Un article de presse, un tweet viral : il y a cinq ans, c’était la déflagration #MeToo. Le 5 octobre 2017, le New York Times publie une enquête sur des accusations de harcèlement sexuel contre le jusque-là intouchable producteur hollywoodien Harvey Weinstein. Les vannes du mouvement #MeToo viennent de s’ouvrir.
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L’histoire a surtout retenu le nom d’un homme, Ronan Farrow, le journaliste derrière l’enquête du New Yorker parue le 10 octobre dans laquelle l’actrice italienne Asia Argento et deux autres femmes affirment avoir été violées par le cofondateur du studio Miramax. Mais ce sont deux femmes, Jodi Kantor et Megan Twohey, qui les premières révélèrent ce qui était connu de beaucoup dans le milieu du cinéma mais faisait l’objet d’une omerta : Harvey Weinstein a proposé d’aider la carrière de femmes contre des faveurs sexuelles et a usé de son pouvoir pour les réduire au silence.
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Les deux journalistes ont travaillé des mois sur le sujet, déployant des trésors de patience et de bienveillance pour convaincre des actrices et anciennes collaboratrices du producteur de parler. Elles ont relaté ces années d’enquête dans She Said, un ouvrage à la frontière du thriller et de l’enquête journalistique qui rend compte de l’herculéen travail accompli, porté à l’écran par l’Allemande Maria Schrader et en salle actuellement.
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Le 15 octobre 2017, un tweet de l’actrice Alyssa Milano finira d’allumer la mèche sur les réseaux sociaux. S’ensuit un déluge de témoignages sur le harcèlement sexuel au travail – et au-delà – de femmes du cinéma, des médias, de la musique, de la cuisine, du théâtre, des start-up, des jeux vidéo, de YouTube ou du sport. Le hashtag #MeToo a été utilisé plus de 19 millions de fois sur Twitter l’année qui a suivi le tweet de Milano. Aucun secteur professionnel ou presque ne sera épargné.
Filmer avec conscience
C’est dans le milieu du cinéma – naturellement – puis des médias que le harcèlement sexuel a été d’abord dénoncé, avant de l’être le plus largement. C’est ainsi que le septième art s’est récemment saisi de la question pour tenter de faire son introspection. Et aujourd’hui, la réalité rejoint la fiction.
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Jugé en février 2020 à New York, Harvey Weinstein a été condamné à vingt-trois années de réclusion criminelle pour agression sexuelle et viol. En 2021 s’est ouvert un second procès à Los Angeles où le producteur déchu comparaissait pour onze nouvelles accusations, et les jurés ont notamment reçu l’ordre de ne pas regarder la bande-annonce de She Said. Le cinéma et #MeToo sont désormais intimement liés.
She Said a été annoncé comme le premier film à porter à l’écran le catalyseur du mouvement #MeToo en citant ouvertement le nom de Weinstein. Mais il est en réalité un film sur les vraies victimes du producteur. Certaines ne sont présentes que par leur nom, incarnées par des actrices, tandis que la comédienne et figure féministe Ashley Judd qui fut l’une des premières à briser l’omerta autour d’Harvey Weinstein, y incarne son propre rôle et apporte une consistance historique au film.
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Sa réalisatrice elle-même se refuse d’ailleurs à qualifier She Said de film sur l’affaire Weinstein, ni même de film sur le mouvement #MeToo. Pour elle, il s’agissait de porter à l’écran l’impressionnant travail d’investigation des deux journalistes Kantor et Twohey – dont les noms n’ont pourtant pas marqué l’Histoire –, résumé dès le titre du film, à la double évocation. “She Said” traduit à la fois une prise de parole assumée mais également un doute quant à la véracité du témoignage.
C’est tout l’enjeu de leur travail et donc du film : tenter de convaincre des victimes terrifiées de parler. Le long-métrage n’est pas un porte-drapeau féministe mais il choisit plutôt de célébrer la rigueur d’un travail journalistique qui a changé le monde. Il se conclut sur un simple plan d’un correcteur du journal cliquant sur le bouton “Publier” après une ultime relecture du papier.
