FRENCHMEN #2 : Demi Portion, l’artisan du bic

Publié le par Rachid Majdoub,

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Ils représentent la nouvelle vague du rap français. Freestyles, photos, interviews : de leur style à leur flow, voici les FRENCHMEN, par Konbini. Après Prince Waly hier, place aujourd’hui à une “grande gueule” bien connue du milieu, mais qui pose enfin un pied sous les projecteurs : Demi Portion.

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Habité par sa passion, Demi Portion commence enfin à avoir le succès qu’il mérite, après des années de travail acharné. L’enfant de Sète apporte au rap français son accent du sud, son cheveu sur la langue, son flow chirurgical et ses textes réfléchis.

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Le tout, toujours de chez lui, comme en témoigne son nouveau projet fait de freestyles, intitulé “2 Chez Moi”.

À lire -> FRENCHMEN #1 : Prince Waly, futur roi

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Après Prince Waly, place à une “grande gueule” bien connue du milieu, mais qui pose enfin un pied sous les projecteurs : Demi Portion.

Regardez son freestyle exclusif sur un beat signé Black Stars – producteur attitré de cette série –, avant une petite interview d’un “artisan du bic” humble et entier :

Freestyles, interviews, photos : retrouvez chaque soir les FRENCHMEN, la nouvelle vague du rap français. Après Prince Waly, place à Demi Portion

Publié par Konbini sur mercredi 5 avril 2017

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Konbini | Quel est ton vrai prénom ?

Demi Portion | Rachid Daïf.

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Quand et où es-tu né ?

Je suis né à Sète, le 15 septembre 1983. Ville que je n’ai jamais quittée.

Tes origines ?

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Papa marocain, maman marocaine. Mon papa est enterré à Mohammédia au Maroc, il est parti en 1999. Et ma mère est de Khémisset, un village à côté de Meknès.

Tu te rappelles de tes tout débuts ? C’était en duo, avec Sprinter…

Oui, on était Les Grandes Gueules. C’était plus “Les Demi Portions” jusqu’en 1999-2000. On monte à Paris pour une mixtape qui s’appelle Extralarge du groupe Less du Neuf, et on fait notre premier son ensemble sur ce projet-là – de mon côté j’avais déjà posé un son solo sur une mixtape de Fabe, en 1999. Et c’est en 2000 qu’on crée Les Grandes Gueules. Et en 2004, on sort notre premier maxi, Loin d’la fermer.

De Fabe à Myspace

C’est fou d’avoir commencé aux côtés de Fabe… 

Oui. C’était mon premier voyage à Paris. Fabe vient à Sète pour un concert et une master class. Il y avait un fameux tremplin, Fabe faisait partie du jury. J’avais perdu ce tremplin et il m’a dit : c’est pas grave, tu peux toujours continuer.

Il avait pris mon adresse, on s’envoyait des petits courriers jusqu’au jour où il m’a invité à Paris. Il m’a dit de venir me poser chez lui. Fabe qui te demande ça, c’est un truc de fou. Je me suis posé là-bas deux mois, j’ai assisté à son album La Rage de dire. Et il m’a invité à faire un morceau pour un autre de ses projets, Bonjour la France. C’est sorti en cassette audio.

Puis tu t’es lancé… en pleine génération Myspace. 

On a fait tourner nos premières mixtapes, nos premiers EP grâce à Myspace à l’époque. Les sons étaient en téléchargement. C’était un lecteur qui tournait, on pouvait avoir un petit compteur pour voir le nombre de personnes qui écoutaient.

Et je ne sais pas si tu t’en souviens, mais tous les coups étaient permis pour se faire entendre sur Myspace. 

Il y avait certaines techniques, pour être dans le “top amis” de petites stars par exemple, et se donner un maximum de visibilité. C’était l’époque du rap…

J’ai encore ma page je crois, bien enfouie dans les profondeurs du Net. Toi aussi ?

Elle doit être quelque part…

01 Artisan Du Bic from DEMI PORTION Officiel on Myspace.

2 Chez Moi

Au-delà de ça, ça montre que tu t’es fait tout seul, que ce soit au niveau des prods ou des clips… 

Du fait maison. Au début, c’était compliqué d’avoir des beatmakers parisiens ou marseillais, donc on faisait nos instrus. J’ai fait ma première instru pour le morceau Mon Dico [en 2008, ndlr].

Tous ces titres que j’ai produits moi-même, que j’ai enregistrés chez moi… il y en a tellement que je ne sais plus combien il y en a.

Et ça a donné naissance, récemment, à ton dernier projet, 2 Chez Moi, fait de freestyles enregistrés… depuis chez toi. 

C’est ça. J’ai fait plusieurs freestyles vidéo de chez moi, et j’ai décidé d’en faire un album. Je ne peux pas sortir un album avec The Fugees, donc j’ai freestylé sur un de leurs morceaux, le tout fait maison avec des instrus qui me collent depuis l’époque.

Écriture et discipline

Tu fais ça par passion et tu n’as jamais cherché à être surexposé. Qu’est-ce qui a fait que tu n’as jamais lâché ? 

