Le fabuleux destin de Nadia Tereszkiewicz

Publié le par Manon Marcillat,

(© Stephane Cardinale – Corbis)

On a rencontré la lumineuse actrice, actuellement à l’affiche de Rosalie de Stéphanie Di Giusto.

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Les rêves de cinéma de Nadia Tereszkiewicz se sont fait attendre. Pourtant, tout l’y prédestinait, et elle l’affirme désormais sans ciller : “Je n’ai jamais été aussi heureuse que depuis que je suis actrice.” Née à Cannes en plein Festival au mois de mai 1996, elle posera sur les célèbres marches rouges à l’âge de 11 ans pour une photo de classe. “Je me souviens qu’on n’avait pas le droit de parler.” Cette année-là, Willem Dafoe venait présenter Antichrist de Lars von Trier et lui adressera un petit mot. “Ça m’avait fait un effet de fou parce que c’était le méchant dans Spider-Man.”

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Elle ne le sait pas encore mais, d’origine franco-finlandaise, elle se sentira intimement liée au cinéma nordique, celui de Thomas Vinterberg, de Joachim Trier, dont le récent Julie (en 12 chapitres) a fortement résonné en elle, et, bien sûr, celui de Lars von Trier, dont elle verra les films quelques années plus tard, qui lui procureront ses premiers grands chocs de cinéma.

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Cinq ans ont passé, et pour ses 16 ans, ses parents lui ont offert un pass pour fouler une nouvelle fois les marches du Palais des festivals à l’occasion de la projection de Soleil trompeur 2 de Nikita Mikhalkov. Le symbole est fort, puisque c’est en hommage à Nadia, la petite héroïne du premier volet, que ses parents lui ont donné son nom. Nadejda Mikhalkova, la fille du réalisateur et interprète de Nadia, est présente à Cannes cette année-là, puisqu’elle y reprend son rôle, et le film obtiendra le Grand Prix du jury. Une étoile avait alors commencé à briller un peu plus fort que les autres au-dessus de la tête toute blonde de Nadia Tereszkiewicz.

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Entrez dans la danse

Mais la jeune fille n’a alors d’yeux que pour la danse. “J’ai eu une enfance un peu particulière, puisque de mes 4 ans à mes 18 ans, j’étais à l’école de danse Rosella Hightower. Personne ne parlait français, et dès mes 11 ans, j’ai voyagé partout en Europe pour danser.” Majeure et baccalauréat en poche, elle partira au Canada pour intégrer une compagnie, avant de finalement renoncer à la danse, de troquer la rigidité du ballet pour celle des prestigieuses classes préparatoires parisiennes où elle est acceptée et de rejoindre l’hypokhâgne du lycée Molière pour l’option théâtre proposée par l’établissement, dont elle profitera pleinement en allant voir des centaines de pièces.

Pour mettre un peu de beurre dans les épinards pendant sa préparation de l’agrégation de prof de lettres et bien qu’elle ait définitivement raccroché les chaussons, l’étudiante danse dans des clips. Et comme on ne balaie pas une vie de danse d’un revers de main, ça sera par la porte de la danse qu’elle fera son entrée dans le monde du cinéma. À l’issue d’un casting, elle sera retenue pour être une silhouette de ballerine dans La Danseuse, le premier film de Stéphanie Di Giusto, où Soko incarne Loïe Fuller, pionnière de la danse moderne, dont Nadia connaissait par cœur la vie et l’œuvre, aux côtés de Lily-Rose Depp en Isadora Duncan.

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“J’étais fan de Loïe Fuller, j’avais fait cinq ans d’étude dessus. Le film mêlait danse et littérature donc c’était tout ce que j’aimais. Ce fut une formidable échappatoire car ça m’a permis de m’évader un peu de la khâgne, je me souviens que je faisais mes dissertations sur la table régie.”

Mais le désir de cinéma n’est pas encore là. Pour ça, il lui faudra d’abord tenir le rôle principal dans Sauvages du réalisateur américain Dennis Berry, fils de John Berry, dans lequel elle interprète Nora, une jeune poète – comme son grand-père dans la vraie vie, un poète finlandais – qui sort de prison, prise de passion pour une jeune artiste punk. “C’est Dennis qui m’a dit que je serai actrice. Je n’y croyais pas parce que toute ma vie, avec la danse, on n’a pas cru en moi. C’était la première fois qu’on me disait : ‘Tu le seras.'”

