Épouse-moi mon pote n’est qu’un ramassis de clichés sur l’homosexualité

Publié le par Mehdi Omaïs,

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Pour rappel, Épouse-moi mon pote raconte l’histoire de Yassine (Boudali himself), un jeune étudiant marocain débarqué à Paris pour devenir architecte et faire la fierté de sa famille. Après une nuit arrosée, ce dernier rate hélas ses examens et se voit contraint par les autorités de quitter cette France de toutes les promesses.
Dos au mur, une idée lui vient alors à l’esprit : se marier avec son meilleur pote, Fred (incarné par Philippe Lacheau, le wingman du réalisateur dans Babysitting et Alibi.com). Dès la séquence de proposition, quelque chose dévisse instantanément. La mine hallucinée et ahurie, Yassine lance : “Fred…” Lequel répond “Oui ?”, le menton pointé vers le nord, en signe de stress intense. Et de continuer : “Épouse-moi mon pote.” S’ensuivent écarquillements des yeux et crispations corporelles.
Pourtant, il y en avait des façons d’aborder cet instant fatidique avec de l’humour et de la subtilité. Mais non. Ici, le scénario s’en tamponne clairement le coquillard avec une pince de crabe. Sérieux, pourquoi vouloir assimiler, d’entrée de jeu, un généreux coup de main amical en homérique épreuve de force, en problème à tiroirs ? Pourquoi ce qui aurait dû s’apparenter à une discussion normale et apaisée prend soudain des allures de gag ?

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“Il n’est pas tolérable d’entretenir les clichés les plus caricaturaux”

La suite, malheureusement, n’arrange rien. On vous passe volontiers les facilités administratives engagées dans le scénario. Lesquelles catapultent directement les héros à la mairie où, là encore, un nouveau bras de fer a lieu. Oui, parce que les mariés peuvent/doivent s’embrasser. Si. Il le faut. Oh la la. Zut alors.
Comment faire ? Le faciès se contracte car l’heure est grave. Soyons clairs : ce n’est ni drôle, ni intelligent. Mais passons (non sans agacement). Et gageons que Boudali parviendra, après ce navrant faux départ, à embrasser véritablement et miraculeusement son excellent matériau de départ. Celui-là même qui peut justement permettre d’entrelacer deux importants sujets de société, le mariage pour tous et les étrangers en situation irrégulière, dans un souci de partage et de vivre-ensemble.
Sauf qu’à peine unis, le naufrage se poursuit. Yassine et Fred doivent en effet composer avec un inspecteur aussi coriace qu’une sangsue. Couac. Pour convaincre ce fouineur maladif que leur mariage n’est pas blanc, les best friends vont alors afficher tous les archétypes possibles et imaginables.
“Ce sont les poncifs et la caricature globale de l’homosexualité et plus particulièrement du couple gay qui me posent problème, regrette Fabrice Leclerc, journaliste et chroniqueur cinéma à Paris Match et France Info. Boudali n’a pas seulement une vision hétérocentrée de la question, il relaie de vieilles images d’Épinal d’un couple d’hommes. Quand Poiret et Molinaro faisaient La Cage aux folles, leur postulat était le pastiche, la comédie poussée à son paroxysme avec des personnages totalement exagérés. Mais d’où se dégageait aussi beaucoup de tendresse.”

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Qu’on se le dise : Épouse-moi mon pote, c’est un peu “Rendez-vous en terre inconnue chez les gays”. Pour s’inspirer et devenir 100 % homos, Yassine et Fred prennent la direction d’une contrée pittoresque, entendez le quartier parisien du Marais, pour étudier les us et coutumes des gays. Et pour travailler leur look aussi : il faut faire crédible et péter de la paillette, quoi !
Dans un moment follement embarrassant, voilà que les deux personnages enfilent en boutique une pléthore de vêtements – du moulant, du brillant – et multiplient les gestes lascifs (les cabines d’essayage s’en souviendront). Résultats des courses : un petit chien dans les bras, un bandana noué autour du cou, du jean partout. Sapés pareillement, ils activent alors tranquilou le mode “démarche efféminée”.

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Les gays seraient donc, invariablement, des folles, des obsédés du sexe et des gesticulateurs. Un grand corps compact de gens similaires qui fréquentent des night-clubs bigarrés (“La boîte à outils”, ça ne s’invente pas), ont des sex-toys gisant sur le canapé, possèdent évidemment des tenues pour délire fétichiste, exhibent des photos d’hommes nus à longueur de murs, portent des T-shirts serrés estampillés “Je suis gay” ou laissent traîner des rainbow flags à toutes les encoignures.
Pour Yohann Roszéwitch, conseiller à la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), le constat, au-delà même dudit film, est alarmant :

“Quelques mois après le déferlement de haine homophobe que la France a connu autour des débats sur le mariage pour tous, il n’est pas tolérable d’entretenir les clichés les plus caricaturaux sur les homosexuels, même sur le ton de la comédie, qui est souvent une excuse pour rendre plus acceptable l’homophobie qui se cache derrière.
Ce type de films véhiculent non seulement les pires clichés sur les homosexuels, mais laissent aussi penser que l’on peut se moquer d’eux. Quand on sait que les adolescents sont le public de ces comédies, on peut s’inquiéter.
En effet, comment va réagir un jeune homo en voyant ce film et en s’imaginant que sa vie future est forcément aussi caricaturale que celle qui lui est présentée à l’écran ? Et comment va réagir un jeune en découvrant que son camarade de classe est homo si le film l’autorise à se moquer de lui et à le caricaturer ?”

