De Drake à Lenny Kravitz, tout le monde en pince pour Gabriel Garzón-Montano

Publié le par Adrien Colle,

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Adoubé par Lenny Kravitz et propulsé hors de l’underground par “l’effet Drake”, le new-yorkais Gabriel Garzón-Montano vient de sortir son second album, Jardín, sur le label Stones Throw. En concert ce samedi 18 février à la Bellevilloise, nous avons eu la chance de lui poser quelques questions. Retour sur un parcours singulier et moderne à tous points de vue. 

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C’est l’histoire d’un jeune de Brooklyn qui commence la musique dès le plus jeune âge et fait la découverte de Prince lorsqu’il a 15 ans. Il bricole des morceaux dans sa chambre et quelques années plus tard, il achève son premier album. À la faveur d’un post sur Facebook, un label underground découvre ses morceaux. Puis en l’espace de dix-huit mois, Mayer Hawthorne achète le disque, Lenny Kravitz l’emmène en tournée et Drake lui propose de sampler un de ses morceaux. A priori, c’est un début de carrière des plus modernes, une histoire de buzz comme il en existe bien d’autres. Pourtant, la trajectoire de Gabriel Garzón-Montano est singulière et en dit long sur notre époque. Rencontre avec un surdoué de la soul pour qui tout est allé un peu trop vite.

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De John Lennon à Sly Stone

Né d’un père colombien et d’une musicienne française ayant collaboré avec Philip Glass, le jeune Gabriel démarre son éducation musicale avec le violon à l’âge de six ans. Il parfait son apprentissage aux côtés de sa mère, appliquant la méthode Suzuki – qui consiste à apprendre à l’oreille avant de lire la partition – et répétant trois fois chaque passage en cas d’erreur. Cette introduction studieuse est un peu pénible pour le jeune garçon qui, préférant les accords saturés de Nirvana, abandonne le violon à l’âge de treize ans et commence la guitare.

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Il commence à écrire ses propres compositions à la guitare acoustique, inspirées par ses idoles d’alors que sont John Lennon, Radiohead ou encore Ben Harper. À l’âge de quinze ans, le jeune Gabriel est missionné pour mettre de l’ordre dans le studio du compagnon de sa mère, lequel établit une récompense : pour un mètre carré nettoyé, Gabriel pourra découvrir une nouvelle chanson de Prince.

“C’est comme ça que j’ai découvert l’album Sign ‘O’ The Times qui est encore aujourd’hui un de mes albums préférés. C’était un ensemble d’éléments musicaux que je n’avais jamais appréhendé auparavant, un style vocal incroyable… Puis j’ai fini par apprendre qu’il écrivait et enregistrait tout lui-même et j’ai réalisé à quel point il était un immense artiste.”

Prince est une révélation et la porte d’entrée dans la black music pour le jeune Gabriel qui se met alors à acheter de manière compulsive les albums de Sly Stone, Marvin Gaye, James Brown, Outkast, Viktor Vaughn (MF Doom), ainsi que Ready To Die (The Notorious B.I.G.), dont il connaît chaque parole. Bientôt, Gabriel se lasse de ses petits concerts dans les bars. Limité par le format indémodable du singer-songwriter folk, il a soif d’arrangements de piano, de cuivres, de rythmes de batterie et de percussions.

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À force d’écouter Prince et de décortiquer chaque seconde de Sing A Simple Song de Sly Stone, Gabriel décide de monter Mokaad, un groupe de funk de onze musiciens dont il écrit tous les arrangements, des cuivres au chant. Mais une fois de plus, ce nouveau projet finit par le lasser, sonnant trop comme les vieux disques de funk qu’il idolâtre. Désireux de trouver sa propre voix, il fait écouter ses compositions à Henry Hirsch, ingénieur du son renommé pour son travail avec Lenny Kravitz, dont il fait la rencontre grâce à son amie Zoë Kravitz. Hirsch trouve le disque trop touffu, trop complexe. Mais il rassure le jeune homme : son talent est indéniable, sa musique a encore besoin de temps pour s’exprimer dans toute sa singularité.

Bishouné 

Pendant ses années à l’université, Gabriel continue à écrire, à produire quelques morceaux ici et là. Progressivement, le jeune musicien a la sensation de trouver sa voix, de parvenir à un compromis entre ses influences folk de jeunesse et le groove, la richesse des arrangements des disques de funk de Prince et Sly Stone. Durant ses quatre années à l’université, ils peaufinent les morceaux qui constitueront la matière de son premier album, Bishouné – Alma del Huila. Tout logiquement, c’est avec Henry Hirsch qu’il choisit de les finaliser en studio. Cinq mois passent et Gabriel décide finalement d’uploader les morceaux sur SoundCloud.

