Tahar Rahim, portrait d’un acteur sans limites

Publié le par Lucille Bion,

( © Ad Vitam )

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Un Prophète est le film qui lui colle à la peau. Après avoir conquis le cinéma français, puis le petit écran, Tahar Rahim se lance maintenant à la conquête des États-Unis. Rencontre avec un comédien jamais rassasié. Le cinéphile nous a raconté l’acteur qu’il est devenu.

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Sous la chaleur étouffante de la fin du mois de juin, je cours me réfugier sous la clim’ du Littré, un hôtel parisien du 6e arrondissement. Là-bas, je trouve Tahar Rahim, allongé sur le canapé, comme si nous allions entamer une séance clichée chez le psy. D’abord surprise de le découvrir dans cette posture, je comprends que cette interview ne va pas être la plus stressante de ma vie.

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Tahar Rahim est un acteur volontairement secret. Fascinant depuis Un Prophète, admirable depuis Samba, touchant depuis Réparer les vivants. Dans un monde où garder sa vie privée est devenu un luxe, le Français d’origine algérienne est l’un des derniers résistants dans notre société exhibitionniste :

“On donne tout au cinéma, il faut bien que je garde des éléments pour moi. Comment après, je peux faire croire des choses aux gens, s’ils savent tout de moi ? Je n’aime pas l’idée de dévoiler, ça m’agace. Partager en revanche, ça ne me dérange pas.”

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Et c’est vrai qu’au fil de notre discussion, je ressens ce désir qu’il a, sinon cette passion, de transmettre. Méticuleusement, l’adulte se souvient de l’enfant qu’il était. Récit d’un gosse de Belfort, qui se faufilait sans ticket dans les salles obscures avec ses copains, pour assouvir sa soif cinéphile, et est maintenant réclamé dans des productions des deux côtés de l’océan Atlantique.

Les 400 coups de Tahar Rahim

Loin de la capitale, Tahar Rahim était un gamin presque “banal”, qui comme les autres enfants de sa génération, admirait Robert de Niro, Al Pacino, Dustin Hoffman ou Gérard Depardieu. Ceux qui s’apprêtaient à prendre le relais s’appelaient Will Smith, Johnny Depp et Leonardo DiCaprio. C’était l’époque des vidéoclubs, et ses frères mataient beaucoup de films. La production était moindre. Il n’y avait pas encore 927 000 chaînes à la télévision. On avait encore le temps de découvrir le cinéma de toutes les époques, et ses chefs-d’œuvre.

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Notamment La Nuit du chasseur que lui a montré son prof d’anglais. Ce film de Charles Laughton, qui a peiné à se faire aimer du public et des critiques à ses débuts mais qui est ensuite devenu un classique, rappelle encore bien des souvenirs au comédien et notamment son prédicateur psychopathe. À l’époque, la fameuse et outrancière punchline : “Do you want to see something cute ?(“Tu veux voir un truc mignon ?“), qu’il s’amuse à répéter avec un sourire en coin, l’avait traumatisé.

“Le directeur du cinéma savait que je fraudais et il n’avait de cesse que d’essayer de m’attraper”

Mais outre les références, qui font assurément de lui un bon élève, Tahar Rahim commence à découvrir le cinéma, sur grand écran. C’est aussi à ce moment-là qu’il se distingue par sa fureur, abrogeant les barrières et les obstacles. Le milieu dans lequel il vivait ne lui permettait pas de se payer beaucoup de places de cinéma. Alors forcément, quand il commence à raconter qu’il y allait “cinq à dix fois par semaine”, je l’interroge. Pas peu fier, il me raconte alors, avec les yeux qui brillent, ses magouilles pour s’infiltrer dans les salles de ciné, sans ticket :

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Il y avait deux cinémas à Belfort. Au Kursaal d’abord, c’était assez simple comme il y avait des caisses et un hall assez large. Le cinéma était sur un seul niveau, donc quand le client prenait sa commande au caissier, on fonçait tout droit. On s’installait tranquillement et parfois, on ressortait même s’acheter du pop-corn. En revanche, à l’Alpha, l’autre cinéma, c’était un peu plus compliqué. On attendait qu’il y ait du monde qui parle avec le vendeur et on descendait dans la salle. Sauf que dans les escaliers, il fallait passer devant le projectionniste aussi. Fallait attendre le moment propice et ensuite ouvrir la porte pour les copains. Et ça, on l’a fait pendant des années. Le directeur du cinéma savait que je fraudais et il n’avait de cesse que d’essayer de m’attraper. Mais à chaque fois, j’avais un ticket, que j’avais pris à quelqu’un.”

