Comment Memory Box a redonné vie à une adolescence sous les bombes

Publié le par Manon Marcillat,

Un film aussi ambitieux que puissant.

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Car le couple d’artistes et cinéastes franco-libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, qui ont vécu cette guerre civile durant leur adolescence dans les années 1980, ont accumulé une impressionnante matière brute pour en témoigner, oubliée dans des cartons pendant trois décennies.

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(© Haut et court)

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Tout est donc parti de cette fameuse boîte, remplie de journaux, de photos, de dessins et d’enregistrements audio, vestige de la correspondance entre Joana et sa meilleure amie expatriée en France pour fuir la guerre. Les deux femmes ont tout conservé et se sont retrouvées par hasard un soir de 2013. Rien n’avait changé, tout était intact, et c’est ainsi que Joana a décidé de porter leur histoire à l’écran, bien que d’abord frileuse à l’idée que ses journaux intimes soient lus par toute une équipe de scénaristes, de chefs déco et de monteurs.

Avec ce quatrième long-métrage de fiction, Joana et son mari Khalil, dont la rencontre figure aussi dans les carnets, ont allié leurs souvenirs pour donner vie à ces journaux ainsi qu’aux dizaines de milliers de photos de Khalil et ainsi recoller les fragments de leur petite histoire pour raconter la grande. “Un documentaire aurait été trop facile car il y avait une matière folle. Il fallait qu’on le passe au tamis de la fiction pour que tous les éléments, l’amour, le retour, l’exil, puissent trouver leur place. On ne voulait pas raconter une vérité car ce sont des guerres qui n’ont pas eu d’histoires partagées”, raconte Joana.

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À l’écran, c’est donc Maia et sa fille, Alex, qui reçoivent un mystérieux colis en provenance de Beyrouth un soir de Noël, dans un Québec paralysé par une tempête de neige. “On voulait un pays loin, avec beaucoup d’immigration libanaise et le contraste de la neige. On voulait aussi qu’il y ait une tempête qui donnerait le temps à Alex de se plonger dans l’histoire de sa mère.” Car Maia refuse d’affronter ce passé mais Alex va s’y plonger en cachette. Elle y découvre, entre fantasme et réalité, l’adolescence tumultueuse et passionnée de sa mère dans les années 1980 et des secrets bien gardés.

La reconstitution de cette fameuse boîte à souvenirs est le nerf de la guerre et le fruit d’un laborieux bricolage de plusieurs mois. Les cahiers ont été recréés avec quelques ajouts fictionnels et les cassettes réenregistrées par les acteurs pour retranscrire au plus près la passion adolescente : les disputes parentales, les amours passionnées, des listes de la vie quotidienne ou des courbes de l’humeur sont ainsi mêlées à des chansons et des enregistrements interrompus par les bombardements.

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Si la trame principale du récit est reconstituée grâce aux journaux de Joana, ce n’est que la première étape de la fabrication du film. Car ce sont les photos de Khalil, déjà photographe dans son adolescence, qui sont le support essentiel de leur histoire. Il a, de son côté, retravaillé plus de 10 000 clichés de l’époque, reproduits à l’identique avec les acteurs du film, photographiés sur fond vert puis réincrustés dans le Beyrouth d’origine. “L’équipe déco s’est beaucoup amusée. Il y a tellement de détails. Il y avait aussi quelque chose de jubilatoire dans le travail tactile et physique de tout ça.”

(Manal Issa qui interprète Maia/Joana dans les années 1980 © Haut et court)

Ce dispositif de “found footage”, surtout privilégié par le cinéma fantastique et d’horreur, est ici poussé à son paroxysme et ses différents mediums – Polaroïd, Photomaton, collages, enregistrements avec grain, etc. – sont de véritables petites madeleines des années 1980. Ils permettent de raconter la guerre mais aussi, et surtout, une adolescente qui a envie de vivre, de rêver et de s’amuser. “On a eu envie de déconstruire la guerre. Car on s’imagine toujours les gens qui vivent la guerre de façon extrêmement traumatique. Elle l’est, mais nous qui avons vécu 15 ans de guerre, il y avait aussi des moments où on devait vivre.”

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Tout ce matériau est mis en abyme dans l’histoire d’Alex, la fille de Maia, qui reconstitue son propre imaginaire en photographiant, avec son iPhone, les souvenirs maternels. Le support, le grain et les techniques évoluent et c’est donc aussi tout un pan de l’histoire de la photographie qui défile sous nos yeux. “On part simplement d’un constat et on ne veut pas être moralisateurs. Moi, j’avais 60 000 photos d’archives. Ma fille sur Snapchat fait 50 000 photos en 6 mois. Mais on ne se dit pas ‘c’était mieux avant’, on n’est pas nostalgiques. Au contraire, ce qu’on voulait, c’est qu’Alex prenne possession de ces images et qu’elle les fasse vivre avec les outils d’aujourd’hui au gré de sa fantaisie”, précise Khalil.

(© Haut et court)

Au moment du montage du film, le pays a connu une nouvelle tragédie, celle de la double explosion du port de Beyrouth. Le couple se trouvait alors au Liban. “Joana a survécu par miracle mais on a tout perdu, notre appartement, notre studio, nos archives”. Inscrire sur pellicule leurs souvenirs adolescents pour en garder une trace immuable n’était donc plus un luxe mais une nécessité.

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Et comme si le destin de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige était irrémédiablement lié à celui de leur pays d’origine, la fin du film a été tournée au port où aura lieu cette tragique explosion. Memory Box raconte une guerre ayant eu lieu dans les années 1980 mais le film résonne également d’une étrange façon avec la situation actuelle du Liban. “On a travaillé l’idée du soleil à la fin pour signifier que c’est un cycle de destruction, de catastrophes puis de régénérescence. On attend désormais la lumière. À la fin, il y a des retrouvailles, il faut qu’on puisse s’accrocher à quelque chose car on n’a pas le luxe du désespoir”, conclut Joana.

(© Haut et court)