Violences conjugales : comment on est passé de “crime passionnel” à “féminicide”

Publié le par Clothilde Bru,

(c) Eric FEFERBERG / AFP

De l'importance des mots.

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C’est à Albert Camus que l’on doit l’idée selon laquelle mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde. Depuis plusieurs semaines, le mot “féminicide” revient de plus en plus souvent dans l’actualité.

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Formé en accolant le suffixe “cide” (du latin “caedere”, qui veut dire “tuer”) au mot “femme”, ce néologisme ne figure pourtant pas dans la plupart des dictionnaires. Quant à savoir ce qu’il désigne, c’est assez clair : il s’agit du meurtre d’une femme en raison de son sexe.

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Alors que les féminicides ont déjà fait plus de 100 morts depuis le début de l’année, le gouvernement lance, mardi 3 septembre à Matignon, un Grenelle sur les violences conjugales. Comment le mot “féminicide” est-il entré dans le langage courant ? Pour Caroline De Haas, militante au collectif féministe Nous Toutes, interrogée par Konbini news, il y a trois raisons à cela :

“Bien évidemment, c’est d’abord grâce au travail des associations féministes. Ensuite, il y a aussi le fait qu’Emmanuel Macron a lui-même employé ce terme. Enfin, le fait que des médias le reprennent, voire consacrent des dossiers entiers à cette cause : ça joue.”

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Si le mot s’installe en une de nos journaux et dans notre vocabulaire, certains semblent réticents à l’employer, voire enclins à le combattre. Il y a quelques jours, on est par exemple tombés sur cette tribune publiée dans Valeurs actuelles, au titre délirant : Le féminicide, un concept à combattre“.

Selon un article du Monde, certains magistrats sont aussi relativement frileux à l’utiliser, d’une part parce que le concept n’existe pas en droit pénal, mais aussi parce qu’il exclut l’éventualité où c’est la femme qui assassinerait son conjoint. Aussi préfèrent-ils le concept “d’homicide conjugal”.

Le crime passionnel n’existe pas

Pour autant, les deux scénarios ne sont pas comparables, comme l’ont démontré les psychanalystes et sociologues derrière l’ouvrage Asymétrie des comportements dans le crime dit passionnel, qui faisait l’objet d’un article dans Sciences et Avenir dès 2005.

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Si “les hommes tuent pour ‘garder’ les femmes, les femmes tuent pour ‘se débarrasser des hommes’. Il y aurait donc deux profils complémentaires de ‘criminels passionnels’ : le ‘macho féminicide’ et la ‘femme battue qui tue’. Dans l’enchaînement des faits, tout commence par la violence masculine…”

Longtemps, on a quand même préféré “crime passionnel” à “féminicide”. Mais depuis quelques années déjà, la locution est décriée. En 2014, une tribune du collectif Prenons la une, publiée dans Libération, appelait à ne plus utiliser ce mot dans les médias.

Pour ses autrices et auteurs, comme de nombreuses féministes, le “crime passionnel” n’existe pas, c’est seulement une manière de déguiser les violences faites aux femmes.

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“Il y a un problème avec le terme de ‘crime passionnel’ : ça donne l’impression que c’est parce qu’il y a trop d’amour qu’on a tué. Or ce n’est pas logique. Si on tue, c’est par définition parce qu’on n’aime pas”, abonde Caroline De Haas.

S’il est de plus en plus rare de retrouver cette locution en une de la presse, il arrive encore que certains journalistes utilisent ce terme, déplore Caroline De Haas :

“On peut encore trouver des articles où on lit d’abord ‘féminicide’, puis ‘crime passionnel’, donc l’un n’a pas encore remplacé l’autre. L’arrivée du mot ‘féminicide’ est super forte mais ça n’empêche pas certaines violences d’être encore mal qualifiées.”

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Est-ce que ce ne serait pas ça l’enjeu du Grenelle sur les violences conjugales : faire entrer le mot féminicide dans le Code pénal ? “L’enjeu du Grenelle, ce n’est pas ça. C’est de faire stopper les violences. On a besoin avant tout de places d’hébergement, de l’Éducation nationale… L’enjeu du Grenelle c’est d’en finir avec la violence”, tranche la militante féministe.

Ce dernier doit se tenir jusqu’au 25 novembre prochain, en présence de représentants des services de l’État, d’associations, de personnels soignants, d’élus locaux, de magistrats, de proches de victimes et d’avocats.