Plus tard, tout juste majeur, il revient aux sources et se paye une toile avec ses amis. Il est 20 heures, un samedi soir. Salle comble pour Star Wars, Épisode 1 : La Menace fantôme. En plein milieu de la séance, le directeur allume toutes les lumières et arrête la projection : Tahar Rahim avait remis ça, et il allait être délogé. Après s’être fait passer un savon, il se décide à sortir, la queue entre les jambes :

“Il a menacé d’appeler la police (Rires). Et dans l’histoire, ce qui est drôle, c’est que je l’ai recroisé à Lyon, dans un cinéma où je présentais un film. On a dîné ensemble, en évoquant les bons souvenirs. Par contre, je n’ai jamais recroisé le projectionniste qui lui, ne disait rien quand je passais en douce, parce qu’il voyait un fou de cinéma. J’aurais aimé le revoir, pour le remercier.”

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Une erreur informatique

Fou de cinéma, dès ses 14 ans, l’idée de devenir acteur lui trotte déjà dans la tête. Il doit donc faire un choix après son bac scientifique : le lycéen doit s’inscrire dans une université, via son minitel. Mais après ses démarches, il reçoit une lettre de confirmation qui vient… d’une fac de sport à Strasbourg. Il prend cette erreur informatique pour un signe. Mais, à part faire la bringue, cette année-là, il n’en est pas sorti grand-chose. Il se tourne alors vers l’informatique, pensant que c’était une filière où il trouverait aisément des débouchés. Idem, il laisse tomber. Son truc, c’est vraiment le cinéma : il s’inscrit alors à la fac de cinéma de Montpellier :

“J’ai appris à lire des scriptes, à développer mon esprit critique, à décrypter un film, à comprendre de manière générale ce qu’était la production. C’était nécessaire, pour aborder Paris. Histoire de pas être un naïf de première qui dit qu’il veut être acteur.”

C’est donc là qu’il forge sa cinéphilie entre la médiathèque et la carte de cinéma qui vient d’arriver. Parallèlement, il tourne avec son ami de Belfort Cyril Mennegun le court-métrage Tahar, l’étudiant. Sélectionné dans plusieurs festivals, le duo se fait ainsi connaître avec ce joli projet documentaire sur le quotidien des étudiants.

Il passera quelque temps plus tard son premier casting, pour La Commune. Jugé trop vieux pour le rôle, Tahar Rahim s’était pourtant rajeuni comme il pouvait, en enfilant des joggings, des vêtements amples et en se rasant de près.

Tous ces efforts font finalement changer le réalisateur d’avis : Tahar incarnera Yazid Fikry et la série sera diffusée pendant presque un mois sur Canal +. Jacques Audiard le repère, et le succès qu’on lui connaît s’apprête à lui tomber dessus. Il bosse comme un dingue son personnage du Prophète :

“J’ai fait sept ou huit essais. Au cinquième ou sixième essai, ça se passe super bien. Mais ensuite, quand je reviens ça se passe bizarrement. Jacques me dit qu’on se reverra une autre fois, allez, salut ! Avec la porte qui claque derrière. La pression était lourde, ça faisait trois mois. Je me souviens que ce jour-là, c’était trop, j’ai failli abandonner. Mais c’était nécessaire : t’as vu le rôle que c’est ? Tu peux pas prendre un mec qui n’a pas d’expérience.”

Ses efforts lui vaudront d’ailleurs le César du meilleur espoir masculin et du meilleur acteur. C’est la seule et unique fois que cette double récompense sera attribuée.

À la conquête des États-Unis

Comme la plupart des jeunes acteurs qui décrochent leur statuette, la carrière de Tahar Rahim est lancée. Maîtrisant le français, l’anglais et l’arabe de chez lui, il enchaîne même avec des films à l’étranger : L’Aigle de la neuvième légion, Love and Bruises, Or noir… Pour lui, dépasser les frontières était à la fois un nouveau défi et une envie naturelle. L’occasion d’ouvrir son esprit à différentes cultures, de chasser l’ennui, aussi, en écoutant parfois simplement des gens parler de leur pays.

Il s’apprête d’ailleurs à conquérir une nouvelle fois les États-Unis avec The Looming Tower. Une série qui retrace les évènements du 11 septembre dans laquelle il a le premier rôle : celui d’un agent FBI qui se sert de ses origines pour infiltrer les rangs d’Al Qaïda. Cet automne, il jouera également aux côtés de Rooney Mara et Joaquin Phoenix dans Mary Magdalene.

Actuellement, il est à l’affiche du film Le Prix du succès, où il incarne Brahim, un humoriste qui fait du stand-up. Pour s’immerger dans cet univers, il a traîné avec Kader Aoun, le créateur de la série télé H, qui a aidé de son coup de stylo pour l’écriture des sketches. Il n’y a plus qu’à l’admirer, sur scène, déclamer ses 400 coups.