Petit café avec le grand Boy George : de la pauvreté à la liberté

Publié le par Rachid Majdoub,

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Un peu de Culture Club autour d’un petit café avec Boy George, ça vous dit ?

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Si son nom ne vous dit rien, il s’agit d’une petite légende de la pop music de ces quatre dernières décennies. Surtout dans les années 80, où Boy George connaît un succès mondial avec son groupe Culture Club, qui va vendre plus de 50 millions de disques à travers le monde.

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Vous avez forcément entendu ce morceau, leur plus grand tube :

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Retour en 2018. Cette chanson, il la jouera le 2 décembre prochain au Palais Garnier (plus d’infos au bas de l’article). Avant ça, c’est dans un hôtel luxueux de Paris que j’attends Boy George. Le temps de réviser mes questions… dont presque aucune n’a pu être posée tant l’entrevue a naturellement pris une direction différente, d’entrée de jeu. Dès les premières gorgées des cafés commandés par son altesse. Aussi imprévisible qu’agréable, le chanteur britannique est fidèle à lui-même et enclenche la conversation pendant que je le contemple, tout de bleu vêtu et chapeau vissé sur un crâne tatoué. Les yeux grands et colorés, c’est toujours avec un visage maquillé, une coiffe originale et un habit classe et extravagant qu’il se présente à moi.

Ce même style androgyne, aujourd’hui plus sophistiqué, qui a fait de lui une icône queer. Que ce soit dans les squats, où il a trouvé sa liberté, aussi bien que dans les clubs londoniens, où il a fait sa culture jusqu’à devenir star de la nuit entre la fin des années 70 et le début des années 80. Sa rencontre avec la musique et la création de son groupe lui ont ensuite permis de complètement s’émanciper d’une famille modeste dans un milieu très pauvre. Et de se faire accepter de tous, tel qu’il est.

On discute, et le temps déjà restreint par le train qui l’attend file à une vitesse qui me fait oublier pourquoi je suis là : retracer son histoire et celle de son groupe, parler de genre, analyser un de ses textes, aussi inspirant soit-il, etc., etc., etc. On parlera finalement de Billie Holiday, Pearl Bailey, Nina Simone, Bob Dylan, David Bowie, Sam Cooke, Sly Stone… pour un retour en arrière éblouissant. Et bien évidemment de Boy George, à petite dose, de ses débuts dans les rues sombres de Londres à la création de Culture Club et la véritable histoire cachée derrière leur chanson “Karma Chameleon”.

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Car le karma en a décidé autrement, faisant quand même bien les choses. Le cadre formel de l’interview a laissé place à un moment simple avec un féru de musique, créatif, curieux, rêveur et si enjoué qu’il finira par prendre mon téléphone, faire un selfie et partir.

Boy George | Je devrais commencer par dire que dans le business de la musique, tout le monde est obsédé par les jeunes. Tout le monde est obsédé par l’idée d’être jeune, les millenials, bla bla bla… Être vieux c’est cool aussi. Et ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on est intéressant. Je rencontre des jeunes qui sont très intéressants, qui me font halluciner avec leur intelligence. Mais ce n’est pas donné. Ils disent qu’on ne peut être intéressant que quand on est jeune. Et c’est des conneries [rires].

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Je suis d’accord [rires].

Je veux que les gens me découvrent naturellement. Quand j’avais 14 ans, j’écoutais des vieux albums de jazz. Mon père était maçon, il vidait des maisons, alors il ramenait souvent des albums, de tout et n’importe quoi. C’est comme ça que j’ai découvert le jazz, Billie Holiday, Pearl Bailey ou encore Frank Sinatra. Je voyais des albums traîner alors je les écoutais. Donc j’encouragerais vraiment les gens à découvrir, à lire, à explorer… Il y a cette chose incroyable qui s’appelle Internet de nos jours. Il n’y a jamais eu de meilleure époque pour être un archéologue de la culture, faire des recherches…

Si vous deviez choisir un album qui vous a donné l’envie de faire de la musique ?

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Il y en a tellement. Je me souviens, quand j’étais petit j’écoutais cette chanson de Pearl Bailey, c’était une chanteuse de jazz et elle avait cette chanson qui s’appelle “I’d Rather Be Rich” (Je préférerais être riche). J’ai grandi dans une famille assez pauvre, il y avait beaucoup d’enfants, mais pas beaucoup d’argent, alors je mettais cette chanson… “I’d Rather Be Rich, I’d Rather Be Riiiiich”. Elle chantait qu’on peut profiter de la vie à même le sol ou sur un yacht, mais qu’elle préférerait quand même le yacht.

Ou Nina Simone. Quand j’ai entendu Nina Simone pour la première fois, les émotions qu’elle insuffle à son chant… Quand j’ai découvert Bob Dylan, Bowie bien sûr, Joni Mitchell, etc. Quand j’ai commencé à découvrir des artistes qui chantent sur les enjeux sociaux, sur des vraies choses, pas juste de la pop, des vrais sujets… D’ailleurs pour David Bowie, c’est lui qui m’a fait découvrir Bob Dylan, parce qu’il avait écrit “Song for Bob Dylan”. Quand je l’ai entendu, j’avais 14 ans et je me suis demandé : “Mais qui est ce putain de Bob Dylan, je dois savoir qui c’est.”

