Retour sur la carrière atypique de Nessbeal, étoile filante du rap français

Publié le par Guillaume Narduzzi,

Alors qu'il vient d'annoncer son grand retour en solo avec un album en 2021, retour sur la carrière de NE2S.

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Le 19 juin 2020, Jul dévoilait son (double) album, le bien nommé La Machine. Un effort dans lequel on pouvait découvrir un certain nombre de surprises, dont une collaboration inédite avec le revenant Nessbeal sur le son “Rentrez pas dans ma tête”.

Une association de premier plan qui remettait à l’honneur l’une des figures les plus importantes du rap français des années 2000 et qui présageait un retour solo (assez improbable, avouons-le) de NE2S sur le devant de la scène après cinq années de silence artistique. Et on avait raison d’espérer, car le “roi sans couronne” va faire son grand retour en cette année 2021 avec un nouvel album solo. Mais avant ça, remontons le temps. 
Nessbeal a connu un parcours bien singulier, fait de succès critiques quasi-systématiques, de clash et de frustration commerciale. Une carrière commencée au milieu des années 1990, période à laquelle le rap français commence à se créer sa propre identité. Nessbeal, de son vrai nom Nabil Selhy, fonde alors le groupe Dicidens avec les rappeurs Koryas et Zesau. Ensemble, ils sortent plusieurs projets à l’aube du nouveau millénaire. Le trio se paie même le luxe d’un featuring avec Lunatic sur le titre “De larmes et de sang” – une véritable rareté. Booba devient d’ailleurs un élément important du début de carrière de Nessbeal.

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Époque Dicidens et 92i

NE2S intègre alors le 92i et rejoint Sir Doum’s et la Malekal Morte. On le retrouve sur les deux premiers albums du Duc de Boulogne (“Sans ratures” sur Temps Mort et “Baby” sur Panthéon), ainsi que dans plusieurs clips de B20. Entre les deux, en 2003, les deux hommes allient à nouveau leur talent respectif pour offrir le titre “Les rues de ma vie”, qui fait partie de la bande originale de Taxi 3.
Une association hyper efficace qui fait ses preuves. Nessbeal se substitue en quelque sorte à Ali, dans un style aux antipodes du membre de Lunatic, bien moins contemplatif mais plus frontal et “terter”, avec la même dimension théâtrale et dramatique. En 2005, ils remettent ça avec l’outro “Bâtiment C Part II” (suite du titre de Panthéon) de la compilation Illicite projet du duo de producteurs Medeline.


Il n’en délaisse pas pour autant son collectif, qui s’offre en 2002 une apparition sur la mixtape Violences urbaines de LIM – qui a lui aussi fait son retour ce même 19 juin avec un nouvel EP nommé Bouteille d’absinthe. Parallèlement, le groupe poursuit son ascension avec l’album HLM Rezidants. Un disque devenu au fil des ans une sorte de classique mésestimé de l’histoire du rap français.

C’est alors que Nessbeal nourrit des ambitions en solo. Après plusieurs changements de label, il finit par sortir son premier album solo La mélodie des briques en 2006 (sur lequel est notamment invité Vitaa) puis Rois sans couronne en 2008 avec des guests de classe (Wallen, Le Rat Luciano, K-Reen). Deux disques, sur lesquels sont invités à chaque fois Koryas et Zesau, qui jouissent alors d’un grand succès d’estime, faisant de Nessbeal l’une des figures d’un rap underground et authentique à la française.

Aujourd’hui encore, La mélodie des briques est considéré par nombre de spécialistes comme un disque incontournable des années 2000. L’étendue de son potentiel éclate aux yeux de tous. Son phrasé écorché et son sens de la formule font mouche auprès des rapophiles, mais peinent à conquérir un public plus large. La faute à un discours très street, qui a la fâcheuse tendance de rebuter les auditeurs en quête de titres plus faciles d’accès. “Si t’as le buzz de la presse, moi j’ai le buzz de la tess”, lâchait-il justement sur le titre “Rap 2 Tess” qui sera clippé avec l’acteur du film culte La Haine, Saïd Taghmaoui.

