Annette, la première très grosse claque du Festival de Cannes

Publié le par Arthur Cios,

Annette

Pour son grand retour, Leos Carax offre à Marion Cotillard et Adam Driver une comédie musicale absolument incroyable.

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Annette, c’est quoi ?

On peut ne pas apprécier la formulation, mais le fait est que Leos Carax est un cinéaste “ovniesque”. Un réalisateur à part qui crée des œuvres très grandes (la plupart du temps), avec des personnages surréalistes dans des récits d’une ampleur rare, loin des carcans scénaristiques du septième art. Où le geste artistique reste plus important que le reste.

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Neuf ans après Holy Motors, considéré par la majorité des spectateurs et des critiques comme un chef-d’œuvre absolu, le cinéaste revient avec un projet de longue date. Une comédie musicale dantesque, écrite et composée par le groupe de rock culte Sparks, avec Marion Cotillard en cantatrice et Adam Driver en humoriste provoc’.

Le film, qui ouvre le Festival de Cannes 2021, suit ces deux protagonistes, leur couple, l’arrivée de la petite Annette dans leur vie, et les tumultes de leur vie d’artistes dont la carrière évolue dans un sens puis dans l’autre. De l’amour, de la jalousie, de l’incompréhension, du regret. Le tout en chanson – plus de 90 % des dialogues sont chantés –, dans une mise en scène grandiose.

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Le décor est planté.

Pourquoi c’est bien ?

Autant dans le fond que la forme, Annette est une claque. Une vraie, belle, très grosse claque. Du genre à questionner tout un pan de l’industrie sur le manque d’ambition de la plupart des productions filmiques vaguement similaires. Comment se peut-il qu’en un seul film, Carax dynamite le genre de la comédie musicale, pourtant parmi les plus anciens de l’histoire du septième art, avec une proposition d’une originalité folle, d’une beauté rare, et qui raconte mille choses ?

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Sans doute parce qu’il ne considère pas Annette comme un simple objet filmique musical. La plupart des comédies musicales ont cette fâcheuse tendance à essayer de trouver des histoires derrière des morceaux qu’on veut transformer en tubes, et de tirer des ficelles scénaristiques bien cadrées pour rentrer dans le moule. Ici, c’est l’inverse.

Les morceaux s’enchaînent, durent une minute comme huit, racontent quotidien le plus insignifiant et grandes interrogations philosophiques. On accouche et travaille sa respiration en musique. On pratique des cunnilingus en chantant. Parfois dans des envolées lyriques dingues, parfois dans du chanté-parlé. Tout n’est que musique, qu’importe sa forme ; pourtant, c’est bien elle qui est au service de l’histoire, et non l’inverse.

Il s’agit, encore une fois, d’un geste, un jet d’art, dans le sens le plus pur du terme. Comprendre qu’on voit certes des plans jamais vus auparavant, des prestations dingues, des dialogues et un synopsis surréalistes, mais que tout a un sens dans ce que ça raconte et que rien n’est vain, même si on ne comprend pas tout. Car à première vue, il s’agit d’un film sur l’amour, plus précisément le mauvais amour. Qu’est-ce qu’aimer quelqu’un, mais pas de la bonne manière ? De mal aimer sa femme, de mal aimer sa fille, de mal s’aimer soi-même ? D’aimer profondément un être, alors que l’on est soi-même toxique ?

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Mais oui, c’est bien plus qu’un simple long sur l’amour. Le personnage de Driver représente la figure de l’homme toxique, sous la forme d’un artiste torturé. Ce qui permet à Carax de parler de la “cancel culture” et du fait d’être mis de côté, de l’artiste dépossédé de son art et qui en perd son âme, de la fugacité des exigences du public qui tantôt vous adore tantôt vous déteste. En somme, Carax parle de lui dans ce système qui ne veut pas de sa vision, lui qui a été érigé en génie après Les Amants du Pont-Neuf, puis descendu sous terre avec Pola X, lui qui a su se montrer horrible par moments dans sa carrière. Une vision de l’art pessimiste, mais assez juste.

La force du film est qu’on se ficherait presque du sous-texte tant Annette est une folie, visuellement et artistiquement. Une anomalie dans le système bien rodé des productions cinématographiques actuelles. Les plans-séquences se succèdent, tous avec un intérêt scénaristique fort, et à la mise en scène grandiose.

Certaines scènes seront sans nul doute montrées dans les écoles de cinéma car, d’un point de vue technique, il y a mille bonnes idées à la seconde. On pense à l’introduction divine du film, qui permet à Sparks de donner la main au casting, ou encore à un plan circulaire autour du chef d’orchestre qui suit le tempo de la musique et qui est une véritable leçon de septième art. Et tout ceci n’est pas qu’esthétique.

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Le propos, le jeu des acteurs et surtout d’Adam Driver, qui n’a jamais été aussi bon, beau et impressionnant qu’ici, s’en retrouvent largement renforcés. Le sujet de fond est intense, important et rare. On vous évite un maximum de spoilers, mais la construction du récit, scindé en deux et coupé par un postulat fantastique très particulier et décontenançant, est – malgré un léger ventre mou au milieu – une véritable leçon d’écriture.

Il y a mille et une choses à dire, à analyser sur cette œuvre d’une originalité folle. Des livres lui seront à coup sûr consacrés dans les années à venir. Chacun y verra ce qu’il veut. L’auteur de ces mots y a vu un film immense, tout simplement.

Qu’est-ce qu’on retient ?

L’acteur qui tire son épingle du jeu : Adam Driver.

La principale qualité : L’originalité du scénario et de la mise en scène, cumulée à la musique de Sparks et un casting dément.

Le principal défaut : Un postulat de base qui peut désarmer les plus pied-à-terre (oui, ce n’est pas vraiment un défaut).

Un film que vous aimerez si vous avez aimé : ‘Les Amants du Pont-Neuf’ de Leos Carax, et les comédies musicales peu orthodoxes.

Ça aurait pu s’appeler : ‘We Love Each Other so Much’.

La quote pour résumer le film : Une claque visuelle et auditive.