Par amour des vieux rades, Fanny Molins filme nos plus beaux piliers de bar

Publié le par Manon Marcillat,

Sous la caméra de la réalisatrice, patrons et habitués lèvent leur dernier verre avant le baisser de rideau.

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Le pilier de bar est une figure commune du cinéma. Souvent mutique, il noie sa mélancolie et son chagrin dans l’alcool accoudé au zinc. Mais dans Atlantic Bar, le premier documentaire de Fanny Molins, rien de tout ça. Si dans le petit théâtre de ce rade arlésien, patrons et habitués se mettent eux aussi en scène, c’est pour mieux se chambrer, aussi fort que possible, pour ne jamais sombrer dans le misérabilisme et l’apitoiement.

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Animée par son amour des vieux rades, la jeune photographe et réalisatrice a documenté le funeste destin de l’Atlantic Bar à Arles, troquet menacé de fermeture. Dans ce puzzle de gueules cassées — par la clope, l’alcoolisme, les addictions et les épreuves en tout genre — brille Nathalie, la tenancière qui malmène autant qu’elle materne les habitués de son bar. Figure symbolique de nos petits bistrots provinciaux, elle fait régner l’ordre dans les rangs de sa clientèle masculine passablement alcoolisée, un personnage que même la fiction n’aurait su écrire.

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En fréquentant l’Atlantic Bar pendant quatre ans, Fanny Molins a fait de drôles de rencontres et sous sa caméra défilent un poète, un ancien SDF ou encore un braqueur repenti, aux doigts tatoués de pique, de cœur, de trèfle et de carreau pour mieux tricher au poker. La réalisatrice nous confiait avoir également fait la connaissance impromptue d’un aspirant cow-boy des Saintes-Maries-de-la-Mer, malheureusement décédé avant le tournage, qui parcourait les 35 kilomètres qui le séparait de l’Atlantic Bar à cheval.

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Grâce à cette galerie de personnages invraisemblables, Fanny Molins parvient à capter tout le potentiel romanesque de ce rade pittoresque sans pour autant céder à une essentialisation de cette typologie de lieu en voie de disparition qui rend parfois nostalgique notre jeune génération.

Clairvoyance et clair-obscur

Filmé dans la lumière naturelle et estivale des ruelles ensoleillées d’Arles, Atlantic Bar est aussi cinématographique par ses protagonistes que photographique par son esthétique. De jolis clairs-obscurs viennent adoucir ces corps burinés par le soleil et l’alcool, ces “piliers de bar” qu’on ne regarde pas et que la réalisatrice veut réinscrire dans le territoire dans lequel ils vivent. Filmés en plans fixes et resserrés, ces corps racontent beaucoup de l’histoire de leurs propriétaires.

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Fanny Molins porte également une attention toute particulière aux petits détails de la vie du bar qui, en puzzle, brossent un autre tableau de l’Atlantic, protagoniste du film à part entière. Elle inscrit ainsi son documentaire dans la continuité de la série photo qu’elle avait consacrée à l’Atlantic, sans suresthétisation de sa laideur au charme désuet.

Puis soudain, la caméra s’éloigne de tumulte et Nathalie, Jean-Jacques, Claude et les autres cessent la représentation pour livrer leur tranche de vie cabossée, tantôt sages et lucides, tantôt résignés, parfois alcoolisés et leur parole prend alors des détours plus inattendus. De ces confidences transparaît toute l’intimité de la réalisatrice avec ses sujets qu’elle filme avec délicatesse et tendresse, sans honte de ce qu’ils sont ou ont été.

Un bar politique

Si Fanny Molins avait pu filmer un des nombreux troquets de Bruxelles ou de Lille dont elle est originaire, l’emplacement de l’Atlantic Bar à Arles — ville soumise à une importante gentrification artistique, située dans le département des Bouches-du-Rhône particulièrement touché par la pauvreté — offre une tout autre lecture à son documentaire. On serait d’ailleurs curieux de connaître le regard que porte Nathalie sur la faune qui envahit sa ville chaque été à l’occasion des Rencontres de la photographie.

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Au deuxième jour du tournage, les propriétaires de l’Atlantic Bar ont appris la mise en vente de leur commerce. Nathalie a replongé dans l’alcoolisme et soudainement, le documentaire est devenu beaucoup plus politique — mais jamais démonstratif — faisant résonner d’autant plus fort les thématiques abordées, celles du bar en tant que tissu social qui viendrait pallier des manquements de notre société moderne.

L’Atlantic Bar a fermé ses portes il y a neuf mois et ses anciens propriétaires, en situation de précarité, l’occupent illégalement. Les habitués continuent de le fréquenter mais apportent désormais leurs propres consommations. La réalisatrice, elle, a lancé une cagnotte pour tenter de sauver ce lieu symbolique.

Depuis le 22 mars dernier, Atlantic Bar est projeté dans les salles françaises mais aucun cinéma arlésien n’accueillera le film pour une raison qui échappe à la réalisatrice et à sa productrice :

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“Je ne sais pas si on peut parler de censure, mais c’est évidemment un acte politique que de décider de ne pas diffuser le film. C’est une invisibilisation de gens déjà invisibilisés.”