Dreaming Whilst Black, sur OCS, ou comment utiliser l’humour pour parler des questions raciales

Publié le par Jennifer Padjemi,

© Showtime

La comédie portée à un autre niveau.

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Kwabena se rêve en réalisateur. Il a des projets plein la tête et même des bonnes idées… En attendant, il se coltine un job alimentaire peu glorifiant et des micro-agressions racistes à longueur de journée. Puis, il rentre le soir chez son cousin et sa femme où il squatte depuis plusieurs mois. Cela pourrait être le résumé de n’importe quelle série millennial de ces dix dernières années où les grands espoirs se heurtent aux galères du quotidien, dans une société capitaliste où l’argent reste le vecteur central. Mais Dreaming Whilst Black est plus que cela.

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Créé en 2018 par Adjani Salmon, Londonien d’origine jamaïcaine, qui incarne également Kwabena, le projet fut d’abord une websérie remarquée dans les festivals. Elle a d’abord fait l’objet d’un pilote diffusé en 2021 et a remporté un BAFTA pour cette catégorie, avant de devenir une série à part entière, soutenue entre autres par la BBC, A24, Big Deal Films et disponible sur Showtime aux États-Unis, rien que ça. Diffusée sur OCS en France depuis fin septembre, la série interroge le racisme quotidien et professionnel normalisé dans l’industrie audiovisuelle (mais pas que).

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L’absurdité du racisme

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Comment se réaliser artistiquement au sein d’industries créatives ultra-compétitives, tout en subvenant à ses besoins de trentenaire dans une grande ville européenne aussi chère que Londres ? Dreaming Whilst Black entend répondre à cette question en utilisant l’humour à bon escient. Si Kwabena est le personnage principal, les seconds rôles ne sont pas moins importants, notamment celui d’Amy (interprétée par la superbe Dani Moseley), qui vit peu ou prou la même chose à une échelle différente.

La trajectoire de ce “galérien” est très contemporaine. Il se retrouve régulièrement empêtré dans ses propres mauvais choix, et tiraillé entre continuer un shitty job pour (sur)vivre ou (pour)suivre sa carrière idéale, et éventuellement trahir quelques-unes de ses valeurs au passage.

La facilité serait de la comparer à Atlanta ou Insecure, pour la dimension raciale, sociale et parfois surréaliste qui incombe aux personnages principaux… Pourtant, Dreaming Whilst Black se présente comme résolument British (ou “bri’ish”, avec l’accent), originale, inventive et unique dans son genre. Le show réussit le pari de mêler un héritage comique britannique à des questionnements sociaux très actuels. Contrairement à d’autres productions de cet acabit, la race est davantage utilisée comme un prétexte pour rappeler l’absurdité des questions de diversité dans le monde professionnel, plutôt que comme une intrigue à part entière.

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Kwabena se retrouve régulièrement dans des situations ridicules où il sert à la fois de token (faire-valoir) pour illustrer une soi-disant ouverture d’esprit, mais où il n’a que très peu de place pour s’exprimer et être lui-même. Il rêve de réaliser ses propres films et se faire un nom dans le milieu, mais va rapidement se heurter à la vampirisation de son travail, aussi bien par les personnes qu’il admire que celles dont il se méfie.

Humour Brit, accent jamaïcain

© Showtime

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Jamaican Road est le projet de sa vie, un court-métrage où il souhaite raconter l’histoire d’amour de ses grands-parents. Débarqués par bateau au sein du Empire Windrush (devenue une expression pour parler de la génération d’émigrés caribéens, venus des îles colonisées par l’Empire britannique), il souhaite mettre en avant une jeunesse et une époque, mais il va être confronté à l’idée que cette histoire n’est pas suffisamment “traumatisante”. Pour plaire aux producteurs (majoritairement blancs), il faut relater la violence, la délinquance et la résilience. Pour plaire, il faut détruire ses rêves pour satisfaire un regard dominant.

Malgré toutes les embûches vécues par les personnages, Dreaming Whilst Black ne tombe jamais dans le misérabilisme ou la caricature. Au contraire, Adjani Salmon a trouvé l’équilibre parfait entre dénoncer et rire de soi-même ou d’une situation donnée. L’humour n’est ni intello, ni grossier, et certainement pas paresseux. Il invoque un comique de situation propre à l’humour britannique et au ridicule des personnes racistes. Dans une interview donnée au Guardian, le créateur confirmait qu’aucun commentaire raciste présent dans la série n’avait été “inventé”, il lui a suffi de compiler ceux qu’il voyait sur YouTube et de s’en nourrir.

