Relapse : l’album le plus sombre et le plus brillant d’Eminem a 10 ans

Publié le par Jérémie Léger,

Clip 3AM Eminem

Critiqué et incompris à sa sortie, Relapse est sans aucun doute l'album le plus complexe et audacieux du rappeur de Détroit.

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Irréductible technophobe, Eminem partage rarement des choses sur les réseaux sociaux, à moins d’avoir une raison en béton. Le 20 avril dernier, le rappeur de Détroit postait une photo sur laquelle on voit sa main tenant une pièce des alcooliques anonymes. Un symbole fort pour celui qui célébrait en ce jour ses onze ans de sobriété. Un combat difficile pour Marshall Mathers, qui était pourtant loin d’être gagné.

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Petite remise en contexte : en 2005, alors que son quatrième album Encore débarque dans les bacs, Eminem se voit rattrapé par son succès. Face à des tournées toujours plus longues et à une notoriété devenue ingérable, il se voit contraint de prendre des médicaments pour réussir à tenir le rythme.

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Parallèlement aux démons de la célébrité, Marshall doit aussi faire face à une vie de famille tumultueuse : un nouveau divorce avec sa femme Kim et la perte de la garde de sa fille tant aimée. Comme si tout cela ne suffisait pas, quelques jours plus tard, son meilleur ami Proof meurt des suites d’une fusillade.

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Au fond du trou, Eminem tombe en dépression, prend vingt kilos et devient accro aux médicaments. Tout s’écroule le 28 décembre 2007 lorsqu’il fait une overdose. Aux portes de la mort, on dit sa carrière terminée. Mais Eminem peut remercier son ange gardien : dans un éclair de lucidité, il entre en cure de désintoxication. Malgré une rechute, il dit adieu à ses démons le 20 avril 2008.

Dès lors, il est temps pour lui de revenir aux affaires. Il ne tardera pas à s’enfermer en studio avec son mentor de toujours, Dr. Dre, avec lequel il prépare alors son come-back. Un album charnière, Relapse, qui cristallisera en musique l’enfer qu’il a vécu ses dernières années et qui signera aussi la fin de son processus de désintoxication.

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Le couloir de l’horreur

À l’image de la pochette, l’ambiance de cet album est sombre et froide. Relapse peut être abordé comme un film d’horreur, entre fiction et réalité. Le projet s’ouvre sur “Dr. West”, un skit qui pose le cadre du récit. Marshall Mathers sort de désintox et partage son anxiété avec son médecin. Alors qu’il s’apprête à reprendre une vie normale, son alter ego démoniaque Slim Shady reprend le dessus. La rechute est inévitable et Eminem exalte son côté obscur.

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Pendant sa cure, le rappeur s’est probablement abreuvé de dizaines d’histoires de tueurs en série, car ces dernières prennent une place importante dans l’opus. En effet, dès le premier morceau, “3 a.m.”, dont le clip glauque à souhait nous aura mis la chair de poule à sa sortie, le ton est donné.

Shady s’échappe de la clinique où il était interné et massacre tous ceux qui se mettent en travers sa route. La suite de l’album suit le rappeur dans sa folie. “Insane”, “Hello”, “Same Song and Dance” ou encore “Stay Wide Awake” : les morceaux noirs s’enchaînent entre histoires de viols, de drogues, de mutilations et de meurtres. Toujours avec cet art du second degré dont le rappeur a le secret.

En effet, l’autre force de Relapse est d’avoir réussi, malgré son ambiance oppressante, à faire preuve d’humour, l’une des marques de fabrique historique du MC aux cheveux noirs depuis peu. En témoigne son trip sous weed dans “Must Be the Ganja”, “My Mom” ou encore le single calibré pour les radios “We Made You”, dans lequel il se plaît à dézinguer des icônes de la pop culture comme à l’époque.

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Dans “Same Song and Dance” également, il orchestre le viol suivi du meurtre de Lindsay Lohan et de Britney Spears. Sans parler de Mariah Carey, avec laquelle Eminem affirme avoir eu une relation. Elle en prend pour son grade dans “Bagpipes from Baghdad”, l’apéritif avant “The Warning”, une diss track virulente destinée à la pop star et à son conjoint Nick Cannon.

