Comment Bigflo a laissé derrière lui l’image du gentil rappeur

Publié le par Vincent Manilève,

Capture d’écran Youtube Zen

Depuis la sortie de son dernier album avec son frère Oli, le rappeur toulousain a opéré un virage dans l’image qu’il renvoie.

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Moins sage dans sa musique, très porté sur l’autodérision, Bigflo semble avoir trouvé sa place parmi les cool kids d’Internet et du rap.

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Dimanche 18 septembre. Ce soir-là, le Floodcast, podcast star des 18-35 ans, se produit sur la scène l’Olympia. Au détour d’une histoire (véridique) sur un projet visant à envoyer du sperme sur la Lune, le rappeur Bigflo surgit pour entamer une chanson parodique sur le sujet. Quelques secondes sur scène à peine lui suffisent pour mettre le public dans sa poche, public séduit par son second degré et l’incongruité du happening.

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Il y a quelques mois encore, le Toulousain de 29 ans n’aurait peut-être pas reçu un tel accueil dans un contexte comme celui-ci. Plus que son frère, Bigflo a longtemps traîné une image difficile, mal considéré par certains rappeurs ou influenceurs établis, et plus encore par le public de ces derniers. Comment la tendance s’est-elle inversée ?

Rappeur des familles

Passionnés depuis l’enfance par le rap et la musique, les frères Ordonez se distinguent très jeunes en première partie de festivals, ou aux Rap Contenders Sud de 2011. “Au tout début, il y avait une forme de bienveillance, parce qu’ils avaient l’air d’être quelque chose de similaire au collectif 1995”, se souvient Mehdi Maïzi, spécialiste rap et head of hip-hop chez Apple Music France. Si leur premier album, quatre ans plus tard, éveille la curiosité d’Akhenaton, l’image d’un rap “gentil“, très grand public, émerge. “On assume d’être des rappeurs gentils, expliquait Bigflo en 2016 dans La Nouvelle République. […] On n’est pas en opposition avec le rap gangsta, on est juste deux gars de Toulouse tranquilles, qui aiment le rap, qui aiment les mots et qui aiment les histoires.”

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Certains rappeurs ne cachent pas leur désintérêt, voire leur rejet, de cette approche et des deux frères, que l’on voit plus souvent chez Squeezie qu’avec d’autres pontes de leur propre milieu. “Quand leur morceau ‘Gangsta’ sort en 2014, c’était la grande époque de Kaaris, et ils ont pu donner l’impression de dire qu’eux faisaient du bon rap, en opposition au rap des ‘méchants’, reprend Mehdi Maïzi. Alors que ce n’était pas du tout ce qu’ils voulaient dire.” Des piques envoyées régulièrement par d’autres rappeurs, ou l’histoire de leur relation avec Orelsan, qui leur a refusé un featuring, vont alimenter un peu plus encore ce sentiment d’un duo mis à l’écart jusqu’à la fin des années 2010. Trois albums à succès n’y feront rien, ou presque : “Tout le rap ne les détestait pas, nuance Mehdi Maïzi. Ils avaient plus de problèmes avec le public amateur de rap qu’avec les rappeurs. Ils ont fait des featurings avec Kalash Criminel, Jul, ou Guizmo.”

“Ca va sinon tfk ?”

Sur Internet, Bigflo et Oli, mais encore plus Bigflo, deviennent ainsi un sujet de blagues, parfois violentes. Le rappeur, dont certains ont régulièrement moqué le physique, a mal supporté le mème “Ca va sinon tfk ?”, qui le caricature en personnage de “puceau” un peu inquiétant. Même Google Search a choisi cette image pour illustrer le profil du chanteur.

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“Beaucoup de gens trouvaient pratique de le vanner sur son physique pour l’attaquer sur ce qu’il représentait, à savoir le rap gentil, explique à Konbini Kronomuzik, qui se présente comme un “compositeur et divertisseur”, et a lui-même participé aux mèmes sur le rappeur. Une posture qu’ils revendiquaient d’ailleurs eux-mêmes au début, et qui est devenue un cercle vicieux.”

Le rappeur est piégé dans ces caricatures : impossible pour lui de s’en indigner sur des plateformes où le second degré est essentiel, mais impossible également de participer aux blagues, par crainte de sombrer dans la ringardise. Cela fait plusieurs années qu’il a quitté Twitter, où les internautes sont les plus virulents. Dans une interview donnée à Interlude en juin dernier, le duo explique que leur démarche était “tellement sincère” qu’ils ne comprenaient pas, au début, pourquoi certaines personnes les détestaient. “À cette époque-là, je ne comprends pas, je le vis hypermal, confiait Bigflo. Je n’avais pas l’habitude de ne pas être aimé, c’est horrible.”

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Un événement assez inattendu va pourtant casser cette dynamique : l’émergence du “banneur fou”.

“Bigflo parfois, il peut dire ‘fils de pute'”

En mars 2020, quelque temps avant leur longue pause loin des réseaux sociaux, et alors que la pandémie de Covid frappe la France, Bigflo réalise plusieurs lives sur Twitch, sa passion. Pour jouer à Animal Crossing ou déballer des cartes Pokémon, notamment. Très vite, une blague s’instaure avec son public : bannir des viewers du chat sur des prétextes délirants. Ce qui était un running gag visant à se montrer différemment va être détourné par un internaute dans un montage vidéo, largement diffusé sans contexte sur les réseaux. Le “banneur fou” était né. Plus que les critiques, émanant notamment de sa propre famille, Bigflo a été agréablement surpris par les réactions : “Je crois que ça a détendu beaucoup de monde sur Bigflo et Oli, paradoxalement, a-t-il expliqué en juin dernier à la chaîne Lacrem TV. De voir que Bigflo, parfois, il peut dire ‘fils de pute’.”

