Jeunesse sonique : de Kyo à Bonobo, Fakear revient sur la musique qui l’a forgé

Publié le par Arthur Cios,

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S’apprêtant à quitter nos bureaux après 45 minutes de discussion, Théo Le Vigoureux, ou Fakear pour les intimes, regarde son portable, ouvre grand ses yeux et lâche un gros “oh putain c’est ouf !“. Il regarde son attaché de presse, avant de nous expliquer : “je viens de recevoir un mail, Deep Forest veulent que je les remixe, c’est génial“.

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C’est que tout le long de l’interview, le bonhomme a dû citer le groupe français au moins à six reprises. Et pour cause, puisqu’il s’agit de l’une des grandes sources d’inspiration du jeune artiste. On imagine facilement ce qui se passe dans la tête de Théo à ce moment précis.

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Pourtant, ce n’est pas la première fois que ce genre d’évènement se produit pour lui. En novembre 2014, il faisait la première partie de Bonobo, autre grand modèle du Caennais. Depuis, il a signé chez Ninja Tune, l’immense label qui héberge une flopée d’autres grands artistes qui sont, en partie, à l’origine du son propre à Fakear.

Alors qu’est sorti son premier album, Animal, on a été parler avec lui de la musique qui l’a forgé, des morceaux de sa jeunesse, avant de finir sur un de nos formats vidéo, la Track-ID : Deep Forest, Bonobo, mais aussi Kyo, cette mini-interview reste le meilleur moyen d’introduire notre long entretien avec ce jeune DJ français qui ne cesse de monter.

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1. Sans mentir, quel est le premier disque que tu as acheté ?

C’est Le Chemin de Kyo. Voilà [rires]. J’avais 11 ou 12 ans. J’écoutais du rock au départ, c’était mon délire. C’était le single que je m’étais acheté. Je ne sais plus où il est mais je ne regrette pas, c’était un moment de ma vie très émotionnel, c’était très cool.

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Tu les as vus en concert ?

Ouais, mais bien plus tard, à Caen pour la tournée de l’album d’après. J’avais fait un combo, la veille j’avais vu Tryo et après Kyo [rires]. C’était ma came pendant un moment.

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2. Le truc que tes parents écoutaient, que tu trouvais horrible et que tu adores aujourd’hui ?

Je ne saurais pas dire le titre exact, mais le featuring de Sting avec Cheb Mami. Vous voyez ce morceau ? C’est pas si vieux mais c’est ultra connu. À l’époque, je n’y arrivais pas. Et puis je l’ai réécouté il y a pas longtemps et je me suis dit “ouais c’est pas mal, c’est chill en fait“. C’est un truc de daron quoi [rires].

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Ils écoutaient un peu de variété du coup ?

Bah pas tant que ça en fait. Un peu de variété internationale, ou alors classique-jazz-world.

Ça a eu une influence sur ta musique ?

À fond ! Bah surtout sur l’aspect world musique en fait, parce que j’ai vraiment grandi là-dedans. Même cette track que je n’aimais pas du tout, je pense que ça m’a influencé aussi parce qu’ils l’écoutaient tout le temps. J’en ai des souvenirs vraiment précis quoi. Après, il y a aussi Deep Forest ou les groupes comme ça. Ça, j’adore l’écouter maintenant, ça a un petit côté Goa Trance. Et sinon, Phil Collins. Ils l’écoutaient vachement et ça m’a influencé aussi. Phil Collins époque Tarzan, quand on était gamin quoi, et même un peu avant, l’album Dance into the Light.

3. Le premier morceau que t’as appris à jouer ?

C’était à la basse, ça devait être “Numb” de Linkin Park.

La ligne de basse était pas folle mais je ne savais pas en jouer donc il me fallait un morceau un peu tranquille. En plus, mon père a eu la bonne idée de m’offrir une basse et le best-of des Red Hot Chili Peppers [rires]. Du coup, j’ai complètement flippé, je me suis dit “c’est pas du tout un instrument pour moi, c’est super dur, j’y arriverai jamais.” J’ai finalement réussi à jouer du Red Hot et j’ai arrêté tout de suite après. J’avais des cloques partout, ça ne servait à rien. J’en ai fait deux trois ans. J’ai commencé à faire de la guitare quand je faisais encore de la basse aussi, donc en fait ça s’étale sur une dizaine d’années, à tour de rôle.

