Story time : comment on a infiltré la tour Eiffel pour dire “je t’aime” à Jennifer Aniston

Publié le par Flavio Sillitti,

(© Marc Piasecki/Getty)

Récit illustré d’un improbable rencard qui a bien tourné.

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Il y a des rêves qu’on n’ose pas avouer, de peur d’être jugé ou dénigré, mais surtout parce qu’on sait qu’ils ne se réaliseront probablement pas, alors autant les taire à tout jamais. Dire “je t’aime” à Jennifer Aniston était un de ceux-là. Et pourtant, ce doux soir de mars, au deuxième étage de la tour Eiffel, l’impossible s’est produit : j’ai dit “je t’aime” à Jennifer Aniston, et elle m’a souri. Récit illustré d’un improbable rencard qui a bien tourné.

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J’admire autant l’actrice que la femme, forte et puissante, élégante et solaire. Unpopular opinion : je la préfère dans The Morning Show plutôt que dans Friends — je n’ai jamais vu Friends. Du coup, quand j’ai reçu une invitation pour l’avant-première de son nouveau film Netflix, Murder Mystery 2 avec Adam Sandler, Mélanie Laurent et Dany Boon, je n’ai pas hésité une seconde.

Je rectifie : je n’ai pas directement reçu l’invitation. En vérité, c’est un crush rencontré via une application de rencontre qui a gagné un concours, et qui m’a gentiment proposé de l’accompagner. Au programme : tapis rouge, tour en bateau avec champagne et projection du film en avant-première. Il y a pire, comme rencard.

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Le rendez-vous est à 17 heures sur les quais de Seine, face à la tour Eiffel. Comme à mon habitude, je suis en retard. On se claque la bise, je m’excuse pour mon retard (j’ai des principes) et, dans la précipitation, on se dirige vers la première entrée qu’on aperçoit, on donne nos noms, on nous tend un bracelet “Gold” et on nous distribue des jetons numérotés pour un tirage au sort qui aura lieu plus tard dans la soirée. Je tombe sur le numéro 86 — information cruciale pour la suite.

“Oh, voilà Louis de la Star Ac‘ !”

L’endroit de l’événement est divisé en strates sociales : la plèbe, qui a remporté un concours (nous, techniquement) se place derrière des barrières tout autour du tapis rouge, tandis que le gratin parisien se pavane à l’avant pour un photocall devant la tour Eiffel — genre le couple TikTok Pierre Boo & Nicky Champa, Miss France 2023 et même Louis de la Star Ac’, notre chouchou, pour ne citer qu’eux.

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Au milieu de cette ségrégation sociale aussi désuète que sociologiquement fascinante, on retrouve un entre-deux : les micro-influenceurs. Une place de choix leur est réservée, en plein centre de l’événement, aux côtés des photographes et au plus proche du podium qui accueillera le cast dans les heures qui suivent. Pour une raison qui nous échappe encore, c’est à cet endroit précis qu’on nous installe. Au milieu des influenceurs et des regards à la fois envieux et dédaigneux. On rit de malaise.

“Tu as beaucoup de followers, toi ?”

La “responsable influenceurs” (adorable, je l’embrasse si elle nous lit) connaît visiblement bien son métier et remarque rapidement qu’on n’a pas grand-chose à faire à cet endroit. “Salut les garçons ! Je peux avoir vos tags, juste pour vérifier un truc ?” On prend dix secondes pour comprendre qu’un “tag” c’est le nom donné à notre pseudo Instagram, avant de lui partager nos modestes comptes à 300 et 1 500 followers chacun. Pas assez ouf, visiblement : elle nous crame, mais elle est sympa et nous autorise à camper dans le fameux golden circle central. Cool, la meuf.

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L’événement commence, une musique ringarde en mode Mission Impossible retentit et un mec sympathique débute les festivités en chauffant la foule — moment toujours très gênant. Un très divertissant spectacle de danse traditionnelle indienne vient rajouter une généreuse couche de kitsch à ce début de soirée.

“Numéro 86 !”

Le présentateur détaille ensuite le tirage au sort présenté à notre arrivée : sur les quelque 150 numéros attribués à l’entrée, six sont des numéros gagnants pour rejoindre la projection privée VIP dans la tour Eiffel, avec le cast du film. Parce que, malgré la position avantageuse des micro-influenceurs pour le tapis rouge, le reste de leur soirée était le même que celui des autres : un tour en bateau, une projection au Pathé Beaugrenelle, puis ciao bye-bye.

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Deux premiers numéros sont tirés, les gagnant·e·s expriment timidement leur joie, quand, soudain, le numéro 86 est annoncé. Je n’ose même pas bouger, mais la responsable qui nous avait cramés quelques minutes plus tôt (et qui était entre-temps devenue notre meilleure copine) s’exclame à la vue de mon jeton. Trop tard, je suis repéré.

On me tend le micro, avec un accusateur : “En plus monsieur est déjà en VIP !” Je meurs de honte, tenté de rectifier la vérité et d’avouer que je ne suis qu’un usurpateur et que ma place à moi est parmi le peuple, mais je me contente d’un :“J’ai adoré le premier film”. C’est faux. Je ne l’ai pas vu. Bref, on nous file des bracelets VIP et la soirée prend une autre tournure. What the fuck.

“Désolé, l’équipe est bloquée dans les manifs. Mais on a un mentaliste pour vous faire patienter”

Les autres micro-influenceurs autour de nous commencent alors à nous féliciter, on papote et on sourit — alors que dix minutes avant ils ne nous calculaient pas (vu qu’on n’était pas vraiment des leurs). Les fraudeurs devenaient soudainement les cool kids. Belle leçon de morale.

