Analyse : sur Revival, Eminem pique avec une plume toujours aussi affûtée

Publié le par Jérémie Léger,

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Le nouvel album d’Eminem est sorti depuis quelques jours. Sur la forme, le disque divise. Il est donc temps de prendre du recul et de se pencher un peu plus sur le fond.

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Quand une légende parle, ou dans le cas d’Eminem, rappe, le monde entier écoute et retient son souffle. C’est ainsi que ce vendredi 15 décembre, chacun avait les oreilles portées sur son nouvel album, Revival. Un neuvième opus qui, à chaud, est loin d’avoir mis tout le monde d’accord. Alors que certains ont crié au génie, louant un artiste réussissant toujours à vivre avec son temps, d’autres ont déploré une direction artistique bancale, incriminant des sonorités majoritairement orientées pop et rock. Il faut dire qu’avec des collaborations de Beyoncé, Alicia Keys, Ed Sheeran, Pink ou encore Kehlani, il était difficile de s’attendre à un projet transpirant le “real hip-hop”. Une trahison pour une partie du public d’Eminem qui attendait, impatiemment, depuis quatre ans le retour prophétique du rappeur de Detroit.

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“Ne pas juger un livre par sa couverture” : la maxime semble évidente. Pourtant nombreux sont les médias spécialisés et les fans qui, le jour de la sortie, ont blâmé la qualité de cet opus après seulement quelques écoutes, donc sans forcément prendre du recul. Résultat ? Après une semaine, certains d’entre eux commencent déjà à changer leur fusil d’épaule.

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Car si la dimension musicale est la première chose que l’on retient d’un disque, ce n’est qu’après plusieurs rembobinages que l’on réussit à cerner toutes les subtilités des paroles, à plus forte raison dans le rap. Et c’est justement là tout le paradoxe : quoi que l’on puisse penser de son virage musical, Eminem est, et reste incontestablement l’un des plus grands paroliers de tous les temps tant ses mots prennent systématiquement l’auditeur aux tripes. Sur Revival, force est de constater que la plume du dénommé Marshall Mathers n’a rien perdu de sa superbe, incitant ainsi de nombreuses personnes à revoir partiellement leur jugement.

La double renaissance

Concernant le fil rouge de son album, Eminem l’a précisé lui-même lors d’une récente séance de questions-réponses avec ses fans, Revival (la renaissance) exprime à la fois sa renaissance artistique, mais également celle des États-Unis, son pays qu’il considère toujours malgré l’élection de Trump, comme le plus beau pays du monde. Il n’y a qu’à regarder la pochette de plus près : on y voit un artiste, un homme déconfit et désespéré face à ses peurs, superposé à un drapeau américain représentant explicitement la situation alarmante du pays. CQFD. Et puisque les mots restent la plus puissante des armes, il s’emploie au fil de ses 19 nouveaux titres à combattre ce qu’il considère comme des fléaux de l’Amérique. Focus sur les thèmes forts de ce Revival, le fameux médicament dont Dr. Dre vantait les mérites.

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Envers et contre Donald et Ivanka Trump

Concernant les prises de position politiques, Slim Shady est loin d’en être à son coup d’essai. Alors qu’il dressait un portrait mitigé de l’Amérique dans le cynique “White America”, son engagement prendra une nouvelle ampleur deux en plus tard, lorsque fin 2004, il s’en prenait violemment au président George W. Bush dans son titre “Mosh”. Un morceau assassin sorti en amont du scrutin présidentiel de 2005 qui, s’il a réussi à mobiliser la jeunesse pour qu’elle se rende aux urnes, n’a pas empêché la réélection du 43e président des États-Unis.

Rebelote en 2017. Avec l’élection de Donald Trump, une voix comme celle d’Eminem se devait à nouveau de porter un message. Cela n’a pas manqué : après un freestyle cinglant à son encontre durant les BET Awards et, précédemment, son “Campaign Speech”, il ne subsistait aucun doute quant à la portée politique de l’album du Rap God. Son nouvel ennemi au pouvoir en prend forcément pour son grade, notamment sur le morceau “Like Home” avec Alicia Keys qui s’érige en véritable hymne à la gloire de sa vision de nouvelle Amérique.

