Dosseh : “le flow de Jésus mixé à celui de l’archange Gabriel”

Publié le par Brice Miclet,

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Vilado$$a, le nouvel album de Dosseh, est un virage dans la discographie du rappeur – le plus important peut-être. Avec “Habitué” comme single, qui claque tranquillement les 30 millions de vues, le rappeur orléanais prouve que les galères, la notoriété tardive et la bicrave ne sont que des étapes de vie dans sa carrière en devenir.

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Konbini | Ce nouvel album, Vidalo$$a, est porté par le titre “Habitué”, un morceau piano-voix, unique dans ta discographie bien plus dure…

Dosseh | Je kiffe la mélodie de manière générale, et ça faisait plusieurs années que je voulais faire un piano-voix. Je m’étais toujours dit qu’un jour, je ferai une chanson, une vraie.

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Oui, mais comment as-tu décidé d’en faire le principal single ? Il a bien marché, OK, mais ça n’était pas un peu risqué, compte tenu de ce que tu avais fait avant ?

Ça pouvait louper c’est vrai. Mais quand tu tiens un gros morceau, tu le sais, tu le sens. Là, on l’a senti. On avait confiance en ce titre. On ne comptait pas en faire le premier single à la base, plutôt le deuxième ou troisième. Pour le premier, on cherchait quelque chose d’un peu plus évident, moins dans le contre-pied.

Un jour, Booba est passé au studio pour une écoute de l’album. C’est lui qui a pété sa tête dessus, il a demandé à le réécouter plusieurs fois. Il nous a dit : “Mais vous êtes des oufs de chercher un premier extrait d’album, pour moi, il n’y aura pas mieux que ça. Cette chanson, elle est obligée de marcher. Si ça, ça ne marche pas, c’est que je ne comprends rien à la musique.” Alors on est partis là-dessus.

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Sur le titre éponyme de l’album, Vidalo$$a, tu parles de ton passé, de charbonner, du chemin parcouru pour en arriver là où tu es… C’est quelque chose de récurrent dans tes textes d’ailleurs, depuis longtemps. Il y a des choses qui t’ont empêché d’avancer dans ta carrière ? T’as eu des bâtons dans les roues ?

Bien sûr, mais je n’aime pas trop dire qu’on m’a mis des bâtons dans les roues. Ça a été un parcours semé de divers obstacles. Certains liés au business, à l’industrie de la musique, ou d’autres liés à la vie en général. Ça a été laborieux. Mais c’est ma manière de voir la vie. Dans ma famille, on est comme ça, on est des charbonneurs dans l’âme. C’est dur, mais c’est comme ça mon pote, tu le fais parce que tu dois le faire.

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Dans tes textes, tu dis souvent, entre les lignes, que tu as connu pas mal d’échecs dans ta carrière…

Quand ça m’arrivait, je vivais ça comme des échecs, oui. Quand t’es dans le feu de l’action, t’as la tête dans le guidon, et si ça ne se passe pas comme prévu, tu vois ça comme des échecs. Mais avec le recul, je m’aperçois que ça n’en était pas. J’étais en train de faire mon chemin. Et sur un chemin, parfois, tu trébuches, tu tombes, tu te fais le genou sur un caillou, tu te relèves et tu continues.

Pour moi, l’échec, c’est à la fin. Tant que ça n’est pas fini, il n’y a pas d’échec. Ce sont des hauts ou des bas, comme dans la vie. J’ai eu des bas, des choses plus ou moins dures à vivre ou à assumer. Mais ce qui fait la force d’un homme, c’est sa capacité à rebondir.

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C’était quoi principalement ? Des projets qui ne marchaient pas comme tu l’aurais voulu ?

Ouais, entre autres. Une notoriété qui n’était pas celle que je voulais, une impression d’être nié par le game, le business, l’industrie. De ne pas être considéré à ma juste valeur. Quand tu sais de quoi tu es capable, que tu connais tes capacités et que tu as foi en toi, il faut continuer.

Je ne suis pas parano, je ne suis pas un mec ché-per, persuadé d’être un génie incompris. Mais c’est la réalité du business qui obéit à des données chiffrées, précises. Si tu ne rentres pas dans ces critères, ils ne te calculent pas. T’as beau avoir le flow de Jésus mixé à celui de l’archange Gabriel, ça ne changera rien.