Je papote et rigole avec une tiktokeuse américaine très sympa, Queen Fatima qui, sur les réseaux, se la joue à la Emily in Paris. On nous distribue des goodies, dont des baguettes de pain à faire signer à Adam Sandler, mais aussi des drapeaux américains. Ma nouvelle copine Fatima en profite pour nous confier qu’en Amérique, si tu vois quelqu’un avec un drapeau américain, il faut courir. C’est forcément des fachos. Merci, Fatima.

L’impatience commence à se faire sentir. J’ai faim, soif, et envie de pisser. C’est là que la soirée devient un peu plus politique. On nous annonce que le programme est perturbé : Paris est bloqué par des manifestations sauvages un peu partout dans la ville suite à l’annonce du déclenchement du 49.3 plus tôt dans la journée. “Désolé, l’équipe est bloquée dans les manifs. Mais on a un mentaliste pour vous faire patienter”, annonce le présentateur un peu plus stressé que tout à l’heure, mais toujours aussi sympa. C’est déjà ça.

Aussi fou que ça puisse paraître, Netflix a assez d’argent pour démarcher un mentaliste en cinq minutes pour venir combler une heure d’attente. Et pas des moindres : Nicolas Clément qui, à en croire sa page Internet, a déjà fait des tours de magie pour le roi d’Angleterre. Efficace. Après dix numéros bien foutus, l’effet mentaliste s’estompe et on s’impatiente à nouveau. Enfin, le fameux bateau débarque : les voilà, les stars de la soirée !

Une arrivée grandiose, à l’américaine, avec la même boucle musicale répétée à l’infini. C’est kitsch, c’est généreux, c’est Jennifer Aniston, c’est Adam Sandler, c’est Mélanie Laurent, c’est Dany Boon : on est comblés. Une micro-influenceuse fond en larmes quand elle aperçoit Jennifer Aniston. On a envie de faire pareil, mais on reste dans nos personnages de faux influenceurs un peu blasés.

De notre côté, tout s’enchaîne très vite : une responsable de sécurité vient nous escorter vers notre minibus qui conduira les quelques vainqueurs du tirage au sort à la tour Eiffel. C’est littéralement de l’autre côté de la Seine, ce qui nous prendrait trois fois moins de temps à pied qu’en voiture. Mais qu’importe, c’est Netflix qui rince. Le minibus est classe, on a l’impression d’embarquer pour le château de la Star Ac’.

“Mais il est froid, le burger ?”

Pas de chance, la route est totalement bloquée, et on est forcés de descendre 15 minutes après notre départ, 10 mètres plus loin. On finira la route à pied. Miskine. Sur le chemin, on se fait deux nouvelles copines hyper excitées pour ce qui les attend. “On va peut-être avoir un repas gastronomique avec les acteurs ?”, partage l’une d’entre elles. On monte dans l’ascenseur, on s’arrête au deuxième étage, et on est accueillis par un comité d’accueil visiblement bien payé au vu des sourires tirés ineffables.

Un couloir estampillé Netflix nous guide vers une pièce de projection, dans laquelle on retrouve la foule d’invité·e·s VIP du début de soirée, qui attendait misérablement dans cet endroit à la température massacrante depuis trois heures. Un sac-cadeau nous attend à notre place, avec une brique d’eau en carton, deux macarons Ladurée sur lesquels est gravé le logo du film, et surtout un burger végétarien froid et mouillé. C’est donc ça, la vie de château ?

Le casting tant attendu monte sur scène pour un petit discours et quelques blagues, annonce le film et s’éclipse aussitôt de la salle. On est loin du repas gastronomique en tête à tête avec nos idoles fantasmé plus tôt dans la soirée, mais on est déjà content d’être là. Avant qu’ils ne quittent la salle, j’ai une épiphanie : et si c’était maintenant, le moment de réaliser mon rêve ? N’est-ce pas l’occasion rêvée pour dire à Jennifer Aniston, mon idole, que je l’aime ?

“Jennifer, I love you.”

Alors, le courage me prend au cœur et à la tête, je saisis mon smartphone, et j’attends l’instant idéal pour lui déclarer ma flamme. Évidemment, un conflit intérieur a lieu : “J’en fais peut-être un peu trop.” “Mon crush va me juger.” “Les gens sont classe ici, calme toi”. Sauf que Jennifer, je l’aime vraiment. J’aime sa force de jeu, son parcours honorable, son regard taquin et humain, son sourire joueur et chaleureux, sa classe innée et sa sympathie naturelle.

Alors, je n’hésite plus, et ça sort naturellement, une de ces déclarations qui ne brûlent que d’affection, qui ne surprennent que d’amour : “Jennifer, I love you.” Elle sursaute légèrement, me regarde droit dans les yeux, sourit et me fait signe de la main. Dans un autre contexte, si quelqu’un vous fait coucou après que vous lui avez dit que vous l’aimiez, c’est chaud. Sauf qu’ici, c’est Jennifer Aniston, alors le temps s’arrête. Life goal completed.

Le reste de la soirée est on ne peut plus banal : on regarde un film en avant-première au deuxième étage de la tour Eiffel et on reprend l’ascenseur le plus people de Paris avec Guillaume Pley, Miss France et Louis de la Star Ac’ — on l’adore. Je retourne sagement chez moi, le regard de Jen en boucle dans la tête et le burger végétarien froid en début de digestion dans l’estomac. À la question que vous vous posez certainement tous à ce stade, je vous réponds que non, je n’ai pas pécho mon crush. Mais j’ai dit : “Je t’aime” à Jennifer Aniston. C’est déjà ça.