La basse, ce n’était pas ton premier instrument ?

Non, j’ai aussi fait du saxophone plus jeune mais c’était plus scolaire. Je sais plus, j’ai joué tous les thèmes de Disney, du Roi Lion notamment. C’était trop bien mais voilà, ça n’a pas duré hyper longtemps.

C’est toi qui as choisi le saxo du coup ?

Ouais. Je me souviens, à 7 ans, je voulais en faire mais ils m’ont dit que je devais attendre parce que j’étais trop petit, c’était trop lourd pour moi. J’ai dû attendre 2 ans et après j’en ai fait 4-5 ans, quelque chose comme ça. Maintenant c’est trop loin. Si je reprends mon saxo, je ne saurais rien faire du tout.

4. La chanson que t’écoutais quand t’étais jeune, un peu douteuse et que t’assumais pas auprès de tes potes ?

On y revient mais Deep Forest, “Sweet Lullaby”, le morceau de la pub d’Ushuaia.

Alors aujourd’hui je l’assume de ouf, mais quand je suis arrivé en sixième dans un collège de campagne en Normandie et que j’écoutais ça, que j’avais les cheveux longs, un pull marin et que je jouais du saxophone, laisse tomber [rires]. Pire que tout. Les mecs m’ont dit “stop, t’arrêtes tout de suite maintenant“. Tant que j’avais pas un sweat Nike, des pics en cheveux sur la tête, que j’écoutais pas Eminem ou NRJ et que je jouais pas au foot…

Du coup, t’as écouté Eminem ?

Ouais [rires] ! J’ai fait tout ce qu’ils m’ont dit. Je me suis coupé les cheveux, pour me faire des pics avec du gel, je me suis acheté des sweats Nike, j’ai arrêté le saxo pour me mettre à la basse. J’écoutais Eminem mais pas très longtemps. Je voulais écouter du rap mais je me suis arrêté à Eminem parce que je n’arrivais pas à aller plus loin. Eminem a quelque chose au niveau de ses instrus de très pop et qui est facilement écoutable. Après, je suis vite parti en mode rock. Je me suis fait pousser les cheveux plus longs encore et je suis parti dans l’école skater. Tu sais, souvent ça se divise en deux, les “cailleras” et les “skaters”. Bah moi, j’étais parti dans l’école “skater” à fond les ballons.

Et maintenant, tu en écoutes un peu plus ?

Ça m’arrive, mais c’est toujours pas un style que j’aime écouter à la longue. Je ne pourrais pas passer une journée entière à n’écouter que ça. Mais j’aime bien, quelques sons de temps en temps, des grosses tracks du rap US pour la plupart.

Pour rebondir dessus, il y a M.I.A qui t’a approché pour son nouvel album.

Pour que je fasse une track ouais. C’est bon, c’est fait. Ça s’est fait par mail, dans le même temps que l’échange sur Twitter. En fait, trois mois avant, je lui avais envoyé un dossier avec une dizaine de prods pour son nouvel album, en me disant qu’elle ne répondrait jamais. Et suite à son tweet, il y a eu un échange de mails entre nos managers. De là, j’ai retravaillé le track qu’elle avait choisi – un vieux son qui n’est jamais sorti – et je lui ai renvoyé. Ça sera dans son prochain album.

Il y a des collaborations dont tu rêves ?

J’ai pas vraiment de rêves. J’aime bien que l’échange soit humain. Typiquement, avec M.I.A., il n’y a pas du tout eu ce feeling. Ça a été des échanges très distants, très formels finalement, pas plus de liens que ça, en fait. J’aurais préféré qu’il y ait un vrai lien humain, mais je comprends très bien cette façon de faire, je n’étais pas déçu par elle. Mais ça reste cool pour moi, et puis j’aime bien M.I.A.

Tu la rencontreras peut-être quand elle viendra à Paris, pour le Pitchfork Festival.

