Mank : 10 mots-clés pour tout comprendre au nouveau film de David Fincher

Publié le par Manon Marcillat,

À l'occasion de la sortie de Mank, on vous a concocté un mini-dossier autour de la nouvelle oeuvre de Fincher.

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Pour son (très) attendu onzième long-métrage, David Fincher a choisi d’ausculter la genèse mouvementée d’un monument de cinéma : Citizen Kane d’Orson Welles. Avec le personnage du scénariste du film Herman J. Mankiewicz, le cinéaste raconte la petite histoire derrière la grande et nous plonge dans le passionnant mais non moins impitoyable âge d’or hollywoodien.
Fincher relève avec brio cet audacieux pari et il résulte de ces décennies de travail un film dense et ambitieux, où une galerie de personnages hauts en couleur vient s’insérer dans une temporalité fragmentée. Mais David Fincher ne s’embarrasse pas avec la pédagogie et on ne saurait donc que vous conseiller de revoir Citizen Kane avant de vous lancer dans ce film fleuve en noir et blanc de près de 2 h 15.

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Pour ceux qui n’auraient ni le temps ni l’envie de réviser leurs classiques, voici un lexique à bachoter pour bien comprendre Mank et ainsi l’apprécier à sa juste valeur.

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Orson Welles

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Acteur et réalisateur mythique mais aussi homme de théâtre et de radio, Orson Welles est le génie derrière Citizen Kane, son premier film réalisé et interprété à l’âge de 26 ans. Considéré encore aujourd’hui comme le meilleur film de l’histoire, Citizen Kane a révolutionné le cinéma par son procédé narratif, son principe de caméra narratrice omnisciente et ses prouesses techniques.

À la fin des années 1930, les studios de la RKO offrirent au jeune Orson Welles, tout juste débarqué à Hollywood, l’opportunité de mettre en scène son propre scénario en s’entourant des collaborateurs de son choix et, chose très rare à Hollywood, d’avoir le droit au dernier mot sur le montage final du film. C’est ainsi qu’il fit appel à Herman J. Mankiewicz, scénariste réputé, intègre et honnête mais dont l’alcoolisme notoire mettait les nerfs de son entourage à rude épreuve.

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Personnage de l’ombre dans le film de Fincher, Orson Welles matérialise sa présence essentiellement au travers du téléphone ou lorsqu’il envoie au front le dévoué John Houseman, son associé au sein de la Mercury Theatre Company, pour s’assurer du bon déroulement du travail d’écriture.

Fort du succès critique de Citizen Kane, Orson Welles réalisera par la suite La Splendeur des Amberson, La Dame de Shanghai, La Soif du mal ou encore Le Procès, autant de films au succès commercial relatif mais qui assurent sa réputation de réalisateur visionnaire.

William Randolph Hearst

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Pionnier de la presse à sensation, dite “presse jaune”, William Randolph Hearst fut un puissant magnat des médias et patron de plus d’une trentaine de journaux dont est inspiré le personnage sans scrupule de Charles Forster Kane, héros du film d’Orson Welles.

Assez méconnu hors des frontières de son pays, Hearst fut pourtant une sorte de Rupert Murdoch du XXe siècle, respecté autant que craint du tout-Hollywood de l’époque. Dès lors qu’il eut connaissance du projet Citizen Kane, Hearst tenta d’en interdire le tournage, sans succès. À la sortie du film, tous les titres de son empire médiatique critiqueront avec virulence l’œuvre de Welles.
Si les frasques politiques, médiatiques et amoureuses du millionnaire ont librement inspiré Herman Mankiewicz pour l’écriture du personnage de Charles Kane, c’est certainement la vie sentimentale de Hearst qui fut réinterprétée avec le plus de subjectivité dans Citizen Kane.

“J’ai le sentiment que Charles Foster Kane est la création de Mank et de Welles”, analysera David Fincher à propos de ce personnage. Dans son film, il a donc décidé de s’éloigner de cette vision du magnat américain pour en proposer une version plus nuancée et certainement plus proche de la vérité.

