Pourquoi le freestyle d’Oli à l’Académie française dérange

Publié le par Yasmine Mady,

"Le rap acceptable selon l’Académie française."

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Le 17 mars dernier, Oli, du duo Bigflo et Oli, a été convié avec de nombreux philosophes à débattre sur “Le Monde de demain” à l’Académie française. Une performance durant laquelle le rappeur toulousain débite un texte qui dépeint son idée du monde de demain, un monde où tout va toujours plus vite, tout comme le flow qu’il a décidé d’adopter pour incarner ces mots. Il entame d’ailleurs son freestyle en disant : “Comme le monde de demain va beaucoup trop vite, alors je vais aller vite”.

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Aujourd’hui largement relayée sur les réseaux sociaux et comptabilisant notamment sur Twitter/X plus d’1 million de vues, cette prestation divise : d’une part, il y a les internautes qui la qualifient d’“historique” et célèbrent “l’excellence du texte”, d’autre part, il y a ceux qui trouvent ça malaisant et cringe très subjectivement et enfin, on retrouve une partie des auditeurs de rap qui déplorent la symbolique de ce freestyle. La question qui peut se poser concernant ce moment de culture c’est : qu’est-ce que ça veut dire, aujourd’hui, en termes de symbole qu’un rappeur accepte de performer à l’Académie française ?

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Si certains peuvent y voir une forme d’inclusion et de reconnaissance de la culture hip-hop qui a longtemps été considérée comme étant une “sous-culture” et boudée par les “intellectuels” occidentaux, d’autres questionnent la nécessité et le poids de cette reconnaissance pour une culture basée sur l’autodétermination et le non-conformisme. Générations a écrit à ce sujet que la présence d’Oli à l’Académie française était “un moment fort pour lui mais aussi pour le rap français, légitimé ainsi par l’Académie française”. Est-ce qu’il y a réellement un gain de légitimité dès lors que des intellectuels élitistes éprouvent un intérêt envers une culture qui leur échappe ?

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Une institutionnalisation nationale du hip-hop non consentie par la communauté concernée

Entre la loi 1149 qui a pour enjeu d’encadrer l’enseignement de la danse hip-hop en imposant un diplôme pour l’enseigner (si elle est adoptée au Sénat) et la récente taxe sur le streaming musical mise en place afin de permettre le financement du CNM (Centre national de la musique), qui a été renommée taxe anti-rap par de nombreux acteurs de la culture, on constate qu’en France plus que jamais, la culture hip-hop est sous les projecteurs étatiques dans une volonté évidente d’encadrement et de capitalisation. Dans ce contexte d’institutionnalisation nationale du hip-hop, peu consentie par la communauté culturelle concernée, la participation d’un rappeur à l’Académie française pour représenter le rap dans un débat sur le “Monde de demain” provoque naturellement de vives réactions et émotions.

Issus de la classe moyenne et ayant fait leurs armes au conservatoire avant de tomber amoureux du rap, Bigflo et Oli jouissent d’un rapport à la musique qui matche beaucoup plus avec l’idée de la légitimité et de l’intelligence musicale acceptée par les sphères blanches. Dans l’imaginaire collectif, ils incarnent ces “gentils rappeurs” dont on fait l’éloge des textes et qui vont jouir d’un certain capital sympathie, en comparaison à d’autres rappeurs issus de classes populaires qui, eux, vont connaître un mépris de classe souvent couplé à du racisme. C’est souvent des rappeurs comme Bigflo et Oli, d’ailleurs, qui vont recevoir les fleurs de la reconnaissance du rap dans ces sphères élitistes, que ce soit sur des plateaux télévisés, dans les cérémonies de récompenses musicales comme aux Victoires de la musique et, aujourd’hui, à l’Académie française. Peut-on alors questionner une forme d’instrumentalisation de ces “gentils rappeurs” afin de pouvoir brandir le drapeau de l’inclusion de manière opportuniste et performative ?

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