Ouais. Je ne sais pas, je verrai où je suis. Tu sais, maintenant que j’habite plus à Paris, moins j’y suis et mieux je me porte.

5. Un morceau ou un album qui t’a vraiment donné envie de produire de la musique ?

Black Sands de Bonobo, sans hésitation. C’est complètement fou. Je produisais déjà, pour moi dans mon coin, et mes modèles, c’était plus Archives, Massive Attack, Portishead, enfin du trip-hop. Je produisais des sons comme ça. Et j’aimais déjà bien Bonobo, mais c’était trop jazzy, c’était un autre langage. Je me disais que je n’arriverais jamais à maîtriser ce côté soul/jazz, c’était trop classe pour moi.

Et puis il y a eu Black Sands. “Prelude/Kiara” [les deux premiers morceaux de l’album, ndlr], j’en ai pleuré. C’est lui qui a fait ressortir le côté oriental/japonisant de Fakear tu vois, grâce à cet album justement. Je me suis rendu compte que c’était possible de faire de la musique électronique avec des instruments, que c’était possible de la rendre belle et exotique. Ça a ouvert plein de portes. Mais même pour Gabriel [Superpoze, ami d’enfance de Fakear, ndlr] d’ailleurs, on a tous les deux pris une sacrée claque avec Black Sands.

Du coup, ça a du être incroyable pour toi de faire sa première partie aux Folies Bergères en novembre 2014 ?

Tellement [rires]. Alors pour l’histoire, je l’avais déjà rencontré en 2010. Il était passé dans un petit festival de jazz en Normandie, et à l’époque, avec Gabriel , on était journalistes dans une radio étudiante de Caen. On s’était dit “vas-y mec, on se chauffe, on y va, on va au concert et on va l’interviewer“. Du coup, on était passés derrière la scène, on était allés lui poser trois questions à la fin de son concert, alors que nous, on maîtrisait l’anglais comme des merdes. On avait récolté trois petits trucs.

En même temps, il sortait de concert, il était crevé, il s’en foutait un peu. Par contre, je m’en souviens hyper bien, on avait parlé une demi-heure avec le batteur. Et puis, aux Folies Bergères, on s’est pas croisés, enfin quasiment pas. Par contre, j’ai rejoué avec lui en Suisse, au début de l’été dernier, à Sierre au festival Au Bord de l’Eau. Je venais de signer chez Ninja Tune. Il est venu vers moi et il m’a dit genre “welcome to the family“. C’était fou quoi, recevoir des compliments de Bonobo [rires]. Les Folies Bergères c’était un grand pas, mais là, j’étais vraiment fou.

Il y en a d’autres qui ont eu cet impact sur toi ?

Flume. Que ce soit ses toutes premières productions ou son album. Ce disque m’a donné une claque, pas une claque artistique mais plus au niveau du culot du mec. Il m’a prouvé que tu pouvais faire ton truc en étant complètement à l’arrache, parce que le premier album est complètement arraché. Il y a des différences de mix énormes entre les morceaux.

C’est produit bizarrement en fait, c’est-à-dire que t’as “Insane” d’un côté, qui est super classe, super bien conduit. Et de l’autre, t’as des morceaux comme “Space Cadet” où tu sens que les sons sont vieux, qu’il les a fait avant, qui sont très vides et sonnent hyper old school. Et le gars assumait ça totalement. Ça m’a fait reconsidérer ma propre musique en me disant qu’il faut tout assumer. Bon, et plus récemment sinon, Jamie XX. Ouais.

6. Le disque que t’écoutais jeune et auquel tu resteras fidèle toute ta vie ?

Deep Forest. C’est LE disque, fil conducteur. C’est un peu du Fakear en 1994. C’est exactement les mêmes ingrédients qui font ma musique aujourd’hui en fait. Un beat un peu électro, enfin à l’époque c’était un peu plus transe, des synthés, des nappes et des voix africaines, d’Inde ou du Japon. C’est kitsch. J’ai juste upgradé le concept finalement.

Tu t’es pas détaché de ses voix pour ton album  ?

