Daniel Riolo : “On sera toujours cons et notre football sera toujours autant à la ramasse”

Publié le par Lucie Bacon,

"Le mal de notre foot, ce n'est pas le manque de moyens, c'est le manque de culture."

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“Tant mieux, je voulais que ça soit un feu d’artifice !” C’est ce que nous répond Daniel Riolo quand, après l’entretien, on lui glisse que son nouveau bouquin, Cher football français, part quand même un peu dans tous les sens… Car personne n’est épargné dans ce “pamphlet” quasi autobiographique qui vient tout juste de sortir. On en a parlé avec son auteur, sans cesse blasé par ce milieu, mais pourtant jamais écœuré. Un peu comme nous tous, finalement.


Konbini Sports | Tu as passé un bel été, Daniel ?
Daniel Riolo | Oui, je suis parti en juillet, j’ai passé un très bel été. D’habitude, je pars plus longtemps, mais la situation étant ce qu’elle est, ça a été plus dur. Pourquoi tu veux savoir ça ? Tu veux savoir où je suis allé ?
Le livre, tu l’as écrit cet été ? Car tu es très énervé dedans, donc j’avais peur que tu aies passé un sale été…
Non, pas cet été ! Je vais te raconter l’histoire de ce livre : en septembre dernier, j’ai acheté (Très) cher cinéma français d’Éric Neuhoff, un critique de cinéma que j’aime beaucoup. J’adore son style, il est toujours incisif, mais avec élégance et classe, ce qui n’est pas tellement mon cas… Donc j’achète le bouquin, et là Praud [Pascal, ndlr] me téléphone et me fait : “Ami ! Il appelle tout le monde ‘ami’. Tu as acheté le bouquin de Neuhoff ? Il faut absolument que tu fasses la même chose avec le foot français, c’est totalement toi.” 
Je lui dis que je n’ai plus tellement envie d’écrire de bouquin. En plus, j’ai reculé mon classement au tennis et j’avais envie de m’y remettre à fond car il était hors de question que je perde un classement. Quand on sait le temps que ça prend d’écrire, je n’avais pas trop envie, mais la passion étant plus forte que la raison chez moi quand il faut parler de foot, je me suis dit que c’était quand même un beau projet.
L’idée, au départ, ce n’est pas que le livre soit aussi gros et qu’il parle d’autant de choses. Je voulais vraiment faire un truc comme lui, de 150 pages, assez ramassé. Je voulais uniquement tailler, faire un pamphlet, dire “t’es d’accord avec moi tant mieux ; t’es pas d’accord, va te faire foutre”.
Au final, j’ai ajouté beaucoup de choses. Quand j’ai démarré, l’hiver dernier, je me suis dit que j’allais m’en servir pour raconter plein d’anecdotes personnelles, pour faire un voyage sur 20 ans de tout ce que j’ai vu dans le foot. J’ai beaucoup écrit en janvier et février. Après, il y a eu le confinement et je pensais qu’à la maison, j’allais finir le livre. En fait, pas du tout.
Tu as quand même écrit toute l’intro…
Après.
Ce n’est donc pas la gestion de la crise par les instances du foot en France ton point de départ ?
Non, le confinement m’a fait peur. La situation était tellement critique que je me suis demandé si c’était bien le moment d’entrer dans la gueule du foot français comme ça. J’ai voulu me retenir, tout le monde était dans la merde, souffrait. J’avais un problème existentiel par rapport à ça. Pendant le confinement, j’étais spectateur de ce qu’il se passait. En plus, je faisais l’émission de la maison, avec les enfants… Si j’ai écrit cinq pages, c’est déjà bien.

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“Le mal de notre foot, ce n’est pas le manque de moyens, c’est le manque de culture”