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Didn’t wanna piss your base off, did ya?
Can’t denounce the klan, ’cause they play golf with ya
You stay on Twitter, made to get your hate off, Nazi […]
So basically, you Adolf Hitler

Tu ne voulais pas énerver ton électorat, n’est-ce pas?
Tu ne peux pas dénoncer le Ku Klux Klan parce qu’ils jouent au golf avec toi
Tu restes sur Twitter, l’outil créé pour que tu puisses faire ressortir ta haine, nazi […]
Donc en fait, t’es Adolf Hitler

Le président US n’est pas le seul à s’attirer les foudres de Slim Shady. Dans “Framed”, le seul morceau produit (magnifiquement) par le rappeur lui-même, il relate sa propre arrestation après l’enlèvement et le meurtre d’une femme. On ne le sait pas immédiatement, mais au fur et à mesure que les faits l’incriminant se déroulent, on apprend que la victime en question n’est nulle autre que la fille de Donald, Ivanka Trump. Qui a dit que son alter ego démoniaque était mort ?

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Un tableau noir du racisme aux États-Unis

Second single de Revival, “Untouchable” est détonnant. Sur une instrumentale rock concoctée par Rick Rubin, nous sommes en face de l’un des morceaux les plus engagés de ce nouvel album. Dans un pays gangrené par un racisme ambiant se manifestant notamment par des violences policières, Eminem a décidé de prendre tout le monde à contre-pied. En effet, plutôt que de se placer uniquement dans la peau des opprimés, il va aussi s’exprimer du point de vue d’un flic blanc bourreau : le rappeur réussit ainsi à se moquer habilement des policiers, en détournant des clichés racistes.

Parole du policier blanc raciste

Black boy, black boy, we ain’t gonna lie to you
Black boy, black boy, we don’t like the sight of you
Pull up on the side of you
Window rolled down, profiled […]
We got that tried and true pistol drew right at you we be delighted to unload it

Garçon noir, garçon noir, on ne va pas te mentir
Garçon noir, garçon noir, on n’aime pas te voir
On se gare à côté de toi
La fenêtre baissée, on te dévisage […]
On a ce pistolet efficace dégainé vers toi
On serait ravi de le décharger

Parole d’un Afro-Américain vivant dans les ghettos noirs

Why is it, they treat us like dryer lint?
We just want a safe environment for our kids,
But can’t escape the sirens
Don’t take a scientist to see our violent nature lies in
The poverty that we face so the crime rate’s the highest in
The lowest classes […]

Pourquoi ils nous traitent comme des déchets ?
On veut juste un environnement sûr pour nos enfants
Mais on n’arrive pas à échapper aux sirènes
Il ne faut pas être un scientifique pour voir que notre nature violente vient
De la pauvreté à laquelle nous faisons face, donc le taux de crime est plus élevé
Dans les classes les plus modestes […]

L’amour inconditionnel d’un père pour sa fille

Il suffit d’écouter Eminem depuis ses débuts pour comprendre que personne au monde n’est aussi important à ses yeux que Hailie Jade, celle pour qui il a d’ailleurs persévéré dans le rap alors que tout était contre lui. Sa fille, aujourd’hui âgée de 21 ans, il l’évoque à maintes reprises dans ses chansons, exprimant à son égard un amour inconditionnel. Demandez à ceux qui ont tenté de s’attaquer à elle s’ils ne le regrettent pas.

À 45 ans, à l’heure où le rappeur fait le point sur sa carrière, rien n’a changé. Dans “Castle”, il lui envoie une série de lettres, écrites à des époques différentes mais toutes très émouvantes. Un storytelling qui n’est pas sans rappeler son classique “Stan”, sorti il y a 17 ans.

Le premier couplet remonte à quelques semaines avant la naissance de sa fille.

Tu sortiras bientôt du ventre de maman
Je ferais mieux de vite trouver quelque chose si je veux être capable de pouvoir te faire vivre
Je peux à peine me prendre en charge, mais tant que tu seras en bonne santé
C’est tout ce qui compte pour le moment

Dans le second, Hailie a un an.