On rit souvent, mais on s’émeut aussi face à cet homme qui tente de persévérer malgré les refus, qui ne lâche jamais l’affaire. Il représente toute une génération qui ne sait plus quoi faire de ses rêves tant ils paraissent inatteignables. La série s’inscrit dans la lignée de productions souvent reléguées au statut de “dramédies”, mêlant le drame à la comédie. Bien plus que des I May Destroy You, Starstruck, ou Fleabag qui ont marqué les esprits ces dernières années, on pense aussi immédiatement à Chewing Gum, où le côté “barge” et second degré sont totalement assumés.

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Ce sont les situations cocasses et moments incongrus qui font sens, plus que le discours en lui-même. Ce sont les lieux donnés, la BO, les costumes et petits détails qui forment le tout. Dans une autre mesure, Abbott Elementary, Insecure et Atlanta arrivent à être les meilleures vitrines des difficultés sociales et raciales aux États-Unis, en proposant de nouvelles manières d’en rire (et d’en pleurer ensuite).

Rendre la comédie spécifique et universelle est possible

© Showtime

Mais où est la France dans tout ça ? Difficile de faire plus en retard en termes d’innovation audiovisuelle, tant la plupart des productions au cinéma et à la télévision restent empêtrées dans des stéréotypes raciaux. Pendant longtemps, parler de questions sociales signifiait se cantonner à la surutilisation de l’humour, souvent grossier, toujours maladroit, sans véritable place à l’émotion et à la multidimensionnalité des personnages non blancs. Ces dix dernières années ont témoigné d’un changement, plus ou moins significatif au cinéma comme sur le petit écran, et ont donné la place à des histoires plurielles, qui comptent et racontent des trajectoires diverses.

De Saint Omer aux Rascals au cinéma, de Drôle à En thérapie en passant par En Place à la télévision… Ce sont des signes positifs, mais qui soit ne perdurent pas (Drôle s’est arrêtée dès sa première saison), soit souffrent encore trop de choix brouillons où la série a du mal à se situer en termes de genre (La deuxième partie de En Place est moins constante que la première).

La comparaison avec l’Angleterre a finalement plus de pertinence que celle qui est souvent faite avec les États-Unis. L’Angleterre a une histoire de colonisation et d’immigration similaire à la France, et ce sont des pays au sein desquels de nombreuses communautés définissent la culture locale (musique, nourriture, mode…). Les grandes villes et capitales des deux pays sont aussi riches culturellement que hors de prix. Enfin, les aspirations des deuxième ou troisième générations d’enfants d’immigrés sont proches : l’envie de raconter leur double culture, le besoin de renouveler des représentations tronquées et l’urgence de porter un héritage social sont présents des deux côtés de la Manche.

Ce qui est parlant avec Dreaming Whilst Black, c’est sa capacité à faire le pont entre toutes ces aspirations, puisant dans des références très locales du pays, mais aussi très spécifiques à chaque personnage, tout en l’insérant dans un propos universel. Cette capacité à mêler ces univers est propre aux productions britanniques de ces 20 dernières années, comme le démontre le documentaire British Touch d’Olivier Joyard (Canal+).

Là-bas, la télé est comme un trésor national : ambitieuse, populaire, radicale, tout en même temps”, affirme le narrateur. En France, les trésors télévisés sur des sujets variés ne manquent pas, loin de là. Mais quand cela concerne des problématiques sociales et raciales, il est plus difficile d’en citer naturellement qui ont eu leur impact générationnel.

Dreaming Whilst Black est une mise en abîme de la télévision et des gens qui la fabriquent. Elle pousse à faire un état des lieux de ce microcosme, ici ou ailleurs, et à se poser les bonnes questions. Comment délivrer un propos pertinent sans perdre ses ambitions scénaristiques et esthétiques ? Comment créer librement sans se conformer ? Comment réinventer tout un pan de l’héritage culturel d’un pays tout en lui rendant hommage ? Cette série nous offre des débuts de réponses, et donne espoir pour la suite, en France aussi.

La saison 1 de Dreaming Whilst Black est disponible sur OCS.