Ancien réfugié devenu photoreporter, Abdul Saboor documente les réalités de l’exil

Publié le par Lise Lanot,

© Abdul Saboor

"Je comprends ce qu’ils vivent, ce que c’est quand tu quittes ton pays, tes rêves, tes proches."

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En juillet 2016, Abdul Saboor arrive sur le sol français après avoir été forcé de quitter son Afghanistan natal suite, entre autres, à un mandat d’arrêt émis contre lui. Durant ces deux années sur les routes de l’exil, il photographie son quotidien de camp en camp. Il documente sa réalité pour lui, mais aussi pour envoyer des images à ses ami·e·s “qui s’apprêtaient à potentiellement suivre le même chemin”.

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Dans un camp de Belgrade où il s’engage comme volontaire en cuisine, il “rencontre un bénévole” qui lui prête son appareil et lui demande de le prendre en photo. Admiratif du résultat, il lui rapporte un appareil la fois suivante, et Abdul Saboor continue d’immortaliser ses journées, l’attente et l’espoir des personnes en transit. “Je ne pensais pas que beaucoup de gens verraient un jour mes photos, je voulais juste montrer ce que je vivais, je ne pensais rien faire avec mes images et je ne pensais surtout pas devenir photographe”, se souvient le photoreporter face à ses images, actuellement exposées au Transfo, centre culturel d’Emmaüs Solidarité.

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Le 23 mars 2017 à Belgrade, Serbie. (© Abdul Saboor)

À chaque nouvelle exposition, il s’imagine “que ce sera la dernière”. “Quand je suis arrivé en France, je suis allé à Pôle emploi, je voulais travailler dans la restauration mais on me proposait beaucoup d’expositions. Je ne me considérais pas du tout comme un photographe. Je ne me suis jamais dit que j’allais le devenir”, nous confie-t-il.

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“Je ne me considérais pas du tout comme un photographe. Je ne me suis jamais dit que j’allais le devenir.”

En riant, Abdul Saboor raconte qu’il ne pensait, à ses débuts, pas du tout “à la composition” de ses images. Pourtant, lorsqu’il les décrit, on sent la puissance de son œil, la rapidité avec laquelle formes et couleurs se rencontrent. “Je suis attiré par la lumière naturelle, surtout quand elle arrive dans un endroit sombre. Il y a quelque chose de très spirituel, synonyme de paix, ça insuffle un sentiment très spécial aux images.”

Auréolées de ces lumières divines se trouvent des scènes de partage et de générosité mais aussi de solitude, de bravoure et de difficulté : “Je montre des gens, des endroits, de la nourriture, des personnes qui cuisinent et se rassemblent pour manger ou boire du thé. Je documente tout pour que les gens se rendent compte de ce qu’on vit, qu’on ne choisit pas de vivre de la sorte. Je veux montrer les conditions dans les camps, ce que les gens ne voient pas.”

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Belgrade, Serbie.  (© Abdul Saboor)

Depuis son arrivée en France, Abdul Saboor continue de documenter la réalité des camps et les douleurs de l’exil : “On doit montrer ce qu’il se passe. Si on n’en parle pas, tout le monde s’en fiche.” Ayant obtenu son statut de réfugié, il raconte l’exil depuis un regard concerné et respectueux, rappelant toujours partager de longs moments avec les personnes qu’il photographie, s’assurer de leur consentement quant à la publication des images, “de leur histoire”.

“Le fait d’avoir vécu la même chose, je pense que ça me rend plus compréhensif. Je comprends ce qu’ils vivent, ce que c’est quand tu quittes ton pays, tes rêves, tes proches. Quand tu sais que tu ne retrouveras plus jamais ta vie d’avant. Quand tu as vécu les évictions par la police, le froid, le danger, l’incertitude.”

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“On doit montrer ce qu’il se passe. Si on n’en parle pas, tout le monde s’en fiche.”