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Marion Davies

William Hearst a entretenu pendant plus de 30 ans une liaison de notoriété publique avec l’actrice Marion Davies. Choriste à Broadway reconvertie dans le cinéma, elle a menée une carrière principalement orchestrée par son richissime amant, en dépit de son véritable talent d’actrice. Dans son avant-propos des mémoires posthumes de la comédienne, Orson Welles écrit à son sujet : “Elle aurait été une star si elle n’avait jamais rencontré́ Hearst.”

Dans Citizen Kane, cette relation deviendra l’histoire du remariage de Charles Kanes avec Susan, une chanteuse d’opéra sans succès qu’il tentera de propulser en haut de l’affiche, allant même jusqu’à lui faire construire un opéra. Mais il la plongera également dans un profond désarroi en braquant sur elle une lumière dont elle ne veut pas.
Mank s’attarde longuement sur l’amitié qui lie Herman Mankiewicz à la sympathique Marion Davies, qu’il a rencontrée lors d’un dîner organisé par le millionnaire dans son somptueux palais, le Hearst Castle, qui inspirera le palais de Xanadu dans Citizen Kane

En compagnie de Mankiewicz, Marion Davies s’autorise à davantage de spontanéité et de sincérité et c’est pour ne pas mettre en péril cette amitié que Mankiewicz réinterprétera cette romance pour l’éloigner de la vérité.

Joseph L. Mankiewicz

Joseph est le frère cadet d’Herman et c’est ce dernier, alors bien installé à Hollywood, qui le convaincra de le rejoindre sur la côte ouest. Dans Mank, on le découvre plus discret et plus raisonnable que son aîné, tentant à plusieurs reprises de le persuader d’abandonner le projet Citizen Kane afin de ne pas se mettre à dos un des hommes les plus puissants des États-Unis, en vain.

Joseph Mankiewicz tirera des leçons des nombreuses erreurs commises par Herman, qui s’est efforcé avec beaucoup de maladresse de combattre la cupidité de Hollywood. Joseph deviendra à son tour scénariste, puis réalisateur et enfin producteur et sa notoriété dépassera largement celle de son aîné.

Il remportera quatre Oscars au cours de sa carrière, deux pour Chaînes conjugales en 1950 puis deux autres un an plus tard pour All About Eve. De son côté, Herman ne remportera qu’une seule statuette pour le scénario de Citizen Kane, qu’il devra partager avec Orson Welles, également crédité au scénario du film.

La RKO

Mank débute en 1940, année où Herman J. Mankiewicz a commencé l’écriture d’American, la première mouture du scénario de Citizen Kane, mais différents flash-back nous projettent au cœur des années 1930 lorsque Hollywood était le centre du monde et le terrain de jeu de Mankiewicz.

À cette époque, l’Amérique traverse une crise économique sans précédent, mais environ 70 millions d’Américains continuent à fréquenter les salles au moins une fois par semaine. Le désir des Américains de s’évader de leur quotidien morose et la naissance du cinéma parlant sont alors propices à une toute nouvelle créativité. 

Cinq grands studios régnaient alors sur Hollywood : la Warner, la Fox, la Metro Goldwyn Mayer (MGM), la Paramount, où Herman Mankiewicz a fait ses débuts, et la RKO. C’est cette dernière qui proposa à Orson Welles de réaliser son premier film en lui octroyant une liberté totale dans ses choix artistiques. Il est très peu question de la Radio-Keith-Orpheum Pictures dans Mank, les Fincher ayant préféré se pencher sur le cas de la MGM, dont Mankewizc abhorrait la mentalité capitaliste.

Louis B. Mayer

Cofondateur de la MGM, le célèbre studio au lion rugissant réputé pour ses films de divertissement familiaux, Louis B. Mayer est un personnage-clé de Mank. C’est lui qui, en 1938, a embauché Mankiewicz pour écrire le scénario du Magicien d’Oz. Si ce dernier contribuera largement à l’immense succès du film grâce à son idée révolutionnaire d’alternance entre le noir et blanc et le Technicolor, les relations entre les deux hommes ne sont pas au beau fixe.