Et après ça j’ai découvert Bob Dylan, et aussi que Bob Dylan avait influencé Sam Cooke. Il a écrit la chanson “The Times They Are Changin'”, Sam Cooke l’a entendue et était bluffé par ce mec blanc qui chantait de la musique noire, ça l’a inspiré pour aller en studio et écrire “A Change Is Gonna Come”. À travers la musique, j’ai tellement appris. Je découvrais un artiste, puis un autre, et un autre. Je fais encore ça. Parfois je me souviens d’un groupe que j’écoutais il y a longtemps, ou d’une chanson que je n’ai pas entendue depuis un moment, je vais sur Internet et je cherche, ou j’envoie un mail ou un tweet pour demander de l’aide et retrouver ce que je cherche.

J’adore me souvenir des choses qui m’ont bluffé. Je me souviens que, quand j’étais un rocker punk, une de mes amies m’a fait écouter un album de Sly Stone. J’étais un rocker punk hardcore à l’époque, j’écoutais les Sex Pistols, j’avais ma guitare… Mais elle m’a fait écouter “If You Want Me to Stay” par Sly Stone, et j’étais ébloui. Je me disais : “Cette voix !” Tu connais cette chanson ? Elle n’a pas de refrain, elle ne s’arrête pas, littéralement. C’est juste une œuvre d’art magique. Je suis toujours excité par ce genre de choses.

Quand je suis sur scène, je parle de mes influences, et je dis au public : “Vous savez quoi ? Il y a une chanson sur mon dernier album qui s’appelle “Different Man” et qui rend hommage à Sly Stone. Cette chanson m’a été inspirée par Sly and the Family Stone.” Dans certains cas les gens ne réagissent pas trop, dans d’autres villes, il suffit de dire Sly Stone et les gens s’excitent, à d’autres endroits ils ne savent pas qui c’est. Alors je leur explique, et je leur dis que le jour où ils auront le temps, ils devraient écouter l’album Fresh de Sly Stone, parce que ça leur plaira. Je ne sais pas s’ils le font ou pas. Je ne sais pas s’ils m’écoutent ou non.

Je parle beaucoup de mes influences ces temps-ci, je réfléchis à toutes les choses qui ont fait de moi la personne que je suis. Même des groupes plus récents, quand j’entends des musiciens qui m’évoquent cet état d’esprit classique des sixties, des seventies ou des eighties, tout en y ajoutant une touche de nouveauté. Il y a toujours des groupes pour lesquels on se dit : “Ah c’est intéressant, on dirait du son des années 80 mais pas tout à fait.” Ils ne suivent pas les règles, comme nous dans les seventies, on ne savait pas vraiment quelles étaient les règles alors on ajoutait notre sensibilité londonienne et ça devenait notre son.

Je parle beaucoup, désolé. Je suis désolé.

Aucun problème, c’est cool ! On va revenir, rapidement, sur votre histoire et celle de Culture Club : des squats du centre-ville de Londres aux boîtes de nuit.

Oui, je squattais à la fin des années 70. Je n’avais pas besoin de squatter, je le voulais, c’était une rébellion contre ma famille. Ma mère me disait de rentrer à la maison, et j’étais là : “Non non, je suis cool, je vis dans un squat.” Mes parents ne pouvaient pas comprendre pourquoi je voulais vivre dans un endroit sans eau, sans électricité… mais c’était la liberté !

C’est vrai que vous vous donniez la liberté d’être qui vous vouliez, de vous habiller comme vous le vouliez… Et lorsque vous vous êtes mis à faire de la musique, dans les années 70 et un climat peu commode, vos parents ont reçu ça comment ?

Quand la musique est arrivée… ils étaient soulagés. Parce que, jusqu’à ce que je commence avec mon groupe, je me laissais porter, je travaillais dans des endroits bizarres, des boutiques de mode, mais surtout j’allais en club et je m’éclatais. Mes parents se demandaient ce qu’il allait m’arriver. Quand j’ai eu le groupe, ils étaient ravis. Ils n’appréciaient pas vraiment mon look, ils s’inquiétaient quand je quittais la maison, ils avaient peur que je me fasse tuer, parce que dans les années 70 il se passait pas mal de choses. Je dis ça mais je suis sûr que si j’étais allé au mauvais endroit à Paris, je me serais aussi fait frapper.

Boy George dans le clip de “Karma Chameleon” – Culture Club

Vous viviez dans une banlieue très pauvre…

Oui, et c’était un véritable coupe-gorge. Les rues étaient sombres, il était risqué de rentrer chez soi à cinq, six, sept heures du matin. Et tu sais quand tu as 19 ans, tu te fiches un peu de tout. Donc mes parents étaient inquiets. Mais j’étais dans un milieu où les couleurs se mélangeaient, il y avait de toutes les cultures, et on était bien entre nous, même dans un milieu qui craint.

