Piston ? Talent ? Les deux ? Nepo babies, pourquoi tant de haine ?

Publié le par Paloma Clement Picos,

© Warner Bros. / Wild Bunch

Un concept vieux comme le monde a été remis au centre des débats par deux petits mots qui ont mis le feu aux entrailles de toutes les industries du divertissement : nepo baby.

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Fin décembre, sous l’impulsion d’un terme en vogue depuis quelques mois sur les internets, le très sérieux New York Magazine sortait un long article pour expliquer et, surtout, répertorier les “filles et fils de” de Hollywood, appelés par la dénomination cool et accrocheuse désormais phare du langage pop culture : “nepo babies”. Comprenez les enfants privilégiés par le népotisme qui, grâce à leurs célèbres parents, peuvent facilement faire carrière dans le showbiz.

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Le magazine n’y est pas allé de main morte. On peut même dire qu’ils sont allés un brin trop loin. Car dans ce pêle-mêle de noms célèbres, on trouve quand même la chanteuse Phoebe Bridgers, répertoriée dans une obscure sous catégorie de nepo baby car son père était… charpentier sur des tournages en Californie.

On va tenter de faire plus soft, moins cynique et surtout de comprendre pourquoi tant de haine.

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Piston ou talent ? Ou les deux ?

Depuis que Hollywood existe, le piston existe. Comme dans n’importe quelle industrie. Après tout, qui ne voudrait pas faire profiter ses enfants de ses privilèges ? Le problème n’est pas tant que ces acteurs, chanteurs, mannequins au célèbre nom de famille prennent potentiellement la place d’artistes moins pistonnés mais plus talentueux qu’eux. Le problème, c’est qu’aucun de ces nepo babies n’a jamais de réponse vraiment convaincante et éclairée quand la question de ses privilèges est soulevée.

Les nepo babies ont tendance à croire qu’on leur demande de se justifier. Ce n’est pas nécessaire dans le sens où, même s’ils répètent sans cesse qu’ils travaillent autant que tout le monde, on connaît la justification de leur présence dans les films, du moins au début de leur carrière. Même talentueux, ils ont une longueur d’avance et quelqu’un a mis leur CV en haut de la pile. Partout où il y a du pouvoir, il y a du népotisme (et le journalisme n’est évidemment pas épargné).

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Étrangement, ce sont ceux dont on questionne le moins le talent et la légitimité qui se sentent obligés de défendre tous les nepo babies. Exemple : l’immense actrice Jamie Lee Curtis s’est fendue d’un long post Instagram pour critiquer l’article du magazine alors que pourtant, elle est une des actrices les plus renommées et appréciées et surtout, une grande majorité de la population ignore qu’elle est la fille du couple d’acteur Tony Curtis (Certains l’aiment chaud) et Janet Leigh (Psychose).

À 64 ans, clairement, Jamie Lee Curtis n’a plus à nous prouver qu’elle est là uniquement grâce au piston, mais elle a l’air de se sentir tellement visée par ces attaques qu’elle se sent, de toute évidence, toujours coupable. Ils auront beau être riches, décrocher des rôles et même décrocher des prix pour leur art, les nepo babies diront toujours que le népotisme est un fardeau.

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Alors que ce qui leur est demandé, c’est plutôt d’être honnêtes et de reconnaître qu’ils ne sont pas du tout partis sur le même seuil d’égalité que des artistes qui n’ont pas le nom de leurs parents en bleu sur Wikipédia. Mais ce serait trop difficile d’admettre que “oui, mon père a joué un rôle dans mon casting” — n’est-ce pas, Maude Apatow ?

Pire, ils ont tendance à jeter de l’huile sur le feu. Car personne n’a plus relancé le débat sur les nepo babies (avant le New York Magazine), que l’une des plus grandes nepo babies du milieu, qui malheureusement pour elle, incarne le débat autant aux États-Unis qu’en France : Lily-Rose Depp, fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis.

Lors d’une interview dans le Elle américain, elle a déclaré :

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“Je peux vous dire que rien ne vous donnera un rôle sauf le fait que vous soyez bons pour ce rôle.”

Ça passe assez mal de dire que tout n’est que méritocratie dans le cinéma et d’ajouter ensuite que le terme “nepo baby” est sexiste et qu’elle en a marre d’être définie par les hommes de sa vie. Sortir la carte sexisme ici pour détourner le débat nécessaire autour des privilèges, ça passe difficilement. À 16 ans, Lily-Rose décrochait un premier contrat avec la maison Chanel. Qui a été la muse de Lagerfeld durant des années ? Sa mère, Vanessa Paradis.

Le fond de débat a été assez bien évoqué par la mannequin italienne Vittoria Ceretti. Sur Instagram, la supermodel s’est adressée à Lily-Rose Depp :

“Je ne supporte pas t’entendre te comparer à moi. Je sais que ce n’est pas ta faute, mais s’il te plaît, sois reconnaissante et admets d’où tu viens.”