La musique, franchement, j’aime ça depuis que je suis tout petit. Depuis 1996 et ma première scène, en première partie de la Fonky Family. Puis j’en ai fait d’autres… Toujours à La Passerelle, la salle où on a fait nos premières scènes avec Les Grandes Gueules, à Sète.

Sinon, tout est parti de Adil. Il tenait un groupe appelé Les Disciples, qui rappait avec AD et AL, d’anciens rappeurs de Dijon. C’est lui qui m’a fait aimer la musique, en dehors de l’industrie, de tout ce qu’il se passe à Paris. Il m’a appris le hip-hop à travers le texte, le freestyle, la scène.

“Il fallait éviter les insultes pour pouvoir écrire un texte”

Il fallait être sérieux aux ateliers pour pouvoir participer à un concert. Il fallait même avoir de bonnes notes à l’école pour faire une scène. Il fallait éviter les insultes pour pouvoir écrire un texte avec Adil. Fallait pas parler verlan parce qu’on était de Sète. Sachant qu’on était des petits agités, tu vois, on avait toujours des règles à respecter et avec lesquelles on n’était pas forcément d’accord. Je suis maintenant super content de ce qu’il m’a appris. On sortait quand même d’un quartier, on voulait parler des choses qu’on voyait. Mais on n’avait pas le droit de faire n’importe quoi : on devait juste le dire différemment.

C’est ce qui a forgé ton rap tel qu’il est aujourd’hui… avec de vrais textes.

Exactement. J’avais plein de lacunes, je fais encore plein de fautes. J’ai pas fait des études de fou, et Adil ne nous a pas facilité la vie pour autant. Mais je me suis accroché, en lisant pas mal de textes, que ce soit ceux de Fabe, d’Ekoué de La Rumeur…

C’est surtout les textes issus de la musique plutôt que ceux appris à l’école qui t’ont éduqué, du coup. 

Plus dans la musique ; en cours, pas trop.

Ça se passait comment les cours ? La musique a vite pris le dessus ?

Quand j’ai perdu mon père en 1999, j’étais en 3e et j’ai lâché. Je devais avoir un conseiller d’orientation. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit : “T’étais pas là.” Et il m’a mis dans un vieux BEP. J’étais pas forcément d’accord pour le faire… je l’ai fait pour faire plaisir à la maman. Mais j’étais toujours dans ma musique, sur un nuage. J’étais pas turbulent à l’école, mais pas pour autant intéressé.

Brassens et Dragon Ball

Pas autant intéressé que par la musique, donc. Tu as écouté et lu beaucoup de rappeurs mais aussi de grandes plumes de la chanson française, dont Brassens c’est ça ? 

Brassens c’est plus parce que c’est un artiste de Sète. Je ne l’ai connu qu’assez tard. On m’avait demandé de faire un live pour lui rendre hommage, à partir de plusieurs textes. J’en avais choisi deux : “Le Mécréant” et “Bonhomme”. Et après j’ai lu d’autres textes. Je m’y suis intéressé, j’ai fait quelques clins d’œil, dans des morceaux, comme “Mourir pour ses idées”.

Mais on ne peut pas faire de reprise de Brassens. Je le trouve tellement lourd.

Qu’est-ce qui t’a marqué et influencé, chez Brassens ?

Le personnage. Vu qu’il était mal aimé pendant sa vie, puis aimé après sa mort. Il n’était pas aimé par les siens, par sa ville. C’est un peu comme ça dans le rap, dans la vie : on ne peut pas être adoré chez soi. Puis c’est ce qu’il se passe pour nous. Au début on essaye de faire des choses localement, même si ça ne plaît pas à tout le monde, et on exporte le truc. C’est cette démarche que j’aime bien.

Du coup, j’imagine qu’il y a dû y avoir des hauts et des bas dans ta carrière.

Il y a eu des déceptions. Je me rappelle, en 2006, quand on était monté à Paris avec 200 disques pour essayer de vendre nos mixtapes. J’arrivais en Clio à Châtelet, il y avait ces fameuses boutiques de disques et je me présentais. Le mec me disait : “C’est marrant, on te connaît pas.” J’avais 200 disques, il me disait : “Je t’en prends cinq, je te fais un bon, et tu repasseras dans quelques mois récupérer la thune.” Du coup, j’ai fait le tour de Paris en découvrant l’industrie.

T’es déçu mais tu comprends que c’est pas évident. Puis je continue encore en solo, à l’époque de Myspace, et les boutiques me rappellent pour savoir si j’avais encore des disques. Et me demandent de remonter avec mes gars de Sète pour une demi-revanche. Je remercie cette boutique, Temax, qui m’a grave aidé.

Ah, Temax, je m’en souviens : c’était là où t’avais fait l’un de tes premiers freestyles vidéo :

Ouais, un tout petit peu plus tard.

“Le rap à textes, il en faut et en faudra toujours”

T’es l’un des derniers survivants du freestyle pur et cash, et du do it yourself

Oui, je pense. Aujourd’hui, il faut plus que jamais faire perdurer les freestyles. Pareil pour le rap à textes, il en faut et en faudra toujours.

