A Ghost Story : un chef-d’œuvre épuré et sensible

Publié le par Mehdi Omaïs,

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Un pavillon calme dans un coin indéfini des États-Unis. Quelques maisons étalées. Le paysage est plat, la lumière laiteuse et blafarde, pareille au signal d’un drame imminent. Les couleurs, elles, ne sont pas à la fête, délavées par cet accident-là, sur la route, qui fait s’épanouir une fumée blanchâtre. Dans l’une des voitures se trouve le héros (Casey Affleck), dont on ne connaîtra jamais le nom. Il vient de mourir, devant son domicile, laissant derrière lui une épouse éplorée (Rooney Mara). Plus tard, la mine atonique, cette dernière soulève un drap blanc, découvre les traits éteints de son défunt mari et quitte la morgue.

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Le cinéaste David Lowery ouvre sa nouvelle réalisation dans le calme, à l’instar d’un haïku romantique et macabre. L’épure est impressionnante : elle accroche d’emblée l’attention, le regard et le cœur. Surtout quand le mort se relève soudainement, sans bruit, sans effet, recouvert de ce tissu blanc et plissé. Cela aurait pu être risible si le choix des plans, la rigueur de la lumière et le travail sonore ne rendaient pas le spectre aussi concret, matériel et incarné. Lequel se meut bientôt avec langueur, le long des couloirs, entre les patients et les médecins. Sa marche, sublime et éthérée, le mène tout droit chez lui, où il entend consoler sa bien-aimée.

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Le temps, ce rouleau compresseur

A Ghost Story est une œuvre proprement inépuisable dans laquelle se bousculent, dès les premières minutes, une infinité de questions sur le sens de notre existence. Parmi elles : l’effroyable solitude de celui qui quitte les vivants. Ici, le macchabée en question, à l’image des yureis des légendes japonaises, ne se résout pas à embrasser les cieux. Il estime sa quête plus importante sur Terre, auprès de son amoureuse. Mais celle-ci ne l’entend pas, ne le voit pas, ne le sent pas (ou peu). Le fantôme n’a alors d’autre choix que celui de constater les crevasses du deuil, le poids de sa propre absence et les larmes des vivants. Il se sait dès lors emprisonné derrière les barreaux du temps et, par conséquent, nous convie, par un incroyable effet de miroir et d’identification funeste, dans une vertigineuse réflexion sur les fondements de notre existence.

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Derrière le drap, il va observer sa femme se reconstruire et délaisser leur maison après avoir abandonné, dans un recoin de sa charpente, un petit mot manuscrit en signe d’adieu. Ne demeurent alors plus qu’un piano et les souvenirs que portent ses notes muettes. D’autres gens emménagent, rient et vivent, provoquant l’ire de la figure spectrale. Le monde évolue. Les décors aussi. Armé d’une incroyable délicatesse, dans le regard comme dans le ton, Lowery balade ainsi le fantôme au gré des époques et le transforme en témoin tristement privilégié du temps qui passe et de l’oubli qu’il enfante. Les trajectoires, les destinées, les êtres et leurs histoires intrinsèques s’entassent dans ce même lieu, compactés par ces mois, ces années et ces siècles qui avalent l’individuel et le collectif.

En creux de sa démarche artistique, le réalisateur insiste sur une interrogation majeure : qu’est-ce qui nous survit ? Aussi loin qu’on puisse remonter, nous cherchons tous, ou presque, à laisser une empreinte, à exister au-delà de notre ultime souffle, à survivre dans la mémoire vacillante et friable de ceux qui nous aiment. Lowery nous rappelle avec sa propre grammaire visuelle, avec ses mots silencieux, que les vivants oublient parfois leurs morts. C’est bel et bien pour ça qu’il fait des films. Sa méditation sur la finitude a achevé de construire l’inestimable ADN de cette réalisation déchirante, importante, qui laisse des larmes et de la sidération dans son sillage de suie. Un des meilleurs films vus en 2017. Et de loin.

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