“Je fais le deuil de moi-même” : hommage à Nicolas Menet, atteint d’un cancer du cerveau incurable

Publié le par Lisa Drian,

© Konbini news

Venu témoigner pour Konbini News fin octobre sur son "projet de fin de vie", Nicolas Menet est décédé le 4 février dernier, à 44 ans.

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26 septembre 2022. Je reçois dans ma boîte mail un témoignage. Un certain Nicolas Menet souhaite témoigner pour Konbini News. Dès la première ligne, je sais que ce ne sera pas un témoignage facile : “Je sais qu’il me reste entre 6 et 12 mois à vivre. Je voudrais témoigner sur Konbini sur cette situation inédite qui m’oblige à faire le deuil de moi-même.” Nicolas a alors 43 ans et est atteint d’un glioblastome, un cancer du cerveau incurable. Son témoignage pose indéniablement la question de la fin de vie en France : “Étant donné qu’il n’existe pas de loi en France, je dois sciemment attendre pour bénéficier d’une sédation profonde alors que c’est maintenant, quand je suis en plus ou moins bon état, que je veux partir.”

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“J’ai travaillé toute ma vie sur les sujets de longévité et de vieillesse et me voilà rattrapé par mon sujet”

Je travaillais à cette période sur l’euthanasie et l’aide active à mourir en France afin de réaliser un débat en studio sur le sujet, avec deux médecins : l’un pour, l’autre contre. Ce témoignage allait peut-être éclairer mes recherches. Préparée à devoir entendre un témoignage difficile, j’accepte de m’occuper du sujet. Toute mon équipe et moi-même étions touchés que Nicolas pense à nous pour son témoignage. Il m’expliquera par la suite qu’il connaissait bien notre ligne éditoriale et qu’il avait déjà vu notre reportage sur l’euthanasie en Belgique. Je contacte donc Nicolas Menet et nous convenons d’une date et d’une heure pour la pré-interview par téléphone.

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Je découvre un homme avec une belle éloquence et nous discutons ensemble près d’une heure. Il m’explique qu’il dirige la Silver Valley, un important pôle d’innovation dédié à la longévité. Comme il le dit si bien : “J’ai travaillé toute ma vie sur les sujets de longévité et de vieillesse et me voilà rattrapé par mon sujet.” Il ne vit pas à Paris et fait des allers-retours à l’hôpital. Nous nous verrons donc lorsqu’il sera de passage dans la capitale pour ses prochains rendez-vous médicaux.

24 octobre 2022. Le jour de l’interview, je découvre un homme très grand, avec une canne, qui a beaucoup de prestance et toujours le sourire aux lèvres. Il s’excuse d’avoir un peu de retard, il a désormais du mal à s’orienter dans l’espace et perd la vue peu à peu. Nous discutons un peu avant le début de l’interview et devons patienter quelques minutes avant de débuter. Il ne pensait pas que les lumières du studio étaient aussi fortes, et pour éviter tout risque de crise d’épilepsie, nous patientons dans le noir le temps qu’il s’habitue.

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“On ne sait pas s’il me reste 3 mois, 6 mois, 12 mois à vivre”

Dès le début de l’interview, je note des traits d’humour. “Mes lunettes ne sont pas sales ? Je veux garder un petit côté star !” C’est ce qui fait la force de Nicolas : malgré sa maladie, il arrive à s’amuser de la situation, à être toujours souriant et surtout, lucide. Il décrit cette maladie simplement et les tracas du quotidien qui l’accompagnent :

“Je suis atteint d’un cancer du cerveau qui est mortel dans 90 % des cas. Ça commence par des tumeurs au cerveau qui se multiplient et deviennent cancéreuses, et petit à petit, grignotent le cerveau. […] Et je me suis retrouvé à perdre petit à petit ma vision. J’ai toute ma tête parce que la tumeur n’a pas touché de zones cognitives.”

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En un an, la vie de Nicolas change du tout au tout. Il doit s’adapter. “En revanche, j’ai pas mal de troubles fonctionnels. J’ai perdu la spatialisation, l’orientation. Je ne peux plus couper des légumes, m’orienter dans une ville, je ne peux plus prendre le métro, je ne peux pas conduire.” Mais pour Nicolas, les véritables héros qui savent s’adapter sont surtout les aidants, les membres de son entourage qui l’accompagnent chaque jour.

Appréhender la mort

Peu à peu, Nicolas prend conscience qu’il lui reste peu de temps à vivre. Combien ? Il ne le sait pas exactement. Mais tout s’est fait “très naturellement”. “J’ai commencé à accepter l’idée de la mort quand j’ai commencé un processus que j’ai appelé le deuil de soi-même.” Et c’est là que tient tout le projet de Nicolas. Tout comme on peut façonner une carrière, lui prévoit son “projet de fin de vie”. Imaginer ses obsèques, par exemple, fait entièrement partie de ce deuil à la première personne. Il connaît, cependant, les risques que comporte un tel projet : “Il faut faire attention dans le deuil de soi à ne surtout pas voler le deuil des autres, parce qu’ils en ont beaucoup plus besoin que nous.” Ce projet, Nicolas a décidé de le détailler dans un livre, Le deuil de soi, qui paraîtra en mars aux éditions Le Cherche midi, à titre posthume.

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Il résume donc la vision de ses derniers mois à vivre ainsi :

“Je suis obligé de vivre dans une forme de présent, je ne peux plus maîtriser le temps. L’avenir n’a aucun intérêt, le futur n’a pas d’utilité dans mon cas. […] À un moment donné, il faut lutter contre cette pulsion de vie, qui peut nous empêcher de mourir, tellement elle est puissante. Or, il faut mourir. […] Je souhaite à un moment donné, pouvoir dire stop. […] S’adapter, c’est dire : ‘là, c’est le moment où il faut mourir, parce que c’est trop lourd, parce que c’est terminé, parce que c’est comme ça, la vie.'”

C’est peut-être la phrase de cette interview qui m’a le plus marquée, qui m’a donné les larmes aux yeux. Alors, cher Nicolas, j’espère que vous êtes fier de ce projet de fin de vie rondement mené, et que vous avez pu partir au moment souhaité, en paix.

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L’interview complète de Nicolas Menet :