Si She Said est effectivement le premier long-métrage de fiction à citer ouvertement le nom d’Harvey Weinstein, ce dernier est en permanence rejeté hors-champ pour laisser toute la place à ses victimes et à celles qui tentent de les convaincre de parler (parmi elles, Judith Godrèche, avec qui les deux femmes s’entretiennent au téléphone). Le but est de les remettre au centre de cette histoire qui est la leur. On entend la voix du producteur menacer les journalistes au téléphone et on aperçoit son inquiétante silhouette dans une salle de réunion mais c’est la seule place que la réalisatrice a choisi de laisser à l’agresseur dans son récit.
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Comme mentionné dès le titre, il s’agit d’un film sur la parole qui ne choisit donc pas le camp de la démonstration. Certaines agressions sont racontées dans des flash-back – dont on se serait passé cinématographiquement –, filmés avec une vraie conscience. Si l’on entend le récit des victimes, on ne voit jamais les agressions à l’écran, seulement des chambres d’hôtel vides hantées par la sordide présence du producteur ou des femmes qui se soutiennent et se consolent.
C’est le parti pris opposé qu’a malheureusement choisi Jay Roach, le réalisateur de Bombshell sorti en 2019, qui mettait lui aussi en scène une histoire vraie, celle du scandale de Fox News et de la chute de Roger Ailes, son PDG, prédateur sexuel, en 2017, initiée par la présentatrice Gretchen Carlson (Nicole Kidman), la journaliste vedette Megyn Kelly (Charlize Theron) et une recrue fictive (Margot Robbie).
Derrière ce titre un brin tape-à-l’œil (Scandale en VF), il y a le premier film sur les violences sexuelles de l’ère post #MeToo. Dans un carton en introduction du film, il est mentionné que tous les personnages du film sont inspirés des protagonistes de l’affaire et interprétés par des acteurs et des actrices maquillés et même prothésés pour ressembler au plus près aux journalistes de Fox News. Là où She Said filmait les coulisses très peu glamour d’une enquête journalistique dans un New York gris et peu accueillant, Bombshell a choisi de faire appel aux plus belles actrices de Hollywood pour incarner les victimes de Roger Ailes.
Le scénario très manichéen de Bombshell ne reflète en rien la complexité du harcèlement sexuel systémique dans le monde du travail. L’accent n’est pas mis sur la difficulté à parler mais plutôt sur la dissonance entre les opinions politiques très conservatrices des employées de la chaîne et leur combat féministe. L’écriture du personnage fictif de Kayla Pospisil, interprétée par Margot Robbie, est également ambiguë, et le caractère ambitieux mais exagérément naïf de la jeune femme donne au spectateur la désagréable sensation qu’elle est punie pour ces mêmes raisons.
Mais c’est surtout dans sa mise en scène que Bombshell échoue. Le film s’ouvre sur un monologue de Charlize Theron en Megyn Kelly adressé à la caméra, qui résume avec un détachement surprenant les tenants et les aboutissants du scandale. Un procédé très paresseux scénaristiquement mais surtout une introduction bien maladroite au vu de la gravité des faits exposés.
Outre de véritables témoignages d’anciennes employées victimes des abus de Roger Ailes insérés dans une séquence façon in memoriam, certaines agressions sont également racontées dans des flash-back. Mais à l’inverse de She Said, Jay Roach a choisi de filmer l’agresseur – excessivement dégoulinant et dégoûtant – et ses actes mais surtout d’en adopter le point de vue. Dans la scène centrale du film où Kayla Pospisil subit les assauts de son PDG, la caméra filme ce corps dénudé que l’agresseur force à se dévoiler pour remonter jusqu’à sa culotte, filmé en plan fixe dans une longue et regrettable démonstration de male gaze.
Bombshell tente également d’évoquer l’ambivalence de certaines des protagonistes, de leur silence et donc de leur complicité mais sans parvenir à convaincre. C’est la série The Morning Show qui demeure la démonstration la plus exemplaire de la complexité du harcèlement sexuel dans des espaces de hiérarchie comme l’entreprise.
