Avec ses prothèses bioniques, elle aspire à une “ingénierie plus humaine”

Publié le par Pierre Bazin,

Mathilde Legrand nous livre sa vision des sciences techniques tournées vers l'aide à autrui.

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“Ah génial ! Tu vas faire le bras de Luke Skywalker !” Cette phrase, Mathilde Legrand l’a entendue à maintes reprises. La jeune Annécienne de 28 ans a beau expliquer les réalités complexes de la prothèse de bras active, elle ne peut pas empêcher ses interlocuteurs d’avoir des (guerres des) “étoiles dans les yeux”.

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Après un parcours assez classique en études d’ingénieur, c’est son master en biomécanique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) qui la met sur cette voie académique et professionnelle. Enchaînant avec une thèse à l’Institut des Systèmes Intelligents et de Robotiques (ISIR), la doctorante s’investit à 100 % sur les prothèses actives de réhabilitation pour le bras.

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N’ayant pas besoin elle-même de prothèse, c’est bien son envie de se rendre utile à autrui qui la pousse sur ce sujet : “Je souhaitais une approche plus humaine de l’ingénierie, lui donner un sens. Je ne voulais pas rester dans un domaine purement technique”, nous explique-t-elle.

La prothèse : beaucoup a été fait, tout reste à faire

“Les prothèses existent depuis les années 1950, nous rappelle Mathilde Legrand. Mais il y a encore beaucoup de méconnaissances à leur sujet.” L’erreur la plus commune est par exemple de penser qu’on contrôle le membre bionique avec la pensée alors qu’en réalité, ce sont les contractions musculaires qui font bouger la plupart des prothèses actives.

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Pouvant pourtant donner une alternative unique aux personnes souffrant d’atrophie à la naissance ou ayant subi une amputation, les prothèses se font encore rares. L’ingénieure nous explique ce qu’il reste à faire :

“En termes de fonctionnalités, les prothèses sont plutôt ‘prêtes’. Elles fonctionnent, il y a évidemment encore quelques problèmes de coût, de poids pour certaines, mais elles sont efficientes en l’état. Le vrai enjeu aujourd’hui, c’est le contrôle.

Manier un membre disparu à l’aide de contractions musculaires demande un long temps d’apprentissage et une certaine gymnastique mentale. Cela reste aussi très fatigant. Il y a des études qui montrent malheureusement que, du fait de ces difficultés, de nombreuses personnes renoncent à l’utilisation de ces prothèses actives.”

Coûtant entre 10 000 et 20 000 euros (somme entièrement prise en charge par la Sécu en France) et demandant un effort important, la prothèse active n’est pas encore le fantasme de science-fiction que le grand public peut s’imaginer. Tout régler avec des prothèses n’est pas encore d’actualité.

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<em>Ne serait-ce que pour le “retour sensoriel”, les prothèses de la science-fiction sont encore un rêve lointain.</em> (© Star Wars/Disney)

Mathilde Legrand travaille sur de nouvelles méthodes pour faciliter le contrôle et l’apprentissage. Avec une approche révolutionnaire centrée sur une meilleure écoute du corps et surtout de tous les signaux qu’il est capable de transmettre – y compris avec un membre manquant.

Pour autant, même avec un objectif de réhabilitation, la prothèse frôle déjà la sulfureuse question du transhumanisme. “On essaye les électrodes pour le contrôle et cela soulève déjà des interrogations éthiques” quant à l’augmentation des capacités humaines. Mathilde Legrand assure tout de même qu’il reste une certaine marge : “On n’a pas encore entendu que quelqu’un s’était greffé un troisième bras bionique !”, plaisante-t-elle.

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“Je commence à entrapercevoir les difficultés quand on fonde une famille”

Il y a quelques semaines, Mathilde Legrand recevait le Prix Jeunes talents pour les Femmes et la Science de la fondation L’Oréal-Unesco. Accompagné d’une dotation de 15 000 euros, ce prix récompense ses apports essentiels au domaine de la prothèse bionique. “Je ne m’y attendais pas pour être honnête, c’était une vraie surprise”, confie-t-elle.

Interrogée sur sa condition de femme dans un milieu sensiblement très masculin, Legrand admet avoir été mitigée sur la valeur de ce prix : “Je ne voulais pas être récompensée pour être simplement une femme, je ne suis pas une grande fan des quotas ou autres. […] Néanmoins, un prix, c’est un peu différent, même si c’est destiné aux femmes, cela récompense quand même un travail précis qui a été soumis à un jury, cela reste gratifiant.”

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Le plafond de verre, Mathilde commence seulement maintenant à le ressentir. Bien que sa formation en école d’ingénieurs l’ait plongé tôt dans un univers très masculin, elle n’a pas ressenti cette forme “d”auto-censure ou de manque de légitimité” qui empêche de nombreuses femmes de se lancer dans ces disciplines techniques autrefois réservées aux hommes. “J’ai deux parents scientifiques, la reproduction sociale m’a plutôt aidée de ce côté-là.”

C’est surtout son tout récent congé maternité qui lui fait entrapercevoir les difficultés pour concilier travaux académiques, recherches et vie de famille. Interrogée sur l’éventuel allongement du congé paternité (actuellement discuté par les législateurs), Legrand estime que “cela pourrait équilibrer un peu”.

L’avenir, Mathilde Legrand l’envisage tout de même de manière très pro-active. Beaucoup reste à faire sur les prothèses de réhabilitation, le domaine et les innovations de contrôle fleurissent aujourd’hui. 

“Mes recherches académiques étaient nécessaires pour lancer ma carrière mais je suis un peu rebutée à l’idée de passer mes journées à faire des demandes de subventions et des rédactions de projets […]. Je préférais FAIRE ces projets.”

Financement en poche, Mathilde Legrand souhaite désormais se tourner vers la recherche industrielle. Prêter main-forte à la réelle conception des prothèses et surtout rendre leur contrôle accessible au plus grand nombre : “l’ingénierie humaine” à laquelle elle aspire doit être concrète.