Un peu ouais. C’est vrai que sur Animal, c’est peut-être un poil plus minimaliste et du coup, un poil moins marqué “world”. J’y reviens vachement en ce moment. En fait, c’est par vague. Mais voilà, c’était ma vibe du moment. Là, ça va revenir. J’ai envie d’assumer un peu plus ça. Et plus je m’éloigne de la ville et plus j’ai envie de l’assumer.

Tu voyages beaucoup du coup pour essayer de t’inspirer ?

Pas trop. C’est plus de l’imaginaire. Maintenant, je m’inspire davantage de ma vie quotidienne, de mes émotions, de ce que je vis, de ce que j’aime. Je n’ai pas tant voyagé que ça en fait. Et quand je tourne, c’est pas vraiment du voyage à proprement parler en fin de compte. Tu vois pas du pays, tu vois que des villes et c’est tout.

Même plus jeune ?

Si si, je voyageais un peu mais plus en Europe. Je suis allé au Japon il y a deux ans mais sinon ça a toujours été l’Europe. Europe de l’Est, Europe du Nord, en mode sac à dos. Mais voilà, c’est plus l’imaginaire qui prime dans mes inspirations, et je préfère que ça le reste.

C’est surprenant. Il y a quand même des morceaux, comme “Darjeeling”, où on a vraiment l’impression que t’es parti en retraite en Inde pendant un sacré bout de temps.

C’est comme ça que j’imagine ça en fait. Pour moi, ça ressemble à ça, et quand j’irai, ça ne ressemblera probablement pas à ça. Tu vois, à l’époque où je suis parti au Japon, ça s’est clairement senti. “Morning in Japan” est ma vision du Japon, tandis que “Asakusa” c’est l’expérience du Japon. Et les deux morceaux n’ont, mais alors pas du tout, la même gueule. Le deuxième est vachement plus sombre, plus urbain, plus minimaliste alors que “Morning in Japan” est super fleuri, plus ensoleillé. Mais là, je vais me faire trois mois en Asie à partir de novembre, en mode sac à dos. Thaïlande, Cambodge, Laos quelque chose comme ça, pour voir ce que ça donne.

7. Du coup, quel est le disque de ton premier voyage ?

Mon premier grand voyage, ça devait être en Bulgarie ou en Turquie, mais je n’avais rien emmené pour écouter de la musique. Par contre, j’ai fait un petit mois en Islande et j’avais emmené Tomorrow’s Harvest de Boards of Canada. Putain. En Islande. Laisse tomber [rires]. “Reach for the Dead” quand t’es là, au milieu du désert islandais, que c’est plat à des centaines de kilomètres à la ronde, tu traverses le truc, t’es là, que toi avec ta tente et ton sac. T’écoutes ça, tu flippes. Tu te sens petit, tu te dis que tu vaux rien du tout [rires]. C’est fou, c’était mortel, c’était une expérience du vide sidéral, j’avais l’impression d’être dans l’espace.

8. Un morceau pour supporter une rupture difficile ?

“Telegraph Road” de Dire Straits. C’est le premier morceau de l’album Love Over Gold. Il dure 14 ou 15 minutes. Celui-là, ouais, m’a aidé à passer le truc. Je ne sais pas pourquoi. Je l’écoutais à ce moment-là, et il a incarné la respiration que j’ai prise pour repartir vers d’autres choses.

Tu parles beaucoup d’electronica, comme Bonobo ou Boards of Canada, mais aussi de rock comme maintenant. Le rock a une influence sur ta musique aussi ?

Dans la structure ouais. Le truc couplet-refrain-pont, limite solo parfois, ça trippe. Ou des samples. C’est inconscient je pense, et puis généralement, à part dans la techno, les gens se collent assez à ça dans tous les styles. Je pense que c’est un peu mes racines pop-rock qui restent. Puis quand je fais des morceaux comme “Ankara”, j’ai envie que ce soit rock avec un mur de son, et que même si c’est lent, tu bouges la tête dessus. J’aimerais bien que les gens bougent la tête comme ça en concert.

Entretien co-réalisé avec Rachid Majdoub