Ou s’éloigner du réel
De multiples séries post #MeToo ont choisi d’adopter un ton plus engagé et féministe, mais plus rares sont celles à avoir entièrement conçu leurs intrigues sur le phénomène comme l’a fait The Morning Show. Si l’on retrouve des acteurs communs à Bombshell, notamment Mark Duplass, ici producteur sous pression, ou Holland Taylor en patronne de chaîne, la comparaison s’arrête ici.
La série d’Apple TV+ débute alors que Mitch Kessler (Steve Carell), coprésentateur de la matinale télé la plus regardée des États-Unis, est mis à pied pour des accusations de comportements sexuels inappropriés. Il s’agit désormais de comprendre comment il a pu jouir d’une telle impunité jusqu’alors et comment assurer l’avenir de l’émission. Immédiatement, les projecteurs du pays et de la fiction sont braqués sur Alex Levy (Jennifer Aniston), sa coprésentatrice, pour interroger l’impact de ces révélations sur sa vie professionnelle et personnelle.
Sans céder au biais sexiste qui consiste à exiger des femmes de l’entourage de l’agresseur qu’elles justifient des actes qu’elles n’ont pas commis, la série explore la fameuse “zone grise” et la notion de complicité active ou passive par l’intermédiaire de la collègue et amie du prédateur sexuel, qui a travaillé à ses côtés pendant quinze ans, l’a aimé comme un ami et a donc parfois été le témoin privilégié de ses agissements. Ici, l’agresseur n’est pas un homme vieux, déplaisant et bedonnant, il est un homme séduisant, sympathique, blagueur et incarné par l’acteur le plus affable du show-business.
D’autres épisodes choisissent de se décentrer d’Alex Levy pour se concentrer plutôt sur les femmes de l’ombre aux manettes de l’émission, toutes liées au présentateur déchu. Certaines ont consenti à des relations sexuelles avec lui, d’autres sont ses victimes, et l’arc narratif, complexe et tragique, autour de l’une d’entre elles, Hannah Shoenfeld, confrontée à des connivences à tous les étages de la hiérarchie, est édifiant.
Les acteurs secondaires ajoutent également leur pierre à l’édifice de cette réflexion post #MeToo très riche, notamment la romance secrète entre deux collègues d’âge et de positions hiérarchiques différentes qui interrogent leur relation à la suite ces révélations.
Est-ce donc par le biais de la fiction que l’on vise le plus juste ? En 2019, trois ans après la naissance du mouvement #MeToo, c’est le long-métrage de Kitty Green, The Assistant, qui prenait le parti pris le plus radical pour comprendre comment les victimes et les témoins sont réduits au silence.
Basé sur le témoignage de l’ancienne assistante de Weinstein, le film nous plonge dans le quotidien anxiogène de Jane, aspirante productrice de cinéma mais pour l’heure simple assistante, première arrivée dernière partie, qui va découvrir les agissements secrets de son patron et les mystérieux rendez-vous qu’il donne dans des hôtels à de jeunes et jolies candidates.
En quasi-huis clos dans cet univers feutré aux couleurs pastel se joue un thriller anxiogène porté par une héroïne mutique qui brille par son idée de mise en scène. Habitée par la nécessité de filmer le harcèlement sexuel avec conscience, la réalisatrice a choisi de réduire ce patron abusif et prédateur sexuel à une simple présence fantôme et de se focaliser uniquement sur l’évolution et les tiraillements éthiques de son héroïne, ambitieuse mais consciente.
S’il est omniprésent dans le quotidien cauchemardesque de Jane, le producteur n’existe qu’au travers de mails incendiaires, de coups de téléphone colériques, de portes claquées et d’un bureau glauque qu’elle doit nettoyer après ses sévices. Là où Bombshell dépeint le harceleur en vieil homme vicieux et vociférant, The Assistant décuple par le vide l’ampleur de sa présence malsaine, de son pouvoir et de ses abus.
Alors que les accusations continuent de pleuvoir, le septième art continuera de se saisir de ces affaires en décentrant, on l’espère, les récits de leur nom et de leurs violences pour leur voler la vedette qu’ils n’ont que trop eue.