Dans mon cas, c’est aussi important de prendre une caméra et montrer que t’es chez toi. Avec une chaussette qui traîne derrière. Je pose un pied, one shot et c’est dans la boîte. J’arrive à faire mes clips, gérer les plugins, et depuis les projets Les Histoires [2013] et Dragon Rash [2015], j’ai un gars qui me mixe (avant je mixais à l’arrache), qui s’appelle Eric Machard. Une machine de guerre.

Tu parles de Dragon Rash. Dragon Ball, c’est un univers qui a marqué ton enfance ?

Oui, c’est un délire de la génération Dorothée pour être franc. Pour Dragon Rash, c’est parti d’un sample de Tapion, un personnage de la série qui joue de la flûte. [Un coucou à Future depuis le passé, ndlr]

Cet album, dont la pochette est un clin d’œil à DBZ avec son graphisme manga, c’est pareil qu’un nuage magique. C’est ce qu’il se passe, on est toujours sur un nuage.

Et pour pousser encore plus le délire, t’as même sorti le projet en cassette.

J’en ai fait cent, pour cent personnes un peu folles. C’est parti très vite et c’est vrai que c’est un bon délire à l’ancienne.

Est-ce que t’as déjà pensé à évoluer en Super Saiyan et t’appeler “Portion” ?

Mais non ha ha, ça me colle trop. À l’époque, j’arrivais pas à me trouver un nom de guerrier, puis quand on a choisi Les Grandes Gueules, c’est parce qu’on trouvait que le rap parlait, et qu’on était des haut-parleurs. On avait invité Le Bavar de La Rumeur sur notre maxi d’ailleurs, on trouvait ça original.

“J’essaye de durer. Pas d’être une marque”

Comment te situes-tu dans ce rap en perpétuelle évolution ? Entre trap et Auto-Tune, comment t’arrives à tracer ta route ?

Je pense qu’on a chacun quelque chose de bien à apporter à la musique. J’écoute “DKR” de Booba par exemple, en toute sincérité. Je ne me sens pas un exclu du truc, mais j’essaye de durer. Pas d’être une marque.

Et t’essayes aussi de faire avancer le rap, en créant récemment ton festival, chez toi, à Sète.

Je me suis d’abord dit pourquoi pas faire mon concert, chez moi ? Jamais je n’avais joué chez moi en tant que Demi Portion. J’ai toujours fait des concerts dans mon quartier, mais je n’ai jamais été pris au sérieux dans ma ville. Et je voulais faire le fou, avec un truc un peu à la Rash. Il se trouve qu’à peine l’événement lancé sur Facebook, il y avait énormément de personnes intéressées. En plein air j’avais un peu peur, et face à l’ampleur du truc la municipalité m’a filé le Théâtre de la Mer, un super lieu.

J’ai pris un portable et j’ai balancé des textos à des gens que j’aimais et trouvais fiables pour venir rapper, comme Ärsenik, la Scred Connexion… Ils sont venus direct, sans problème. Puis ça a été le premier festival où il n’y avait pas de flyers, pas d’affiches. On a tout vendu sur Internet, le 8 mai, en deux minutes : 4 500 places. On avait enfin un public qui allait se déplacer à Sète.

Comme il y a eu de bonnes retombées, tu comptes refaire ça un jour ?

Oui, j’ai déjà les dates. On est en train de cogiter. Ce sera toujours à Sète, au Théâtre de la Mer.

Si je te dis 2017, pour toi : comment tu vois la suite ?

Des concerts. J’aimerais bien finir une nouvelle tournée qu’on est en train de mettre en place.

Apparemment il y a encore 100 dates ?

Cent dates par an : on part de prisons, de MJC, de petites salles. Trois concerts par semaine. Mais on aime ça, en vrai on n’est qu’une heure sur scène, ça nous fait travailler que trois heures par semaine. C’est qu’un plaisir. C’est juste l’avant et l’après qui rendent fou, avec les déplacements. Mais la scène en elle-même, c’est que du kiff. C’est la scène que j’aime beaucoup.

Et puis… là on est en train de parler du retour de notre groupe, Les Grandes Gueules. Il ne nous reste plus qu’à trouver les dates pour écrire.

Rendez-vous demain soir pour le troisième épisode des FRENCHMEN.

Une série dédiée à Polo, force et courage. <3

Crédits :

  • Auteur du projet et journaliste : Rachid Majdoub
  • Direction artistique : Arthur King, Benjamin Marius Petit, Terence Mili
  • Photos : Benjamin Marius Petit
  • Vidéo (cadrage, montage) : Paul ‘Polo’ Bled, Mathias Holst, Simon Meheust, Redouane Boujdi, Adrian Platon, Maxime Touitou, Fanny
  • Son : Manuel Lormel
  • Remerciements : à tous les rappeurs ayant accepté de participer et à leurs équipes, à la team Konbini ayant aidé de près ou de loin, Lucille, Florent Muset, les attachés de presse cools, Julien Choquet pour la disponibilité de son enregistreur audio, Thomazi pour sa petite enceinte Supreme, XXL Magazine…