Comment vous êtes-vous émancipé, pour faire accepter votre style et vos rêves ?

On voyait des raisons de faire la fête partout. En 1979, j’avais des dreadlocks, un gros chapeau rasta, je me maquillais… Il y avait des gens qui aimaient et d’autres pas tant que ça. Parfois je croisais des vrais rastas qui m’accueillaient à bras ouverts, qui adoraient mon style, il y en avait d’autres qui voulaient me tuer, qui me demandaient pourquoi je portais ça. Les années 70, c’était une décennie très éclectique, une période de changement social important.

En musique, il faut se souvenir de la date à laquelle une chanson a été écrite. Je repense à Sam Cooke, à la chanson “Time Is Gonna Change” dont je parlais tout à l’heure. Il faut repenser à l’époque à laquelle elle a été écrite, à la politique de l’époque, à la raison qui poussait les gens à faire de la musique : ils faisaient de la musique pour dire des choses. C’était puissant, on pouvait l’entendre. Quand on écoute Sam Cooke, Marvin Gay ou n’importe qui de cette époque, on entend cette douleur, cette expérience, cette sorte de rébellion. Je pense que c’est très puissant.

Vous vous souvenez du Planet’s club ?

Oui, j’étais DJ là-bas, c’était un petit club, on y tenait à 200 peut-être ? Une pièce remplie de gens qui se la pètent, tout le monde venait pour se montrer, tout le monde voulait être numéro 1. C’était une drôle d’époque. Le plus dur c’était d’arriver à rentrer, parce qu’il fallait avoir le bon look. Imagine, t’arrivais en te sentant super frais et on te disait : “Non, désolé.” C’était horrible [rires].

Mais votre groupe, Culture Club, est né là. Tout est parti de ce club…

Oui, parce que Mikey est venu un soir où j’étais DJ, il m’avait vu dans un magazine, donc il savait qui j’étais. Et il s’est dit que j’avais l’air intéressant, je pense qu’il s’est imaginé que je serais une bonne figure de proue pour le groupe. Il est venu me voir, il m’a demandé si je pouvais chanter, je lui ai dit que ça devrait pouvoir se faire. On a commencé à répéter, il jouait de la basse, il avait l’air de savoir ce qu’il faisait, je lui ai proposé qu’on commence un groupe ensemble. C’était vraiment innocent. C’est comme ça que tout a commencé. Il était le premier dans le groupe, tout le monde est arrivé après ça.

Comment avez-vous utilisé la musique comme moyen d’expression ?

Avec la musique, je voulais être plus créatif. Ce que j’ai appris ces trente dernières années, c’est qu’on parle beaucoup plus qu’on n’agit. C’est comme le sexe à ce niveau-là. J’ai le sentiment que je veux être plus créatif maintenant, j’ai une envie quasi viscérale de créer. Je me suis mis à peindre. J’essaye toujours de trouver des moyens d’être créatif, de créer de jolies choses pour ce monde. Je pense que c’est très important de s’exprimer, de toutes les manières possibles : la mode, l’écriture, la poésie, la photo… C’est tellement important d’entraîner ce muscle de la créativité et de s’exprimer.

Et d’être libre d’être soi-même ?

Oui, parce qu’on ne peut pas être quelqu’un d’autre, donc c’est important d’aimer qui on est. On tire plus de plaisir de tout si on est à l’aise avec qui on est.

Vous n’avez jamais voulu la raconter : quelle est la véritable histoire derrière “Karma Chameleon”, votre chanson la plus culte ?

Et bien karma ça veut dire action. Le karma c’est ce concept hindou bouddhiste où tout ce qu’on fait a des conséquences. Je parlais à mon amant de l’époque, avec qui il y avait beaucoup de drames. Il était peut-être gay, ou pas, il voulait être avec moi, ou alors avec une femme, c’était très très compliqué. Alors je lui disais : “Si tu n’arrêtes pas d’être un caméléon, d’être malhonnête, le karma va te rattraper.”

Dans cette chanson, je lui disais littéralement de se décider. Je lui parlais de ce dont on vient de discuter : d’être fidèle à lui-même. J’essayais de comprendre qui il était, c’était une chanson naïve dans un sens. Parce qu’en réalité j’étais attiré par lui à cause de toutes ces complications, et pourtant je voulais qu’il soit quelque chose qu’il n’était pas.

Donc j’imagine que la leçon de ma vie, c’est qu’on ne peut pas contrôler les autres, il faut les laisser libres, libres d’être qui ils veulent être. On ne peut pas posséder les gens, alors j’ai arrêté d’essayer [rires].

Boy George et Culture Club seront en concert au Palais Garnier de Paris le dimanche 2 décembre 2018. Si les places sont rares, c’est Noël avant l’heure : avec le code promo “Konbini2018”, vous pouvez bénéficier d’une bonne réduction pour chacune des catégories, par ici.