Et comme tout bon tueur en série qui se respecte, Slim Shady a lui aussi son histoire, car on ne devient pas serial killer du jour au lendemain. Dans “My Mom” et “Insane” par exemple, on apprend que, durant son enfance, le sulfureux rappeur s’est fait violer par son beau-père et gaver de drogues par sa génitrice. Ce sont ces mauvais traitements qui ont fait de lui un psychopathe sans pitié.

Mais ce film d’horreur ne serait pas ce qu’il est s’il n’avait pas été savamment orchestré par Dr. Dre, pour la quasi-intégralité des productions. De son côté, Eminem a beau être parti quatre ans, sa technique d’écriture et son flow sont irréprochables. L’alchimie entre le rappeur et le producteur n’est plus à prouver, à tel point qu’ils partagent le micro comme au bon vieux temps sur “Old Time Sake”et “Crack a Bottle” avec 50 Cent.

Le tournant du disque arrive au moment du skit “Mr. Mathers”. Marshall reprend ses droits sur son alter ego démoniaque et nous fait revivre son overdose. Les morceaux suivants, “Déjà vu” et “Beautiful”, tranchent avec le reste de l’opus et nous permettent de comprendre comment Eminem s’est relevé jusqu’à parvenir à trouver le bout du tunnel. Un exemple à suivre.

Enfin, Relapse se termine en point d’orgue sur le symphonique “Underground”, dont les chœurs samplés du refrain nous donnent l’impression d’un hymne à la gloire d’Eminem. Un rappeur qui, après avoir bravé la mort, peut se dresser de nouveau fièrement sur le toit du monde.

En 1999, Eminem débarquait pour conduire le hip-hop là où personne ne l’avait jamais véritablement emmené auparavant. Dix ans plus tard, avec Relapse, il parvient à hisser l’album d’horreur à un niveau de storytelling et de sincérité encore jamais égalé dans le rap mainstream. Pourtant, à sa sortie, l’horreur fascinante de Relapse était bien loin de faire l’unanimité.

Un succès mitigé

Malgré un succès commercial retentissant, l’accueil critique du projet n’était pas forcément au rendez-vous. Ceux qui l’ont écouté fustigeaient l’accent utilisé par le rappeur tout au long de son disque. Un accent caricatural (irlandais, du Moyen-Orient ou de Jamaïque, on ne saura jamais) qu’il utilisait déjà sur le morceau “Ass Like That” de son album Encore.

La critique n’a pas apprécié non plus la teinte sombre du projet, aux antipodes du rap mainstream de l’époque et surtout de ce qu’Eminem avait proposé par le passé. En tant que star sur le retour, Slim Shady aurait pu choisir la facilité en sortant un album que tout le monde attendait. Au lieu de ça, il s’est aventuré sur le terrain glissant de l’horrorcore, un genre plus difficilement abordable pour le grand public. En d’autres termes, le monde n’était pas prêt.

Bien que le temps ait fait revoir leur jugement à de nombreuses personnes, le poids des critiques à l’époque a dissuadé Eminem de sortir Relapse 2. Pire encore, dans “Not Afraid” et plusieurs morceaux post-Relapse, il ira même jusqu’à renier son propre travail.

La suite de l’histoire, on la connaît. Eminem quitte définitivement le royaume des ombres en 2010 et fait le choix d’embrasser la lumière avec Recovery. Un album qui marquera son virage aussi audacieux que controversé vers un rap plus pop.

À ceux qui souhaitaient retrouver l’ambiance glauque si particulière de Relapse, vous n’aurez droit qu’à deux morceaux bonus dans la version deluxe de l’album ainsi qu’à Relapse: Refill, une réédition sortie quelques mois plus tard avec sept titres supplémentaires.

Si l’on ne peut évidemment que se réjouir que Marshall Mathers, après une telle traversée du désert, soit parvenu à vaincre ses démons, force est de constater que son sixième album aura toujours une place particulière dans la discographie d’Eminem. Dix ans après sa sortie, redonnons à Relapse ses lettres de noblesse. Des lettres écrites avec du sang.