Un couple se tient la main en essayant de monter à bord d’un bateau en route pour le Royaume-Uni, le 16 décembre 2021, Calais. (© Abdul Saboor)

Voyant qu’il était en mesure de vendre et d’exposer ses images, le photographe a voulu “montrer le plus de détails possible”, d’être “un témoin de notre parcours et de montrer aux gens la difficulté de l’exil”. Il immortalise une théière qui bout sur des rails de train, les décombres au milieu desquels des familles sont obligées de survivre, les mains tenues d’un couple qui s’apprête à tenter la traversée de la Manche ou le pendentif brandi par un jeune homme, représentant le drapeau noir, rouge et vert de l’Afghanistan.

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“Quand les talibans sont arrivés, ils ont pris notre drapeau et ont imposé un drapeau blanc. Notre drapeau est un symbole, et c’était très important pour lui. Sur la route, la police nous prend tout. Il s’était dit que la police ne prendrait sans doute pas son collier. Il m’a dit qu’il avait eu très peur qu’on lui prenne”, rapporte Abdul Saboor.

“Personne ne choisit de quitter son pays, personne ne subit ce danger sans raison, c’est une décision extrêmement difficile à prendre.”

Senzai, 29 ans. “Il y a 8 mois, j’ai marché de l’Afghanistan à l’Autriche, en passant par l’Iran, la Turquie, la Grèce, et plus. Depuis que j’ai quitté l’Afghanistan, j’ai ce collier avec moi, du drapeau afghan. Ce drapeau, c’est tout mon cœur.” Dans les temps difficiles, les gens trouvent des petits moyens de se remonter le moral. Souvent, cela est fait en se racontant des histoires, en rappelant des souvenirs du pays et en priant d’arriver sans danger en Angleterre. Ces histoires personnelles se matérialisent souvent dans des objets qu’ils portent avec eux et leur donnent de l’espoir. Le 22 décembre 2021 à Grande-Synthe. (© Abdul Saboor)

En racontant ces histoires ô combien nombreuses et pourtant traitées de façon souvent semblable dans les médias, Abdul Saboor veut rappeler des réalités omises : “Personne ne choisit de quitter son pays, personne ne subit ce danger sans raison, c’est une décision extrêmement difficile à prendre. On ne sait pas si on reverra un jour notre famille. Les gens ne veulent pas comprendre ça, ils ne prennent qu’une partie de notre histoire. Ils disent qu’on veut voler leur travail, mais qui vole leur travail ? Ça n’a rien à voir avec ça. On n’aura jamais ici ce qu’on avait dans notre pays, on perd énormément de choses qu’on ne retrouvera jamais.”

Lucide, il sait bien qu’au bout du compte, la réception de ses images “dépend de ce que les gens veulent bien voir” mais, en attendant, il ne perd pas de vue sa mission. Armé de son appareil, il continue de documenter les vies de l’exil pour changer les mentalités et offrir une représentation fidèle à celles et ceux qui espèrent un avenir meilleur.

Quand je vais dans les camps, les personnes exilées m’accueillent toujours avec du thé ou de la nourriture. À l’heure du thé, elles me disent : “Viens mon frère, bois avec nous” ou “Mange avec nous”. Dunkerque, le 8 janvier 2022. (© Abdul Saboor)
Les “baraquements” de Belgrade abritent environ 1 200 réfugiés coincés en Serbie, aux frontières de l’Europe. Ils ont subi des hivers à – 15 degrés Celsius sans douches, toilettes ou eau courante. Le squat était rempli de fumées toxiques tandis qu’ils brûlaient des couchettes et des traverses de chemin de fer pour cuisiner ou se réchauffer. J’étais l’un d’eux, j’ai passé un an à Belgrade. Le 27 février 2017 à Belgrade, Serbie. (© Abdul Saboor)

Le travail d’Abdul Saboor est exposé au Transfo, centre culturel d’Emmaüs Solidarité, 36 rue Jacques Louvel-Tessier 75010, aux côtés des œuvres de l’artiste turque Nil Yalter. L’exposition “C’est un dur métier que l’exil n’est-ce pas ?” dure jusqu’au 6 avril 2023, est ouverte à tous et à toutes et s’accompagne d’un programme de rencontres et de débats.