NEW WAVE 2018 : Sofian Khammes, l’intrépide

Publié le par Lucille Bion,

(Crédit Image : Konbini)

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Remarqué dans Chouf, qui lui a valu d’être pressenti pour une nomination aux Césars en 2017, Sofian Khammes est désormais connu comme le culte Poutine, le dealer déjanté de Romain Gavras dans Le monde est à toi, sorti cette année. Cet inimitable caïd hystéro-pathétique, construit grâce à des choses vues sur Instagram et l’audace du comédien, nous emmène vers des sommets insoupçonnés de la comédie française.

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Du béton des quartiers de Marseille au tapis rouge de la Croisette, le jeune phénomène n’hésite pas à emprunter les sentiers les plus ardus pour mieux se détourner de la facilité. Séduits par ses tentatives et ses prises de risques, on l’a invité à ouvrir cette nouvelle saison de New Wave. Sofian Khammes a choisi de reprendre “La Thune” d’Angèle, avant de se raconter dans une interview toute en anecdotes.

Konbini | Quel âge as-tu ?

Sofian Khammes | 34. Mais je ne joue que des personnages plus jeunes. Une fois, il y a un mec qui….[Rires].

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Quoi ? (Rires)

Non, mais rien [rires]. Les gens sont surpris quand je dis mon âge. J’aimerais bien faire mes 34 ans.

Et t’es né ou ?

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À Paris.

T’as des origines ?

Oui, algériennes.

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T’as grandi où ?

Je suis né à Paris, mais ensuite je suis allé à Marseille. J’ai commencé à faire du théâtre là-bas, à 18 ans. En fait, j’étais dans mon quartier et il y avait un mec, un ancien du quartier qui était respecté, qui se sapait, qui allait en boîte, et tout.

Le mercredi, il partait souvent, et un jour je l’ai suivi en lui demandant où il allait. Au début, il n’a pas voulu me le dire, mais après il m’a dit de le suivre et de ne pas le répéter. Et là il m’a avoué qu’il jouait dans un groupe de théâtre.

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Il voulait pas le dire pour sa street cred ?

De ouuuuf. Au début, je l’ai insulté et puis je lui ai couru derrière. C’est vrai, hein.

Du coup, au début, tu ne voulais même pas devenir acteur ? C’est le fruit du hasard ?

Si, si, j’avais toujours ce désir, mais il y a une frontière sociale que tu n’oses pas franchir. J’avais eu des cours quand j’étais au collège. J’étais vraiment libéré, mais je n’osais pas. J’ai suivi ce mec et ensuite j’ai intégré une compagnie de théâtre. On faisait des spectacles de rue à Marseille.

Puis, à 19 ans, j’ai décidé de monter à Paris, sur les conseils d’un metteur en scène.

C’était pas trop dur de monter à Paris dans l’optique de devenir acteur ?

Franchement, c’était comme un retour pour moi, car je suis né ici : je me suis toujours senti comme un agent-double. Même si je suis toujours supporter de l’OM [rires]

Mon destin était tout tracé, donc partir c’était réinventer mon existence et créer du sens. D’un coup je devenais libre, créateur. Ça va faire “daron”, mais je suis venu avec un jean, deux T-shirts et 20 balles.

Classique : tu dormais sur un canapé et tout.

Classique, oui. “Hôtel basket” : j’étais comme ça, quoi. Quand je me suis inscrit dans un cours privé, j’étais barman la nuit pour pouvoir payer et j’allais en cours le jour… Ça fait trop cliché ! [Rires] En vrai, j’ai pas pris de vacances pendant huit ans.

Je vois le genre… Et sinon, t’avais fait quoi comme études ?

J’ai eu mon bac L et après j’ai fait une année de fac de philo. J’ai pas compris comment ça marchait la fac [rires]. Je ne sais même pas comment je suis arrivé en terminale. J’ai eu 0 en anglais, 1 en espagnol.

T’es sérieux ?

Bah, par contre j’ai eu une super note en philo. C’est grâce à ça que j’ai eu mon bac.

Tu me parles de ton premier casting ?

À Marseille, j’avais passé un casting sauvage pour un téléfilm. Je sais même plus comment ça s’appelait, mais c’était ma première expérience, la première fois que je montais sur un plateau. Une fille m’avait repéré à la sortie des cours du lycée.

Après, à Paris, j’ai passé un casting pour Post coïtum, pendant que j’étais au Conservatoire national. En fait, quand j’étais à l’école, je ne voulais pas avoir d’agent. Je ne voulais pas passer d’essais. Je voulais apprendre à connaître la solitude, renforcer mon désir et découvrir le monde extérieur. Peut-être que j’ai eu tort, peut-être qu’il faut lier les deux… Chacun son parcours. Je n’ai pris un agent qu’à la fin du conservatoire.

Tu t’es vraiment formé tout seul, quoi.

Oui, cette histoire je la répéterai à mes enfants pour qu’ils apprennent la vie [rires].
Non, mais un jour, sur Facebook, une daronne m’a demandé pour sa fille comment on faisait pour devenir acteur, et je lui ai dit avec la plus grande sincérité : “Faut qu’elle croie en ce qu’elle veut, qu’elle renforce et préserve son désir.” Elle m’a répondu que j’étais prétentieux et m’a envoyé chier. Elle pensait que j’allais lui dire de faire telle ou telle école, d’avoir tel ou tel prof. Elle a cru que c’était de l’ironie, alors que c’était très sincère.

Le film qui t’a révélé, c’est Chouf : un long-métrage de Karim Dridi, présenté à Cannes hors compétition…

Oui, Karim Dridi a voulu me rencontrer alors que le casting était terminé, apparemment. Au final, un rôle s’est libéré, j’ai fait des allers-retours entre Paris et Marseille. Après, il m’a proposé le rôle de Marteau, à condition que je retourne habiter à Marseille, histoire que je chope l’accent avant le tournage. C’est un film très réaliste, donc je devais être crédible.