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C’est sur ce tournage qu’elle s’est également forgé une solide culture cinématographique avec une émérite professeure, dont aucune aspirante actrice n’aurait osé rêver : Anna Karina, alors mariée à Dennis Berry. “Anna Karina et Dennis Berry étaient inséparables, c’étaient des gens profondément bons. Ils m’ont donné goût au cinéma, ils m’ont fait découvrir tous les Cassavetes, les Truffaut, les Godard. C’est Anna qui m’a montré les films de Godard, j’avais un vrai manque de culture cinéma.”

Les tournages s’enchaîneront – Persona non grata de Roschdy Zem, Seules les bêtes de Dominik Moll, Tom de Fabienne Berthaud –, puis ils s’accéléreront lorsque Monia Chokri la cueillera pour lui confier le rôle de la babysitter semeuse de troubles dans son film éponyme. La réalisatrice québécoise tenait d’ailleurs de très jolis mots au sujet de l’actrice à notre micro : “C’est une actrice extraordinaire, un humain extraordinaire et elle est devenue une de mes meilleures amies. Elle fait ce métier pour les bonnes raisons, parce qu’elle aime les mots. C’est une des seules personnes du cinéma à avoir lu tout Dostoïevski. Elle est drôle comme un singe et belle comme le jour.”

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Puis la véritable révélation, sous forme de consécration, lorsque Valeria Bruni-Tedeschi fera d’elle son alter ego dans Les Amandiers, un long-métrage sur la troupe de théâtre du même nom à laquelle appartenait la réalisatrice dans les années 1980, sous la direction sévère et abusive de Patrice Chéreau. Ce sera un rôle d’une remarquable intensité pour Nadia Tereszkiewicz, pour lequel on lui aurait pressenti le Prix d’interprétation à Cannes où le film était présenté en compétition officielle mais qui lui vaudra finalement le César du Meilleur espoir féminin en 2023.

Sept ans après sa brève figuration dans La Danseuse entre deux dissertations sur un coin de table, la désormais actrice établie recroisera par hasard Stéphanie Di Giusto qui travaillait sur son second long-métrage. “On s’est croisées dans la rue, j’avais un masque mais elle m’a reconnue et m’a proposé de venir passer les essais pour Rosalie. La vie est folle, quand même.” Est-ce son érudition pour la littérature classique qui lui donne ce goût prononcé pour les rôles de femmes d’époque ou cette plastique comme sortie d’une toile de maître qui en fait une interprète idéale ? Certainement un peu des deux, et elle sera retenue par la réalisatrice pour incarner Rosalie, le personnage au cœur de son deuxième film, inspirée de Clémentine Delait, célèbre femme à barbe française du début du XXe siècle.

Pour ce film, qu’une écriture moins fine, une mise en scène moins délicate et une interprète moins talentueuse auraient pu transformer en embarrassant freakshow, l’actrice a travaillé trois mois, “au millimètre près”, pour trouver cette femme à barbe réaliste, qui a soif d’amour et d’émancipation, en laquelle on l’a transformée, poil après poil, et qui a bouleversé à tout jamais son rapport à la féminité. “Je n’ai pas trop réfléchi avant d’accepter le rôle, j’étais très naïve. A posteriori, je pense que si j’avais trop réfléchi, j’aurais certainement eu peur du ridicule car ce sont des images qui restent à vie.”

Danse, littérature, poésie, théâtre, cinéma, impossible d’aborder tout ce qui touche sa sensibilité dans le temps très court que l’on nous a accordé avec elle. Notre dernière question s’adressera donc à Nadia Tereszkiewicz lectrice : quelle héroïne de la littérature aimerait-elle incarner ?

“Je pense que j’aimerais jouer une héroïne d’Alice Munro, une autrice canadienne prix Nobel de littérature en 2013, qui écrit tellement bien pour les femmes. Elle raconte des choses très quotidiennes mais qui parlent de grands sentiments. Puis ce sont des nouvelles, donc il y a plein d’héroïnes possibles. Dans le recueil Fugitives, je suis sûre qu’il y aurait une nouvelle à adapter.”

Entre deux portes, pressée par une attachée de presse au planning chargé, on est pourtant presque certains que l’étoile qui semble guider les pas de Nadia Tereszkiewicz aura entendu cette dernière volonté.