Tu as douté de toi en tant que rappeur ?

Non, jamais en tant que rappeur. J’ai eu des phases de doute. Est-ce que ça vaut le coup que je me prenne la tête ? Que je continue ? Nique sa mère ! Si un jour tu doutes de tes capacités de rappeur, sachant que t’es là pour rapper, c’est qu’il y a un problème. Mais j’ai douté de l’utilité de continuer ou non. Est-ce que je ne suis pas en train de m’entêter ? Est-ce que je ne suis pas le seul à ne pas savoir que je suis une quiche ? Mais bon, ça a été rapide.

Aujourd’hui, beaucoup de rappeurs ont tout, tout de suite… Il faut du temps selon toi ?

Chacun son chemin. Mon grand frère, Pit Baccardi, n’avait que 20 ans quand il a tout pété. On ne se rend pas compte parce que ça fait longtemps, mais il avait l’âge d’un MHD aujourd’hui. Il y a des gens qui vont péter tôt et qui vont mal finir parce qu’ils n’ont pas su gérer pleins de choses, par manque de maturité, d’encadrement…

Il y a des gens qui vont péter tôt et pour qui ça va bien se passer. Et puis d’autres qui vont péter tard, comme moi. Mais je suis content de mon parcours parce que ça m’a forgé, ça a fait ce que je suis maintenant. Ce genre de vie, ça t’apprend la patience, ça t’apprend à avoir du recul. Je suis fier de moi.

T’as vécu jusqu’à quel âge à Orléans ?

Techniquement, j’y vis toujours. C’est juste que ma vie quotidienne se passe à Paris, parce que tout mon business est là : les enregistrements, les interviews… 90 % de ma vie est ici à Paris. Mais j’ai toujours l’impression de vivre à Orléans, d’y être basé.

Ce n’est pas une ville très réputée pour le rap…

Si je ne dis pas de connerie, il n’y a pas eu de musicien d’envergure nationale venant d’Orléans avant moi. Mais ça a toujours été une ville d’artistes. Quand j’étais jeune, ce qui m’a donné envie de m’y mettre, c’est de voir des gars de ma ville rapper dans des festivals locaux, des scènes de quartier… Mais personne n’avait explosé. Maintenant il y a moi, il y a Vegedream, il y a Ridsa, et il y en a d’autres qui arrivent.

D’ailleurs, Vegedream est en featuring sur ton album, pour le titre “Princes de la ville”. Vous vous connaissiez avant ?

Je le connaissais de loin parce que c’était un petit, on n’avait pas le même âge. Je traînais avec les grands de son quartier, et il me connaissait en tant que grand. Je kiffe ce qu’il fait, il est très fort, et l’occasion était belle parce que c’est un gars d’Orléans. D’où le titre Princes de la ville.

En 2010, tu as posé sur plusieurs projets, dont le titre “45 Scientific” de Booba. Pour autant, les choses ont mis du temps à décoller pour toi… Qu’est-ce qu’il te manquait ?

Je n’étais pas prêt. Je n’avais pas l’encadrement qu’il fallait, ni la maturité nécessaire, que ce soit artistiquement ou en tant qu’homme. Et puis le morceau, même s’il est bon, n’est pas le plus marquant de l’album de Booba. Ça m’a donné une exposition, mais ça n’a pas non plus changé ma vie.

Quand est-ce que ça change alors ? En 2015, avec ta mixtape Perestroïka ?

Ça commence à changer en 2014, lorsque je démarre ma collaboration avec Oumar [Samaké, son manager, ndlr]. Pour la première fois de ma vie, je bosse dans des conditions normales, propices à ce que je fasse bien les choses. Enfin je ne suis plus au four et au moulin. Enfin je ne suis plus en indé. Ce n’est plus moi et mes gars qui sortons l’oseille. Je bénéficie des mêmes armes que les autres pour combattre.

Dans ton précédent album, Yuri, tu expliquais que si tu n’avais pas réussi dans le rap, tu serais retourné dealer. C’était aussi radical que ça les choix qui s’offraient à toi ?

Ouais, totalement. Je ne me suis jamais vraiment inquiété pour moi. Si ça ne marche pas, je fais autre chose. Ça serait juste dommage. Je ne me suis jamais dit : “Ohlala, si je me plante, qu’est-ce que je vais devenir ? Je vais être dans la merde !” Non. Je ne m’octroie pas le droit de finir dans la merde.