Peu de temps avant le début du tournage, il m’a donné le premier rôle et j’ai foncé. J’aimais bien le côté immersif du film, ainsi que son message sur le déterminisme social.

Il t’a apporté quoi ce film, à part de la notoriété ?

C’est la première fois que j’ai bossé autant sur un film. Il m’a fait beaucoup beaucoup grandir en tant qu’acteur – et en tant qu’homme, aussi.

Ensuite, il y a eu Le monde est à toi de Romain Gavras. La légende raconte que c’était de la folie de tourner à Benidorm, sur la Costa Blanca.

Ah non mais moi dès que je suis arrivé j’ai failli me faire taper par deux Anglais (Rires). J’avais ma valise et y’a un mec qui me fait : “You want to fight me ?” J’ai fait “wooooow“, et je suis rentré à l’hôtel. Pour les raccords, il ne fallait surtout pas que j’ai un bleu, que je m’abime.

De toute façon je suis resté dans ma chambre d’hôtel car il ne fallait pas que je bronze. Romain voulait que je sois bien blanc pour que ce soit schlag. J’ai pas trop vu la ville : j’ai profité de la télé en espagnol et la clim [rires].

Et du chien aussi, c’est un peu lui ton partenaire de jeu (Rires).

Aaaah ce chien, il était chanmé ! J’ai un peu peur des chiens que je ne connais pas. Du coup, on avait prévu de se rencontrer avec le chien, avec mon partenaire. Je suis allé à la campagne, là où bosse le dresseur. Le chien, il est tellement gentil mais il peut te faire mal, comme un ado. Il ne maîtrise pas sa force : avec sa mâchoire ou sa queue il peut te donner des coups, mais il est tellement à l’écoute, il a tellement envie de jouer… c’était une belle rencontre [rires].

Vous avez fait comment pour bosser les scènes ?

Il y avait le dresseur, mais j’avais établi un petit lien avec lui quand même. Comme on avait répété les “tops” avec le chien, c’est parfois moi qui les donnais. Il y avait aussi des astuces : pour que le chien me lèche, on m’avait mis de la gourmandise pour chien sur le cou. Ce n’est pas parce qu’il t’aime en fait, c’est juste parce qu’il a la dalle [rires]. C’était ouf.

Et avec Karim Leklou ?

Jouer avec Karim, ça te fait progresser. Il est tellement fort que tu deviens meilleur. Avec lui, j’avais une grosse liberté. Je pouvais faire des choses étranges, je savais qu’il n’allait pas me juger. Comme dans le regard de Romain : lui aussi il est bienveillant, il a un amour des acteurs. C’est lui, le premier spectateur.

Sur ce tournage, c’était vraiment jouissif. C’était même l’une de mes plus belles expériences de plateau : on était à fond dans le travail, mais c’était tellement drôle.

Tu sais pourquoi il est venu te chercher pour ce rôle ?

J’avais passé des essais, avec Philippe Elkoubi, qui est mort avant la sortie du film et je voudrais le remercier. Je stressais vraiment, j’avais zéro idées. C’était un directeur de casting très spécial : un accoucheur, un poète.
Tu rentrais dans une autre dimension avec lui. Il m’a parlé, il m’a détendu, il a commencé à fumer une clope, il a mis de la musique et j’ai commencé à danser.

Attends, le pas de danse c’est toi qui l’as inventé ?

Oui [rires].

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Le monde est à toi #poutine #romaingavras En salle

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Ah génial ! Tu t’es inspiré de quoi pour approfondir cet inimitable Poutine ?

On m’avait dit de jouer sur la fragilité d’un caïd viril. J’ai voulu jouer sur la névrose du mec. Je t’avoue qu’en vérité tu n’as qu’à aller sur la loupe d’Instagram et tu vois plein de gens qui sont trop… Il y a une sorte d’hystérie dans les réseaux sociaux. Certains mecs des quartiers prennent aussi une certaine posture.

On t’a aussi vu dans un court-métrage, Hédi et Sarah, qui semble faire écho au mouvement #Metoo.

Ce qui est étonnant, c’est que le film de Yohan Manca n’a pas eu sa petite vie en festival. Il a surtout eu une résonance sur Internet, quand vous l’avez diffusé. Mais il a été tourné avant #Metoo, en fait.

C’était un thème cher au réalisateur. C’est un film sur l’obsession et ses limites. Jusqu’où peut-on aller après une rupture ? Avec Yohan on se connaît depuis super longtemps, donc quand il m’a proposé j’ai foncé. Là, on va refaire un long-métrage ensemble.

Justement, c’est quoi tes prochains projets ?

Avec Yohan Manca, on va tourner Mes frères et moi. C’est l’histoire d’une fratrie dans le Sud de la France qui essaye de s’en sortir. Leur mère est mourante et on suit un petit garçon, coincé dans son quartier l’été. Il a un don et est passionné de musique classique. Ça va peut-être vous étonner, mais c’est très drôle.
Sinon, là, je tourne pour le prochain film d’Olivier Babinet, et prochainement je vais tourner dans un film qui s’appelle Padre, de Benjamin Rocher, avec Monsieur Poulpe.

Crédits :

  • Autrice du projet et journaliste : Lucille Bion
  • Réalisation : Raphaël Choyé
  • Monteur : Simon Meheust
  • Cadreurs : Simon Meuheust, Luca Thiebault, Mike Germain
  • Son : Manuel Lormel et Paul Cattelat
  • Créa : Terence Milli
  • Photos : Benjamin Marius Petit