Différents flash-back nous font remonter dans le temps pour mieux comprendre l’influence de Louis B. Mayer dans le cinéma hollywoodien. Sa petite silhouette et ses lunettes rondes font donc partie intégrante du décor et de l’intrigue de Mank.
On l’entendra ainsi minimiser le pouvoir de Hitler à l’occasion de fastueux dîners chez William Hearst, défendre avec conviction les idées capitalistes du parti républicain lors de soirées électorales ou encore se réjouir que le cinéma soit “la seule activité́ économique où le consommateur, après avoir payé, n’obtient rien d’autre que du rêve”.

Upton Sinclair

L’écrivain et militant socialiste Upton Sinclair était l’homme visé par ces faux films anti-socialistes, outils de propagande pro-républicaine orchestrée par la MGM. En parallèle de sa carrière de romancier pamphlétaire, Sinclair mena une carrière de militant socialiste et se présentera au poste de gouverneur de Californie en 1926, 1930 et en 1934 sous l’étiquette démocrate.

En coulisses, on voit Shelly Metcalf, cadreur et cheville ouvrière d’Hollywood, œuvrer au montage de ces fausses interviews de pseudo-citoyens américains, souvent interprétés par des acteurs embauchés par les studios. Dans ces faux témoignages grotesques, on entend notamment un homme pro-Sinclair interroger “ce système qui fonctionne si bien en Russie” ou une femme craindre “la fin de la propriété privée en Californie”.

Pour espérer pouvoir passer un jour à la réalisation, Metcalf choisit donc de sacrifier ses idéaux au profit des malversations des studios qui l’emploient. “Un scénariste est plus dangereux pour un public naïf qu’un politicard”, l’avertira son ami Herman Mankiewicz. C’est le républicain Frank Merriam qui remportera le siège de gouverneur de Californie en 1934.

Pauline Kael

La grande critique de cinéma Pauline Kael n’est pas un personnage de Mank, mais les thèses exposées dans son essai polémique Raising Kane infusent le scénario du film de David Fincher. Selon Kael, Orson Welles n’aurait pas dû être crédité comme coscénariste du film puisque Herman Mankiewicz en est le seul auteur. Une vision partagée par Fincher, qui fait du Orson Welles de Mank un cinéaste désengagé du processus d’écriture.

Citizen Kane fut nommé aux Oscars dans neuf catégories en 1942, mais Mankiewicz et Welles, absents de la cérémonie de récompenses, ne recevront que la statuette du Meilleur scénario. “Je suis très heureux de recevoir cet Oscar de la même façon qu’a été écrit le scénario, c’est-à-dire en l’absence d’Orson Welles”, ironisera Mankiewicz devant un parterre de journalistes amusés à la toute fin du film.

Irving Thalberg

Issue de la fusion de la société Metro Pictures et des studios de Samuel Goldwyn et de Louis B. Mayer, la MGM été dirigée par deux hommes : Mayer, qui gérait les finances, et le producteur Irving Thalberg, dédié à la dimension créative des studios.
Figure très appréciée de l’industrie hollywoodienne, il était surnommé le “Wonder Boy”, connu et reconnu pour la pertinence de ses choix artistiques. Dans le film, Thalberg semble plus discret et réfléchi que son collaborateur, mais Fincher le dépeint également comme un homme pragmatique et prêt à tout pour asseoir son influence dans le panier de crabes hollywoodien.

L’intrigue secondaire de Mank se concentre sur ce duo de dirigeants corrompus qui ont notamment produit des films de propagande destinés à influencer l’élection du gouverneur de Californie en 1934. Atteint d’une pneumonie, Irving Thalberg décédera en 1936 à l’âge de 37 ans.

Writers Guild of America

La Writers Guild of America est le principal syndicat de scénaristes américains. Divisé en une branche est et une branche ouest, il protège et défend les intérêts de plus de 16 000 scénaristes aujourd’hui. Fondée sous le nom d’Authors League of America en 1912 et aujourd’hui très puissante à Hollywood, la Writers Guild connaîtra de grandes grèves en 1952, en 1960, en 1973, en 1981, en 1985, en 1988 et plus récemment de 2007 à janvier 2008. Mankiewizc invoquera notamment la Writers Guild of America lorsqu’Irving Thalberg le presse de contribuer au fonds anti-Sinclair monté par la MGM.