Même quand je galérais dans la musique, que c’était compliqué, je me disais que si ça n’était pas fait pour moi, eh bien bat les couilles. Voilà. J’ai déjà tenu des années et des années dans la débrouillardise comme c’est pas possible, ça sera juste quelques années de plus. Je ne vais pas crever.

Dans cet album, tu manies aussi la aussi de la fiction, notamment concernant les femmes, sur “Ma keh à moi” par exemple…

J’ai une façon assez cinématographique d’approcher certains morceaux, comme celui-là, ou “Abel & Caïn” sur mon premier album. J’écris avec des images.

Tu n’as pas peur qu’on te tombe sur la gueule à cause de ce morceau ?

C’est possible, mais pour quoi ? La misogynie ? Je m’en fous. Dans ce morceau, je raconte l’histoire sincère d’un mec amoureux d’une meuf qui a des mœurs légères. C’est la vie. Il a le seum, il l’aime à mort, mais il sait qu’elle baise avec d’autres mecs, avec tel footeux, tel rappeur, tel bicraveur… Ça lui casse les couilles, la meuf qu’il aime n’est pas celle dont il aurait rêvé. Je raconte juste ça.

On peut me reprocher que ce soit trash, vulgaire, etc. Mais je décris un sentiment. Le mec se parle à lui-même, il n’est pas en train de s’exprimer au micro d’un journaliste. Il raconte ce qu’il vit, ce qu’il ressent, c’est trash parce qu’il le ressent comme ça. Si je parlais d’une belle histoire d’amour, on ne me reprocherait pas d’en faire trop en termes d’amour.

Si on me tombe dessus, c’est qu’on n’a pas compris tout ça. Alors j’explique, pas de problème, mais si après ça tu estimes toujours que je suis misogyne, c’est que tu ne veux pas comprendre, point. Tu feras partie de ceux qui ne m’aiment pas, et voilà.

En 2014, tu twittais : “Le rap, c’est d’abord de la musique, ceux qui cherchent uniquement du texte archi-poussé, lisez des livres, écoutez des conférenciers.” Ça avait fait réagir pas mal de gens sur Twitter. Tu le penses toujours ?

Ouais, totalement. Le rap, c’est une musique. Quand tu achètes un CD de rap, t’achètes un CD de musique. Pas un CD de discours. Je ne dis pas que le discours n’est pas important et que ce que tu veux dire n’est pas important, ça dépend de la forme d’artiste que tu es.

Si tu as des choses intéressantes à dire, tant mieux, mais ça n’est pas le cas de tout le monde. Si certains sont plus concentrés sur la forme, ils ont le droit. Ce ne sont pas des politiciens, des historiens, des profs de maths, ce ne sont pas mecs censés t’expliquer comment élever tes gosses.

L’important, c’est que la musique soit bonne. Si tu veux uniquement du propos, que c’est ce que tu recherches avant tout, va sur YouTube mater des conférenciers. Au moins, le propos est clair, t’as pas de musique, pas de rimes, et rien n’interfère le discours. Fais ça et lis des livres.

Pourtant, tu as de plus en plus de propos dans tes textes, surtout depuis Yuri

Oui, mais parce que je suis comme ça, parce que j’ai des trucs à dire. Mais je n’ai rien contre un mec qui a moins de choses à raconter, du moment que sa musique me fait kiffer. Par exemple, j’aime beaucoup Hamza. Il est très musical, dans le flow, dans la mélodie… Mais ça n’est pas un lyriciste de fou qui écrit des morceaux sur… euh… sur le réchauffement climatique [rires]. Tu vois ce que je veux dire ? Je m’en fous, je kiffe la musique qu’il propose.

J’ai un autre type de musique, de personnalité, je suis un autre être humain. Si j’ai envie d’en placer une sur la condition des Renois dans tel ou tel pays, ou sur une injustice, je le fais. Mais je peux te parler de trucs bien plus légers, de raclis, d’aller en club. Ce dont des tranches de vie. Il y a le Dosseh qui est avec une meuf dont il est amoureux, ou avec une groupie de concert. Il y a le Dosseh qui est avec ses potes, celui qui vendait de la gue-dro. Il y a le Dosseh qui aime sa mère. Le Dosseh qui aime ses amis. Tous ces Dosseh sont dans ma musique.