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Grâce à son ami Zach du groupe Archie Pelago, il est approché par le label Styles Upon Styles, qui lui propose de presser le disque à 500 copies vinyles. Éternel bout-en-train, Gabriel décide de tenter sa chance, même s’il a du mal à saisir l’intérêt de ce label plutôt orienté techno. À la manière d’un label underground, Styles Upon Styles distribue patiemment les copies de Bishouné de disquaires en disquaires, dont le célèbre A1 Records Shop, véritable repère de beat heads et autres amateurs de musique soulful. Séduit par le disque, un certain Mayer Hawthorne en achète deux copies et en parle de manière enthousiaste à ses managers. Ces derniers s’empressent d’appeler le principal intéressé.

“Après le show à l’O2 Arena, Drake m’appelle”

C’est au tour de l’illustre Lenny Kravitz de faire appel au jeune homme. Celui-ci lui propose, par l’intermédiaire d’Henry Hirsch, d’intégrer son groupe sur sa tournée européenne. Gabriel en profite évidemment pour lui envoyer son album et cette première proposition de collaboration se transforme bientôt en opportunité de première partie.

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“C’était ma première tournée, je n’avais aucune expérience de la tournée. Je me suis retrouvé à jouer devant des milliers de personne. C’était une expérience incroyable, mais c’était exténuant. Être en tournée, avec 12 heures de bus par jour, je sortais tout le temps, je me bourrais la gueule.”

Peut-être ces comportements étaient-ils une simple échappatoire à la fatigue et la nervosité inhérentes à une première expérience de cette envergure ? À mesure que la tournée avance, Gabriel réalise que ses compositions intimistes ne sont guère transposables aux grandes salles de concert. Lenny Kravitz tente de prendre le jeune musicien tourmenté sous son aile. Mais sa rigueur et son professionnalisme impressionnent Gabriel, qui ne cesse de se comparer à lui et éprouve le sentiment croissant de ne pas être à sa place.

“Ces premières parties m’ont fait comprendre que je ne serai jamais un artiste qui écrira de la musique pour les stades. Ce n’est pas moi. Quand je vais voir un concert, je trouve qu’au-delà de 2000 personnes, ça n’a plus aucun sens. On n’entend rien, l’artiste est contraint d’hurler ou de faire de grands gestes. Ça ne ressemble pas au disque.”

The Drake effect

Après le show à l’O2 Arena, Gabriel reçoit un mystérieux appel. On lui explique tout simplement que Drake voudrait utiliser son morceau 6 8 pour Jungle, futur single de l’album If You’re Reading This, It’s Too Late. Drake vient tout juste de sortir les morceaux Six God et How About Now, deux morceaux que Gabriel apprécie beaucoup, témoin selon lui d’une certaine maturité, d’une trajectoire artistique plus robuste de la part du rappeur canadien.

“L’artiste le plus vendeur au monde m’appelle, alors que moi, je ne suis encore qu’un inconnu. Je me suis dit ‘cool, tout le monde va pouvoir me découvrir, écouter ma musique’. Au moment de la sortie de l’album, tout le monde m’appelle pour me féliciter. Tous mes amis m’appelaient, tout le monde me posait la même question : ‘Alors comme ça, tu as été samplé par Drake ?’ C’était devenu comme une carte d’identité pour moi. J’étais devenu ‘le mec qui a été samplé par Drake’, c’est comme ça que j’existais artistiquement.”

Gabriel enchaîne les interviews. Sa vie tourne bientôt autour d’un seul morceau, d’une seule anecdote. Son entourage ne peut s’empêcher de lui rappeler cet “heureux événement”, d’évoquer avec lui sa réussite naissante. Pourtant, il devient de plus en plus difficile pour Gabriel d’entrevoir le positif dans cette histoire.

“Je vis à Brooklyn. Quand il y a un gros disque qui sort, tout le monde le joue. Tu l’entends sur les portables des gamins qui fument un joint sur le parvis d’un immeuble, au coin de la rue dans une bagnole. Tous les jours. Ça me poursuivait, c’est comme si tout était réuni pour faire en sorte que j’y pense tout le temps. Je regardais mon téléphone… Drake. Sur Internet… Drake. À la radio… Drake. “

Il s’attèle bientôt à l’écriture de son second album, comme pour tirer un trait sur une année dont il éprouve alors des difficultés à faire le bilan. Après plusieurs mois de réflexion sur ses expériences avec Lenny Kravitz et Drake, il s’estime chanceux d’avoir toujours pu rester lui-même, de ne pas avoir été forcé à flirter avec le mainstream, d’être finalement la preuve tangible que l’underground continue d’irriguer l’industrie de la pop.