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“Toutes proportions gardées, ce n’est pas très éloigné d’une Miley Cyrus qui était une enfant star et qui, à un moment, décide de twerker avec Robin Thicke aux Video Music Awards en 2013, estime Mehdi Maïzi. Quand tu dois trop être irréprochable sur tous les sujets, à un moment, il y a un trop-plein.” “Je pense que Bigflo en avait marre de la différence entre son image publique et qui il est vraiment, ajoute Kronomuzik. Le personnage du banneur fou, c’est son humour. À ce moment, quelque chose a changé.”

Fin 2020, peu temps avant de disparaître des réseaux pour une pause d’un an et demi, le Toulousain déclarait dans l’émission Popcorn : “Cela va nous faire du bien à nous, à nos fans et à tout le monde, de créer un vide, de se retirer, et de revenir”.

La fin des bons élèves

L’arrivée du quatrième album a pourtant mal démarré. Le clip de “Sacré Bordel”, publié en avril dernier et critiqué par certains pour son discours sur la fierté d’être Français, montre néanmoins un nouveau Bigflo : fini la casquette à visière droite et la moustache de mousquetaire. Désormais, il mise sur des cheveux légèrement plus longs et une barbe fournie. Son visage n’est plus celui des mèmes qui l’ont longtemps poursuivi.

Pour le clip “Bons élèves”, en featuring avec MC Solaar, le duo décide de s’affranchir de ses complexes physiques en s’affichant torse nu. L’aîné chante : “Alors oui, je bois pas, je fume pas. J’suis un exemple pour la génération. Mais j’adore le casino et le sexe. Et j’en parle jamais dans toutes mes chansons. Les bons élèves, premiers d’la classe. J’crois que c’est pas si vrai, fin, j’sais plus trop.” Leurs textes ont évolué, et le duo partage désormais aussi bien le micro avec Leto ou Vald que Francis Cabrel ou Julien Doré.

“Bigflo et Oli ont acquis une forme de coolitude qui leur permet de faire un morceau très TF1 avec Julien Doré d’un côté et de chiller avec Gazo en studio de l’autre, estime Mehdi Maïzi. Mais tout ça a pris du temps.” En septembre 2021 en effet, l’aîné du duo a posé en photo avec l’un des représentants les plus puissants de la drill en France, alimentant des rumeurs sur un futur feat. “Le rap respecte toujours un peu le succès, la réussite triomphe toujours du reste, ajoute-t-il. Jul est un autre très bon exemple de ça.”

Rappeur zigoto

Sur Internet aussi, les choses semblent aussi avoir passé un cap pour Bigflo. D’abord avec sa participation à la zzccmxtp début juin, une mixtape aussi étrange que fascinante, portée par Kronomuzik, Ronare et Pandrezz. Kronomuzik et Ronare qui avaient pourtant, par le passé, réalisé un clip parodique à partir d’une chanson de Bigflo et Oli, un YouTube Poop appelé “Bigflo & Roue libre”. “Quand on lui a proposé de participer au projet, son premier message a été de nous dire : ‘Je pensais que vous n’aviez que haine et mépris pour nous’, explique Kronomuzik. Je lui ai expliqué que ce n’était pas ça, qu’on n’était pas motivés par autre chose que l’envie de faire des vannes. Il a compris et il avait aimé notre YouTube Poop. Et quand on s’est rencontrés, le courant est super bien passé, tout comme la session d’enregistrement.”

Dans le morceau en question, “Tony Hawk”, il raconte avec humour son ras-le-bol des mèmes à son sujet. “On est plus à l’aise, je trouve, avec l’idée qu’un rappeur puisse faire de la musique et être un zigoto à côté, ajoute le compositeur. Les réseaux sociaux, ont tué le concept de star à mon sens. On voit que Médine a une vie de famille, une vie de couple. On a pu comprendre que les gens connus sont des gens normaux. Les choses ne sont pas forcément calculées et réfléchies ; parfois, c’est juste spontané.”

Fan de jeux vidéo et de streaming, Bigflo a aussi trouvé une vraie respiration dans ce milieu-là, une autre façon de s’exprimer. À titre personnel d’abord, en streamant déjà pendant le confinement et récemment dans le cadre de la promotion très spéciale de leur album, loin des campagnes habituelles. Il a parcouru le Twitch français avec son frère, chez Squeezie comme chez Domingo sur le plateau de Popcorn.

En solo chez Zen, le rappeur pousse le curseur encore plus loin en jouant le jeu des deux présentateurs, résolument tournés vers l’absurde. Il multiplie les regards face cam façon The Office, fait semblant de quitter le plateau, insulte ses hôtes, demande combien de viewers sont présents. “Dans cette émission, il s’est permis de dire des choses qu’il n’aurait jamais dites il y a quatre ans à peine, selon Mehdi Maïzi. Comme si les réseaux sociaux qu’il a toujours explorés, mais qui l’ont aussi longtemps moqué, étaient devenus une plateforme d’expression salvatrice pour devenir lui-même, un outil tout aussi puissant que sa musique.”

La forme finale de cette évolution a pris place début septembre au Zevent, événement caritatif majeur dans le milieu. Invité, Bigflo y discute aussi bien avec Jiraya qu’Antoine Daniel, alimentant de multiples clips et best of. Chez Domingo, il se lance même dans un “Tribunal des bannis”, format populaire où l’objectif est de décider si, oui ou non, tel ou tel viewer banni peut voir sa punition levée. Une façon pour lui de conclure l’arc narratif du “banneur fou”, mais plus encore, peut-être, celui du “rappeur gentil”.