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Roi sans couronne

Si les deux albums, co-produits par Skread, s’offrent des chiffres de ventes que beaucoup ne renieraient pas aujourd’hui, ils sont assez décevants comparés au talent du rappeur – il faut dire que cela correspond à l’époque où le rap français est littéralement pillé le téléchargement illégal. La faute à pas de chance, le timing est mauvais et la frustration se fait ressentir. En 2009, Nessbeal lâche sa mixtape RSC Sessions Perdues où il apparaît sur la pochette tel le “godfather” du rap français.

Mais c’est également à ce moment-là que surviennent les clashs avec Médine et Youssoupha. Les trois rappeurs ont une vision bien différente de ce que doit être le rap. Nessbeal ne se reconnaît dans cette nouvelle génération de rappeur plus politique et engagé, ce rap “écrit à la bibliothèque”. Lui préfère prôner la spontanéité et l’authenticité de celui-ci. En réponse, Youssoupha prendra la défense de Médine et évoquera dans son titre “L’effet papillon” les bégaiements de NE2S lors d’un freestyle où les trois hommes étaient présents trois ans plus tôt, en compagnie de Sefyu et de Nubi.

Malgré ces confrontations, Nessbeal rebondit dès 2010 avec une signature sur le label Septième magnitude de Skread et enchaîne avec son troisième album NE2S, probablement son plus ouvert musicalement parlant grâce à la patte de son producteur attitré. Celui-ci, sorti le même jour que le Cheese de Stromae, vient d’ailleurs de fêter ses dix ans. C’est en tout cas celui qui rencontre le plus de succès, porté par les titres “Ma grosse” avec son nouveau confrère de label Orelsan, “Poussière d’empire” avec Indila (qui signera le tube “Dreamin'” deux ans plus tard avec… Youssoupha) et surtout “À chaque jour suffit sa peine” qui est massivement diffusé à la radio et demeure le plus gros succès solo de Nessbeal. Ses récents featuring avec La Fouine et Mister You, deux têtes d’affiche du début des années 2010, viennent renforcer ce nouveau statut.

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L’éternel retour

Fort de ce parcours, le rappeur du 94 revient un an plus tard avec Sélection naturelle – le titre étant inspiré de son intérêt pour les documentaires animaliers. L’album, dans la lignée artistique du dernier, a tout pour devenir l’un des disques les plus importants de l’année, que ce soit les collaborations avec Soprano, La Fouine et Mister You mais aussi des artistes que Nessbeal souhaite promouvoir comme Isleym et un single pour les radios (“Force et honneur”). Cependant, même si l’accueil critique est toujours aussi bon – bien qu’un peu plus timoré que les précédents projets, les ventes de Sélection naturelle, dévoilé en novembre 2011, sont loin de répondre aux attentes et aux investissements promotionnels.

C’en est trop pour le rappeur qui vient de souffler sa trente-troisième bougie. La déception est grande, et dans la foulée Nessbeal annonce son souhait d’arrêter le rap. Même s’il prend part à quelques featuring, notamment avec Mister You, il décide de se mettre en retrait de la scène rap français. Au grand dam des fans inconditionnels de l’artiste. Une première tentative de retour a lieu fin 2013, quand il annonce participer à la bande originale du film La marche. L’année suivante, il affirme travailler sur un nouvel album, en compagnie notamment du hitmaker DJ Kore.

Cette traversée du désert prend fin en 2015 lorsqu’il dévoile le titre “Jeune vétéran”. La même année, il collabore également avec Lacrim et son comparse Zesau, toujours actif en solo. Un coup d’épée dans l’eau. Le morceau, dans lequel Nessbeal tacle à nouveau Youssoupha avec un commentaire assez dispensable sur son physique, est finalement supprimé des différentes plateformes et le rappeur disparaît à nouveau des radars. La rancoeur est encore prégnante.
Ce n’est qu’en 2019 que le rappeur refait surface, avec une apparition en tant qu’acteur cette fois dans le film Paradise Beach, aux côtés de nombreux rappeurs comme Seth Gueko, Dosseh ou Kool Shen. Preuve que le rap n’est jamais très loin.

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Si la collaboration surprise avec Jul a appuyé son grand retour en 2020, celui-ci se confirme cette année et on attend avec impatience ce premier album solo en 10 ans. De quoi rallumer la lumière sur un rappeur de l’ombre de l’histoire du rap français, l’un de ses meilleurs paroliers dont la carrière a été en partie tristement gâchée par les chiffres de ventes.