Sauf que, dès début mai, il y a eu la décision d’arrêter la Ligue 1. Ça m’a rendu tellement dingue, une telle connerie… Je me suis dit : “Si on est les seuls à arrêter, c’est qu’on est aussi cons que je le pense, et si tous les autres arrêtent, c’est peut-être que, pour une fois, la France aura fait un truc avant les autres et aura montré la voie.” En fait, il n’y a pas eu de dérogation. On est cons, on reste cons, on sera toujours cons et notre football sera toujours autant à la ramasse.
Tout ce qui s’est passé pendant le confinement, c’est le point de départ du livre, mais je l’ai écrit au mois de mai. C’est comme s’ils [dans les instances françaises, ndlr] s’étaient dit : “Génial, on va faire une passe décisive à Riolo. Il est tout le temps en train de nous tailler ce con, mais on va lui donner raison, tiens. On va faire le truc le plus con de la Terre, et on va être les seuls à le faire !”
Pourquoi ils ont arrêté la Ligue 1 selon toi ? Tu parles de plusieurs choses dans le livre : Macron, l’exemple d’un monde où il y a de l’argent…
Ils ont arrêté à cause du problème majeur du sport en France : le manque de culture. Notre football de club marche mal depuis des années, et à chaque fois, on prend l’excuse de l’argent. L’argent, c’est mal, que tu en aies ou que tu n’en aies pas en France. Tu n’en as pas, c’est une excuse ; tu en as, c’est mal vu. Le mal de notre foot, ce n’est pas le manque de moyens, c’est le manque de culture.
Ce n’est pas possible que, chaque année, il y ait des petites équipes avec peu de moyens qui fassent de belles aventures en Europe et que ça ne tombe jamais sur nous. Un coup c’est l’Ajax, un coup l’Atalanta, un coup un club portugais. Nous, c’est une fois tous les 10 ans.
S’ils ont arrêté, c’est parce que le sport a toujours été déprécié chez nous. On a tout le temps mis des barrières entre la tête et les jambes, on a toujours considéré que si tu as des jambes, tu n’as pas de tête et que, en gros, le sport, c’est pour les abrutis. Quand on organise la rencontre entre Michel Platini et Marguerite Duras, le monde intellectuel français se demande ce que c’est que cette merde ! “Comment on ose faire un truc pareil ?”
Dans les autres pays, les milieux sont mélangés : le monde de la musique et le monde du foot en Angleterre, le monde de la littérature et le monde du foot en Argentine, la même chose en Italie… En Espagne, c’est carrément un élément de la culture populaire. On n’a pas honte de dire que, pour les gens, c’est quelque chose d’important d’aimer son club, d’aimer son stade. Ça crée une transmission entre les parents et les enfants. Il n’y a pas de honte à aimer le foot, on peut très bien prendre un bouquin le soir à la maison et aller au stade l’après-midi.
C’est facile de dire aujourd’hui qu’on a été cons de tout arrêter en France. Au printemps, cette décision ne paraissait pas absurde vu le contexte.
Nous, on a été à l’antenne tous les soirs, et je disais que si on prenait cette décision, on était les rois des cons. C’était un gros risque que je prenais, j’ai l’habitude de me faire insulter, mais alors les semaines, à ce moment-là, elles ont été dures car je me faisais insulter par tout le monde. On disait que j’étais un assassin qui se foutait de la santé des gens. Certains soirs, ça a été compliqué avec Jérôme [Rothen] et Pierre [Ducrocq], qui sont des anciens joueurs et qui trouvaient que c’était normal. Je leur disais “attention, la dictature de l’émotion, c’est un vrai problème, essayez de réfléchir deux secondes”.

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“Ce n’est pas forcément la Ligue 1 qui m’a manqué, car c’est chiant à mourir, mais c’est la coupe d’Europe”