Je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais faire si ma carrière ne marche pas
Tu as fait tes premiers pas aujourd’hui, et tu marcheras sûrement bientôt
Mon CD Infinite a floppé, trop de sons doux
Ils parlent mal de papa, ça m’agace aussi

Le dernier couplet est daté du 24 décembre 2007. Sa fille a alors presque 12 ans.

J’ai souvent dit ton nom mais j’ai toujours essayé de cacher ton visage
C’est dingue, je voulais dire à quel point je t’aimais mais bordel
Je n’aurais jamais cru que ça allait être comme ça
Tu n’as jamais voulu de tout ça
Et maintenant tu te retrouves punie

Les excuses d’un mauvais mari blessé

Eminem a beau être un père aimant, en ce qui concerne sa vie conjugale, c’est une autre paire de manches. Il a entretenu une relation tumultueuse avec sa femme, puis ex-femme, puis femme, puis de nouveau ex-femme, Kimberly Scott. Marshall Mathers l’a maintes fois attaquée au fil de ses morceaux, allant même jusqu’à la tuer parfois. Changement de cap en 2017, puisque celui-ci se décide finalement à s’excuser auprès d’elle pour toutes ces offenses, en dépit du fait qu’elle l’ait profondément blessé.

On se sépare, puis on se remet ensemble
Nous pensions tous deux que ça durerait pour toujours
Nous n’étions pas des mauvaises personnes, nous n’étions juste pas faits pour être ensemble

Les relations amoureuses malsaines, voilà un thème qui depuis son tube “Love The Way You Lie” avec Rihanna, n’en finit plus de l’inspirer, comme le prouvent des titres comme “Tragic Endings”, “River” ou “Need Me”, respectivement en duo avec Skylar Grey, Ed Sheeran et Pink.

Pas d’inquiétudes cependant : Eminem a beau parler avec son cœur, cela ne l’empêche pas sur d’autres morceaux de renfiler fièrement sa casquette de séducteur, le temps de quelques sauteries. Sur le très rock “Heat” par exemple, il raconte ses ébats avec une femme sexy rencontrée dans une épicerie. On vous passe les détails, Eminem les explique très bien.

Quel avenir pour Eminem ?

Chacun aura son avis sur la question, mais une chose est sure et Eminem en est persuadé : il reste le meilleur. Alors que dans “Walk on Water” ou dans “In Your Head” (qui utilise comme sample le “Zombie” des Cranberries) il nous fait part de ses doutes et de la pression engendrée par les attentes de son public, sa confiance remonte petit à petit au fil de l’album. “I’m better than I ever was”, proclame-t-il même plein d’assurance dans “Nowhere Fast”.

D’ailleurs, en éternel compétiteur, Eminem en profite aussi pour remettre en place la concurrence, en assurant que personne ne peut rivaliser avec lui. “Je déchire ta chair jusqu’à ce que ton larynx et ta nuque soient séparés”, balance-t-il dans le très trap, “Chloraseptic”. De plus, il en profite pour remettre à leur place ceux qui disent que le Rap God est obsolète, dépassé, et terminé – comme un pied de nez ultime à ceux qui ont fustigé l’album à la première écoute .

N’oublions pas qu’Eminem est une légende du rap. Avec un total de plus de 245 millions de disques vendus, il a grandement participé à la popularisation du rap ces dernières années. Toutefois, après une semaine d’exploitation, Revival est en passe de connaître un succès commercial mitigé – l’album se serait écoulé à moins de 300 000 exemplaires, ce qui serait le pire démarrage de la carrière d’Eminem. À titre de comparaison, l’album DAMN. de Kendrick Lamar s’est écoulé sur la même période à 603 000 exemplaires.

Eminem laisse donc fièrement sa couronne à King Kendrick, mais jouit tout de même d’un résultat plus qu’honorable pour un neuvième album – son premier à l’ère de la comptabilisation des écoutes en streaming. Seul le temps nous dira si Revival s’inscrit dignement dans le riche héritage musical du rappeur de Détroit. Et si la machine est toujours en marche, espérons qu’elle ne soit pas trop enrayée.