à émerger, grâce auquel l’association pourra peut-être bientôt commencer à comprendre le fonctionnement d’APB. Ce qui intéresse tant Droits des lycéens, c’est de savoir si l’algorithme est en conformité légale avec le code de l’éducation, notamment pour l’attribution des filières dites “sous tension”, où il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Car dans ce cas, c’est le logiciel APB qui évalue seul les candidatures et les trie selon un certain nombre de critères, pour le moment inconnus.
Droits des lycéens soupçonne que certains critères, comme la commune de domicile du candidat, relèvent de la sélection illégale. D’autant que, selon l’aveu même du ministère, “il n’existe pas de véritable réglementation” mais “des notes éparses”. Rassurant. Étant donné que ces critères conditionnent l’avenir scolaire de milliers de lycéens chaque année, leur publication semble essentielle. Et le ministère de l’Éducation nationale déploie néanmoins une mauvaise volonté admirable pour lever le rideau d’opacité qui les entoure.
En juin dernier, à la demande de l’association, le ministère s’était déjà résigné à publier une note explicative pour détailler le fonctionnement de son logiciel. Un document partiel et abscons qui, selon l’association, ne résolvait aucunement le problème de transparence posé par l’algorithme. Aujourd’hui, la publication de ce code à moitié illisible, “ignoble” et apparemment constellé de fautes d’orthographe — pour l’Éducation nationale, quelle ironie — est, au choix, la preuve d’une hallucinante méconnaissance des usages informatiques, ou celle d’une volonté délibérée d’emmerder le monde.
“Un progrès considérable”, vraiment ?
Pendant que l’association rit jaune et que les informaticiens hésitent quant à la meilleure manière de se suicider, Axelle Lemaire, Secrétaire d’État dédiée au numérique et à l’innovation, se félicite du “progrès considérable” que représente cette publication et encourage les internautes à voir le (hashtag) #verreàmoitiéplein. Pour filer la métaphore, on rétorquera que la quantité dans le verre importe peu lorsque le liquide servi est imbuvable. Et on s’interrogera : est-ce du trolling ? Est-elle sincère ? Lorsqu’elle présentait le numérique comme “un facteur de démocratisation et de transparence“, ou lorsqu’elle appelait de ses vœux la généralisation de l’open data administratif, imaginait-elle la transmission d’informations parcellaires et illisibles ?
Contacté par Rue89, le ministère préfère jouer sur les mots, et arguer que le code source transmis est complet, “dans le sens où il s’agit bien du code source mis en œuvre dans le cas particulier de l’élaboration des propositions d’affectation pour les filières non sélectives”, plutôt que de faire un nécessaire mea culpa et d’envoyer de quoi déchiffrer le contenu (par email, ce serait super). Dans tous les cas, Droits des lycéens va finir par obtenir ce qu’elle souhaite.
L’article 2 de la Loi Numérique, publiée le 8 octobre dernier au Journal Officiel, prévoit que “lorsqu’une décision individuelle fait intervenir un traitement algorithmique, les règles définissant ce traitement, ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre, sont communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande”. Sur le site de la loi, l’APB est explicitement cité en exemple par le gouvernement. La prochaine demande de Droits des lycéens devrait donc être la bonne, mais pas avant 2017. Reste à espérer que le décryptage manuel du code soit plus rapide, ou que l’Éducation nationale se décide à faire preuve de maturité.