Dans la foulée de la sortie d’Épouse-moi mon pote, certifié homophobe par l’association Act Up, l’humoriste Tristan Lopin a également fait part de son atterrement le temps d’une vidéo à charge, sur le ton de l’humour, en fustigeant l’emploi intempestif de clichés rances (comme les “cheveux couleur licorne”).

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La question de la responsabilité du cinéaste s’impose, insiste Fabrice Leclerc :

“On peut faire rire de manière intelligente. C’est tout à fait possible. Mais Épouse-moi mon pote creuse malheureusement le sillon de la différence quand les gays ont presque réussi aujourd’hui à gagner l’indifférence.
Et je pense que même les jeunes ne vont pas forcément adhérer à cette caricature, à ces poncifs, eux qui vivent leur sexualité de manière plus libre que les générations précédentes.”

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Pour les homosexuels comme pour beaucoup d’individus, partout dans le monde, les clichés ont la dent dure. C’est indubitable. Les dégommer est une affaire de combats du quotidien, rappelle Yohann Roszéwitch :

“En tant que délégation interministérielle, nous travaillons avec tous les ministères pour mettre en place des mesures dans leur champ de compétence respectif, et avec les associations.
Concernant la lutte contre les LGBTphobies, nous avons lancé en décembre dernier un plan gouvernemental de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT, assorti d’un budget annuel de 1,5 million d’euros à destination des projets associatifs ou de recherche (soutien à des lignes d’écoute, à des interventions en milieu scolaire, à des événements sportifs, à des festivals de culture LGBT, à des conférences sur les droits LGBT, etc.).
Pour combattre les stéréotypes envers les homosexuels, il est important d’agir dès le plus jeune âge. Nous travaillons avec le ministère de l’Éducation nationale et les associations LGBT sur la création de contenus pédagogiques sur la lutte contre la haine anti-LGBT, sur la formation du personnel éducatif, sur des campagnes de prévention à l’école et dans l’enseignement supérieur.”

Pourtant, Tarek Boudali assure qu’il ne pensait pas à mal en s’attelant à ce projet. Sur le plateau de C à vous, le 20 octobre, il a affirmé n’avoir voulu “blesser aucune commu­nauté, ni les sans-papiers, ni les homo­sexuels”, et il a souligné son envie de “dédra­ma­ti­ser ce qu’il y a eu autour du mariage homo­sexuel” dans un souci de légèreté.

Cependant, Fabrice Leclerc n’en démord pas :

“Je suis convaincu que Boudali ne voulait blesser personne. Mais pour lui, dépeindre les gays doit obligatoirement passer par les gags éculés. Il devra réfléchir à cela : aurait-il été dans les mêmes clichés s’il avait fait un film sur un autre sujet ?
Tous les grands réalisateurs de comédie le disent : écrire un film comique demande beaucoup de travail car c’est dans l’analyse fine et poussée d’un sujet qu’on peut faire émerger les ressorts comiques.
Les Aventures de Rabbi Jacob est un modèle de finesse sur un sujet sensible, celui du racisme ordinaire. Intouchables est une comédie d’une incroyable intelligence sur la différence. Bref, comme le disait Desproges, on peut rire de tout mais pas avec tout le monde…”

Un traitement médiatique consternant

Du côté de l’AJL – l’Association des journalistes lesbiennes, gays, bi·e·s et trans, qui a organisé les premiers Out d’or le 29 juin 2017 – la colère se porte, par-delà le long-métrage, sur un traitement médiatique jugé “consternant”. Voici sa réaction officielle :

“Cette ‘comédie’ française véhicule les pires clichés sur les homosexuels, tout en prétendant les dénoncer. Mais sur les plateaux de télévision, c’est pourtant un concert de louanges. […]
Autour de la table de l’émission C à vous par exemple, il n’y a justement personne, pas un animat.eur.rice, ni un journaliste pour aborder le traitement de l’homosexualité, dans un film qui aligne une succession blessante de stéréotypes sur les gays.
Les blagues ou gags s’inscrivent dans la lignée des clichés homos, poncifs dépassés, vieillots et éculés au possible. […] Les auteurs peuvent très bien souhaiter faire rire aux dépens de minorités, encore victimes d’agressions verbales, physiques voire menacées de mort.
Les journalistes TV ont le devoir de ne pas cautionner, mais d’interroger sans complaisance le sens et le poids de la diffusion de ces idées nauséabondes et ringardes et rappeler que l’homophobie n’est pas une comédie.”

Concluons en réaffirmant que la meilleure manière d’emporter l’adhésion, c’est de rire avec les autres et pas des autres – et qu’il n’y a pas de communauté homosexuelle ou hétérosexuelle, mais juste une grande communauté d’humains où chaque différence devrait être célébrée.