Je ne dis pas qu’il ne faut pas arrêter, mais prenez au moins un mois de réflexion. Je regardais ce qui se passait en Angleterre, où les gens n’avaient pas peur de dire que le foot était important dans leur société. En France, personne n’osait le dire. Quand la ministre disait que le foot est un sujet mineur, les autres disaient le contraire, que c’était important pour les gens. L’Italie, qui a été un pays plus durement touché que la France, a failli faire la même chose. Mais des responsables ont dit qu’on était en train de parler d’un élément important de notre culture populaire, et qu’il fallait y réfléchir.
Ça t’a manqué le foot pendant cette période ?
Ce qui m’a manqué, c’est la vie en général, et dans ma vie en général, il y a le foot. Ce n’est pas forcément la Ligue 1 qui m’a manqué, car c’est chiant à mourir, mais la coupe d’Europe. En plus, c’est les moments où tu as la Champions League, donc normalement, c’est la meilleure période de la saison de foot en mars/avril. Heureusement que l’UEFA a réfléchi et nous a offert un mois d’août très intéressant entre la Ligue Europa et la Ligue des champions. Même dans une formule bizarre et sans public, on a vu des super matches.
Des gens réclamaient le retour de ce format pour les prochaines saisons. Tu en penses quoi ?
C’est complètement absurde, ça n’a aucun sens. Les gens qui disent ça sont des gens à qui on a enlevé la mémoire récente. Ils ne se souviennent pas ne serait-ce que de ce qu’a donné la Ligue des champions la saison 2018-2019 avec les matches aller-retour. On a vu des trucs extraordinaires. La nouvelle cata du PSG contre Manchester United par exemple. Les matches aller-retour, c’est magnifique, c’est l’essence de la coupe d’Europe. C’est très bien que ça ait marché, mais redonnez-moi l’histoire de la Coupe d’Europe étalée sur une saison.  
Revenons-en à ton livre : j’ai bien compris pourquoi tu l’avais appelé Cher football français, mais c’est plus La Vie de Daniel Riolo et le Football, en fait. C’est presque autobiographique…
Un peu ! Je raconte plein de trucs personnels, effectivement. L’erreur serait de penser que c’est ce que je dis dans l’After reproduit dans un bouquin. Il y a quand même beaucoup de choses que je dis dans l’After qu’on retrouve dans le bouquin, mais c’est enrobé de plein d’histoires personnelles.
Tu parles de tout ce qui va mal dans le foot français. Tu ne veux pas parler de ce qui est bien dans le foot français ?
Comme quoi ?
La formation…
J’en parle !
Oui, mais pour dire qu’ils font de la m**** ?
Pas pour dire qu’ils font de la m****, mais pour expliquer comment ça marche. On a quand même une matière première très importante, car on est un pays très peuplé avec beaucoup de jeunes qui font du foot. On va faire une analogie avec la pub Tropicana, où le mec allait dans un champ avec plein d’orangers et sélectionnait les oranges. Nous, on a le champ, mais le jus dans les bouteilles est fait ailleurs. La substance du joueur, c’est pas nous qui la fabriquons. Le haut niveau, l’exigence, le travail, c’est ailleurs. Le dernier exemple, c’est Upamecano. C’est une formation française, Upamenaco ? [Il a quitté Valenciennes à 16 ans, ndlr.] Griezmann, Pogba… Même Varane ! Il fait combien de matches de Ligue 1 ?

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“Le seul contre-exemple, c’est Benzema”