“En fait, toutes ces expériences sont arrivées trop tôt pour moi, j’avais le sentiment d’avoir loupé une étape. Finalement, je me sens reconnaissant à l’égard de tout cela, de Lenny, de Drake. Ça me fait une histoire à raconter et ça m’a permis de toucher de nouvelles personnes, pour leur raconter une autre histoire. Et celle-ci n’implique que moi.”

Jardin secret

Sorti le 27 janvier sur le label californien Stones Throw (J Dilla, Dam-Funk, Aloe Blacc), l’album Jardín est cette nouvelle histoire. Désireux de se recentrer et de reprendre enfin le cours normal de sa vie après une année difficile, Gabriel a conçu Jardín comme un espace intime, un objet artistique inébranlable. Très critique à l’égard de ses abus passés, Gabriel dit avoir trouvé la paix intérieure en observant une stricte sobriété et en pratiquant assidûment la méditation. Il parle avec un certain aplomb, attentif, disponible, présent. Chose rare, il ne regardera pas une seule fois son portable durant toute la durée de l’interview. Lorsque je l’interroge sur ce sujet, la sentence tombe :

“Quand tu vois à quel point les gens se droguent aux réseaux sociaux, passent tout leur temps sur leur téléphone, incapables de s’asseoir cinq minutes et de prendre le temps de contempler le ciel. C’est trop pour eux. Et ça me rend dingue, je me dis qu’on a besoin de prendre soin de nous-mêmes. Et c’est ce dont ma musique parle. Créer cet espace de confort, un espace intime où se déploie la beauté. Cette appréhension esthétique de la beauté, de même que l’amour, c’est la chose la plus importante pour l’être humain.”

Sur le plan musical, Jardín est la continuation directe de Bishouné, son premier album. Gabriel a renouvelé l’expérience avec Henry Hirsch, travaillant dans son studio. Il parle de sa méthode d’écriture avec beaucoup d’entrain et d’aisance, décrivant un workflow limpide, intuitif avec de grands gestes.

“Boîte à rythme 707, piano main droite, puis main gauche, puis seulement main droite, tu ajoutes la basse, t’enlèves le beat. Un peu de percussions, un peu de voix, and then it’s done

Pourtant, les chansons de Jardín ne frappent pas par leur simplicité. Au contraire, elles charment par leur fluidité rythmique et la richesse des harmonies déployées. Tout au long des dix compositions de Jardín, Gabriel Garzón-Montano développe une soul miniaturiste, colorée, généreuse en basses élastiques et résistant à tout classicisme – ou plutôt les contournant habilement. Conscient de la méticulosité et de l’excès de contrôle qu’il exerce sur sa propre musique, Gabriel mesure les écueils potentiels de son attitude artistique :

“C’est difficile d’avoir un impact en tant qu’artiste. Il faut savoir accepter d’être incompris. J’ai réalisé grâce à des artistes tels que Prince que cette dimension spectaculaire, ce showmanship était impérative pour espérer impulser le moindre changement par l’art. Il faut savoir divertir, tout en délivrant un message sain et bienveillant. Si tout est maîtrisé, tout est ‘soft’, comme j’ai l’habitude de le faire, cela aura moins d’impact.”

Peut-être faut-il entrevoir là une direction potentielle pour le futur de la carrière de Gabriel Garzón-Montano ? Malmené par un début de carrière accéléré, artiste mort-né, obsédé par son destin fulgurant, Gabriel avait vraisemblablement besoin de retrouver son intimité. À cet égard, la trajectoire de Gabriel Garzón-Montano est le témoin d’une modernité où le buzz et les soubresauts de l’industrie pop fabriquent autant qu’ils détruisent les ego. Que faut-il donc attendre pour la suite ? Amateur de hip-hop depuis le plus jeune âge, Gabriel se dit fasciné par les évolutions du mouvement trap. Sur le plan musical, du moins, car il juge la plupart de ces rappeurs irresponsables dans leurs propos, notamment à l’égard des femmes.

“Nous devons tous apprendre des femmes. Je l’ai toujours su, j’ai eu la chance d’avoir une maman incroyable, ma sœur et ma copine sont beaucoup plus mûres que moi. Ça me paraît évident. Toutes les choses, les personnes qui recèlent une certaine richesse intérieure, difficile à appréhender pour le mâle blanc, sont aujourd’hui réduites en esclavage. Ce dont il faut être conscient, c’est que ces personnes, qui ne possèdent rien en apparence, ont au contraire tout à nous apprendre.”

Des mots dits avec une certaine pesanteur et hauteur de vue, des mots qui n’ont pas fini de résonner pour les quatre années à venir de la présidence Trump. Jeune, conscient, riche d’un triple héritage culturel et élevé dans la ville la plus cosmopolite au monde, Gabriel Garzón-Montano s’affirme comme l’une des voix soul les plus importantes de l’Amérique anti-Trump.