Dans Close de Lukas Dhont, c’est l’amitié qui brise les cœurs

Publié le par Manon Marcillat,

Un drame qui célèbre la tendresse.

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Il y a quatre ans, alors âgé de 27 ans, Lukas Dhont repartait du Festival de Cannes avec la Caméra d’or et la Queer Palm pour Girl, son émouvant portrait d’une ado transgenre, qui remportait un grand succès critique. Un coup de maître dès le coup d’essai peut s’avérer paralysant et le jeune réalisateur belge a pris le temps d’une longue réflexion pour son prochain sujet d’observation.

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C’est la lecture d’une étude américaine, qui a interrogé 150 jeunes garçons âgés de 13 à 18 ans sur leurs amitiés, qui fera germer Close dans son esprit. Le réalisateur nous explique ainsi :

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“À l’âge de 13 ans, leurs témoignages sont très beaux, c’est plein de tendresse, ils expriment beaucoup d’amour les uns pour les autres. Ce vocabulaire est exotique car c’est très rare de lire ça quand on parle de masculin. Puis à 15 ans, tout change et ils n’osent plus parler avec le même langage et la même pureté d’émotion. Ce vocabulaire disparaît.”

Pour prendre le contre-pied d’un cinéma qui valorise surtout les histoires d’amour, Lukas Dhont a décidé de faire un film sur l’amitié, son importance mais aussi sa fragilité, qui serait également l’occasion de voir plus grand et de parler de masculinité et du poids de la norme. Inspiré par le sublime Stand by Me de Rob Reiner ou Little Men d’Ira Sachs, il a voulu filmer “un cœur brisé dans le cadre de l’amitié”.

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Par ce titre court et percutant comme l’était Girl, Close a également un double sens, à la fois proche et enfermé, comme l’amitié de Léo et Rémi, deux adolescents de 13 ans inséparables, qui partagent leurs jeux et leur lit. Perçue comme ambiguë par leurs nouveaux camarades de classe, leur tendresse va se déliter et Léo, qui ne supporte pas les sous-entendus, va tout faire pour s’éloigner de Rémi. Jusqu’à l’impensable.

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Lorsqu’on évoque l’amitié féminine à l’écran, sensibilité et pyjama parties sont monnaie courante. En filmant deux adolescents qui partagent un lit sans que ce soit sexuel, Lukas Dhont propose une imagerie qui questionne à la fois les camarades de Léo et Rémi, mais aussi le spectateur.

“Vous êtes en couple ?”, c’est cette question pensée tout bas par le public mais posée tout haut par une élève, sans agressivité ni réelle moquerie mais plutôt une sorte d’homophobie ordinaire due à l’incompréhension de leur relation, qui, par effet papillon, suffira à déclencher un drame.

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Filmer l’intérieur

Formellement, ce deuxième long-métrage s’inscrit en rupture du premier. Dans Girl, Lukas Dhont choisissait de tout filmer du parcours de son héroïne et de la transformation “maison” du corps quand les premiers effets du traitement hormonal se font trop attendre pour l’adolescente impatiente, sans pour autant tomber dans le voyeurisme. Dans Close, par une narration elliptique, il se placera du côté de la retenue et choisira de ne rien montrer du drame.

Ainsi, Girl était un film physique, charnel, où Lara, aspirante ballerine, une discipline traumatisante pour le corps, cherchait à transformer ce même corps jusqu’à le mutiler. Dans Close, à l’inverse, le réalisateur filme l’intériorité et l’intimité de ses jeunes héros, à l’exception des scènes de hockey sur glace que Léo pratique avec acharnement pour s’obliger à une virilité de façade et qui contrastent par leur physicalité — celle qu’il ne veut et ne peut plus avoir avec Rémi — voire leur violence. Eden Dambrine, qui incarne Léo, est formidable pour extérioriser simplement par son regard et son langage corporel ce monde intérieur anéanti par ce drame.

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Girl, l’émouvant portrait d’une ado transgenre, est dispo sur Arte

Si Dhont s’est détaché de la thématique de la quête identitaire et sexuelle chez les adolescents pour se concentrer sur l’amitié et le poids de la culpabilité, on retrouve cependant des intentions communes dans ces deux films et une volonté de parler de la brutalité envers les personnes hors des normes, mais infligée par eux-mêmes.

“Cette autoviolence est taboue et c’est violent d’en parler. J’ai donc cherché à parler de la violence sans avoir à la montrer.”

Dans Girl, la bataille de Lara était davantage intime que sociale puisque sa condition de femme transgenre était acceptée par sa famille, ses médecins et ses professeurs de danse. Pas d’homophobie frontale non plus dans Close, juste une amitié douce et fusionnelle que les pairs n’arrivent pas à ranger dans une case et des garçons en combat avec eux-mêmes contre leur tendresse.

“Quand j’écris mes scénarios, j’ai le désir d’être bienveillant envers tous mes personnages, pour le protagoniste et pour l’antagoniste. Tous les spectateurs qui viennent voir mon film savent dans quelle société homophobe et hétéronormative ils vivent donc je n’avais envie pas d’aller chercher le conflit.”

Dhont aime également à jouer avec les attentes parfois paresseuses des spectateurs concernant ses personnages. Dans Girl, la mère de Lara est absente et c’est son père, présent, qui accompagne avec une infinie bienveillance son adolescente dans sa transition. Cette fois-ci, ce sont les mères qui sont au premier plan.

Impeccablement écrites et magnifiquement interprétées par Léa Drucker et Émilie Dequenne, elles sont fortes, solides et des modèles de résilience tandis que les pères s’effondrent sous le poids de la tristesse. Habitué à voir des grands frères qui brutalisent leur cadet dans les films de coming of age, le spectateur sera peut-être surpris de voir que c’est dans les bras de son aîné que Léo retrouve la tendresse qu’il a perdue en même temps que son ami.

“On apprend très tôt aux garçons à se déconnecter des autres et de leur monde intérieur. Finalement, cette étude sur ces jeunes Américains m’a montré que ce que j’avais vécu comme quelque chose de personnel en tant que jeune garçon queer dans la campagne flamande était en fait plus universel.”

Douloureux et pudique à la fois, Close était le plus triste mais surtout le plus beau des films de la compétition cannoise.