Contrairement à beaucoup de détracteurs des nepo babies, Vittoria ne questionne pas leur talent et c’est très honorable. Surtout, ça permet de mettre le doigt sur ce qui dérange : même si la finalité est la même, les parcours entre les gens privilégiés et les autres pour décrocher des contrats sont incomparables.

“Tu peux me raconter ta petite histoire triste à ce sujet (même si en fin de compte, tu peux toujours aller pleurer sur le canapé de ton père dans sa villa à Malibu), mais que dirais-tu si tu ne pouvais pas payer ton vol retour pour retrouver ta famille ? Attendre des heures pour faire un essayage /passer un casting juste pour voir un nepo baby passer devant toi depuis le siège chaud de sa Mercedes avec son chauffeur et son ami /assistant /agent prenant soin de sa santé mentale.

Tu n’as aucune d’idée de ce qu’il faut faire pour que les gens te respectent. Cela prend des années. Tu l’as obtenu gratuitement à ta naissance.”

La Grande famille du cinéma français

Mais pourquoi tant parler de Hollywood quand pléthore d’exemples existent en France ? “La grande famille du cinéma français” entend-on souvent dire à la cérémonie des César ou au festival de Cannes. Ils ne croient pas si bien dire.

En France, il y a d’abord des dynasties où toute la famille est dans le milieu. On pense évidemment aux Seydoux, aux Garrel, aux Chedid, aux Gainsbourg/Birkin/Doillon, aux Cassel, aux Gélin, (pfiou, c’est long), aux Brasseur, aux Berry et on en oublie sûrement et on laisse internet les trouver.

Dans le genre mettre de l’huile made in France sur le feu, on oubliera jamais la fameuse “école de la vie” de Léa Seydoux en 2016. Une déclaration qui l’a condamnée à son statut d’héritière plus que d’actrice émérite, alors même qu’elle a tourné avec tous les plus grands réalisateurs et qu’elle est la seule actrice de l’Histoire, avec sa costar Adèle Exarchopoulos, à avoir reçu une palme d’Or à Cannes pour La Vie d’Adèle.

Plus haut était mentionnée Maude Apatow, fille de Judd Apatow, producteur de Euphoria où sa fille tient un des rôles principaux : celui de Lexie. Et on adore Lexie. Mais bon, drôle de hasard que Maude soit présente. Sûrement ce même hasard qui a fait qu’à 16 ans, Suzanne Lindon, fille de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain a réalisé son premier film, Seize Printemps. Quand on sait à quel point il est difficile de faire financer des premiers films, il y a de quoi grincer un peu des dents chez les non-nepo babies.

C’est loin d’être la dernière fois, car beaucoup de nos acteurs phare ont désormais des enfants en âge de décrocher rôles et contrats de mode (ce qu’ils font), parmi eux Carmen Kassovitz, Deva Cassel, Victor Belmondo, Alain-Fabien et Anouchka Delon, Ben Attal…

Contrairement au New York Magazine, on ne condamne pas tous les nepo babies (Dakota Johnson, je t’aime) à devoir éternellement se justifier de leur présence sous les projecteurs (sauf Brooklyn Beckham). On offre même une mention spéciale à l’interprète de Catwoman, Zoë Kravitz, fille de Lenny Kravitz et de l’actrice Lisa Bonet, qui disait au magazine Complexe en 2015 :

“Pour des raisons évidentes, ce fut très facile pour moi de trouver un agent quand j’ai voulu me lancer dans le cinéma à 15 ans. Et ce ne fut pas pour mon talent, parce qu’à cet âge-là, je n’en avais pas. C’était parce que mes parents étaient célèbres et les gens du milieu ont dû se dire ‘cool, ça nous rapportera de l’argent’.

Je connais beaucoup de personnes talentueuses qui doivent travailler comme serveurs. Ce n’est pas mon cas. Je peux créer de l’art et être payée à le faire… ça me semble incroyable. J’en suis extrêmement reconnaissante.”

Voilà le genre de réponse honnête qu’on apprécie. Pour clôturer, on invite tous les parents, véritables responsables de ces insupportables mais inévitables nepo babies, à faire comme Idris Elba. Lorsque l’acteur a lu le scénario de Beast, il a tout de suite pensé à son aînée, qui se rêve actrice, pour interpréter sa fille dans le film. Après un long processus de casting, Isan Elba n’a pas été retenue et son père n’a rien fait pour changer ça. Elle ne lui a pas adressé la parole pendant trois semaines.

Bon, elle a quand même sûrement pleuré dans des draps en soie dans son immense villa, mais quand même, on adore ton sens du mérite, Idris !