Mais il est formé en France !
Non, il est formé au Real Madrid. Il apprend le foot en France, mais le haut niveau, l’exigence et le travail, ce qui fait un footballeur de très haut niveau, c’est au Real, où il est d’abord dans l’ombre de Sergio Ramos et Pepe, et où après il devient titulaire. Et où Mourinho lui apprend également beaucoup de choses.
Le seul contre-exemple, c’est Benzema. C’est le seul mec qui a une vraie carrière en Ligue 1, qui est bon en Ligue 1, qui fait des bons matches en Ligue des Champions avec un club français, Lyon, et qui part au Real. Ça ne suffit pas pour être bon tout de suite, mais il prend son temps, il progresse et il devient super fort. C’est-à-dire encore plus fort qu’il ne l’était à Lyon. Il est dans une progression qui répond aux attentes de ceux qui disaient que ça allait devenir un super joueur. À l’inverse, par exemple, de Ben Arfa. À Lyon, tout le monde faisait des câlins à Ben Arfa et lui disait que c’était lui la star de demain, pas Benzema.
C’est donc plus une histoire de mentalité que de formation.
C’est pour ça que je raconte aussi cette histoire dans le livre : pendant que tout le monde dit que c’est Ben Arfa le meilleur, il y a un gars qui fait passer une sorte de test psychologique aux deux et il dit que c’est Benzema le plus fort. Et personne ne l’écoute. Tout ce qui touche à la tête en France, ça fait peur. Le monde du sport ne veut pas qu’on touche à la tête, c’est pour ça qu’on a une tonne d’entraîneurs qui disent dans le vestiaire “on va montrer qu’on a des couilles”. Quand ça touche à la tête, à l’intellect, au mental, ça fait peur.
Qu’est-ce que tu réponds à ceux qui pensent que certains joueurs qui quittent la Ligue 1 pour aller à l’étranger ne font pas une nette progression dans leur carrière, comme certains ont pu le dire de Lacazette quand il est parti à Arsenal ?
C’est la vision qu’on a en France à toujours se croire beaux et à croire depuis 15 ans que c’est moi qui exagère. Les Lyonnais sont en masturbation absolue sur leur formation. C’est probablement le club qui a fait le plus de bons joueurs, et j’ai cité Benzema. Mais les autres semblent oublier qu’on a un championnat qui est nul, donc quand le mec part d’ici, il va dans quelque chose de plus fort. Arsenal a beau être un club qui n’est pas bon sur les dernières années, ça reste néanmoins très supérieur à Lyon.
Lacazette aurait quand même pu jouer une demi-finale de Ligue des Champions cet été…
Il aurait pu, avec Lyon, mais c’est hypothétique. L’OL y est allé en 2010 et 2020, donc s’il doit attendre dix ans, il n’est pas sûr d’y aller. On fait la promotion de l’étranger plutôt que de se développer, de densifier notre championnat, d’y mettre de l’exigence…
Notre système, on ne peut pas revenir dessus. Les mecs sont là pour être vendus et ils le savent, donc le joueur bosse individuellement, il ne s’inscrit pas dans un projet collectif. Il pense à sa carrière, il soigne ses statistiques. Ce n’est pas le cas pour Lacazette, qui a donné à Lyon, comme Fekir, Tolisso et Umtiti, qui ont apporté au club avant de se barrer. Mais quand ils partent, ils se rendent compte qu’il y a un gap. Il y a une concurrence, une exigence plus importante et pas de garantie de réussite.
Tu parles dans ton livre du modèle espagnol en citant Thibaud Leplat, qui explique que les clubs de Liga avaient réussi à rebondir après la crise économique en repartant de peu. Tu penses qu’on pourrait avoir le même déclic en France ?
Non, on n’a pas la culture pour. De toute façon, la façon dont sont construits économiquement nos clubs fait que tu ne vas pas changer le système. On ne va pas se mettre à avoir des réflexions sur le jeu, les présidents ne vont pas prendre des entraîneurs qui vont bien faire jouer les équipes ou réfléchir à comment améliorer l’attractivité. On ne le fera jamais car ce n’est pas notre vocation. Notre vocation, c’est de vendre des joueurs. Aujourd’hui, les clubs sont là pour faire du trading. C’est malheureux, car tu valoriserais tes joueurs et ta compétition.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire selon toi pour s’en sortir ?
Honnêtement, je ne vois pas comment on peut sortir de ce système. La seule issue selon moi, c’est la prochaine refonte de la Ligue des champions, il faudra faire en sorte que trois ou quatre clubs français y participent. Les supporters auront ça, les autres tant pis. Mais aujourd’hui, il y a plus d’éléments pour être pessimistes qu’optimistes.
À la fin du dernier entretien qu’on avait fait ensemble, tu me disais que tu aimerais être président de la Ligue pour faire bouger les choses… [Entretien réalisé avant l’élection de Vincent Labrune à la tête de la LFP, ndlr]
Non, je ne peux pas, il faut être parrainé. Qui va me parrainer, moi ? Je dis ça en déconnant, mais il faudrait qu’il y ait un président de la Ligue qui me propose un poste pour qu’après j’évolue. Ça serait pas plus mal que ceux qui y sont. Je ne suis pas prétentieux en disant que je ferais mieux qu’eux. En tout cas, je ne ferais pas pire.
Tu aimes toujours le foot malgré tout ce que tu en penses ?
Oui, c’est malheureux… On se demande pourquoi. Je suis vraiment un passionné con, moi.
Tu n’as pas envie de te couper du foot parfois, t’en as pas marre ?
Non, parce que quand arrivent les matches de Ligue des champions, c’est quand même super. Il y a toujours ça qui revient, c’est toujours chouette. Puis tu sais, moi, j’aimerais bien faire ce que fait Praud le matin [sur CNews, ndlr].
Juste sur le foot ?
Non, sur tout ! Il m’a dit récemment : “Tu n’en as pas marre du foot ?” Je lui ai dit que lui aussi, au final, il allait tourner en rond, parler d’insécurité, tout ça… Le foot, mine de rien, ça se renouvelle quand même beaucoup : tel entraîneur qui part, qui revient, telle phrase à analyser… Puis il y a quand même beaucoup de supporters, beaucoup de gens qui aiment le foot en France. Moi je suis triste avec eux, pour eux. Parfois, ils me disent que j’exagère sur le niveau, et je dis : “Mais les gars, vous, vous regardez votre équipe, vous la kiffez.”
Quand on est supporter, on est plus indulgents avec son équipe, ou on la critique, mais il y a un côté passionnel autour de ça. Mais ils ne regardent pas les autres matches. Tu crois qu’un supporter de l’OM il va regarder un Saint-Étienne- Bordeaux ? Il n’en a rien à foutre, il va se balader ! Moi, je suis capable de dire que le niveau est déplorable en Ligue 1.
D’ailleurs, c’est un pamphlet assumé, ce livre, et je ne demande qu’une seule chose : que quelqu’un se mette en face de moi et me contredise point par point sur tout ce que je raconte. Je n’attends que ça. Mais je crois qu’on ne trouvera pas. Il n’y aura pas un mec ou une nana qui me dira que j’exagère et qui me dira que ce que je raconte ce n’est pas vrai.
Cher football français, éditions Hugo Sport, 14,95 euros.