Témoignage : un viol, c’est ça

Publié le par La Zep,

©Carlo107 via Getty Images

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Violée à 17 ans par son mec, Mathilde raconte ce moment d’horreur, puis les années qui ont suivi avant de prendre pleinement la mesure de ce qu’elle avait subi.

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Je vais vous raconter sans concession mon viol.

À toutes les personnes qui ne souhaitent pas entendre, comprendre, vivre ou pour certain.e.s revivre ce type d’histoire, il est encore temps de quitter la page.

Sa chambre. Son univers. Ses objets. L’odeur de la pièce. La couleur des draps. L’emplacement du velux. La couleur du ciel au travers.

Je me souviens de tout jusque dans les moindres détails. Lui, non.

Dans le lit. On s’embrasse, on se caresse, on se cherche avec le langage du corps.

Il me découvre, je le découvre et à mesure, je me perds.

Est-ce vraiment mon désir ? Mon envie ? Mon attirance sexuelle ?

Ou est-ce que sentir son érection m’oblige à lui rendre la pareille ?

Tout cela glisse, se faufile, s’entremêle en moi. J’essaye de me persuader que pour toutes les premières fois avec un homme, chaque femme se dilate et se contracte dans cet écheveau de questions.

Il pince mes tétons. Fort.

Puis mes seins.

Il s’y agrippe comme une tique.

C’est bizarre d’avoir mal.

Il presse durement son corps contre le mien. Je suis bloquée. Alors je me crispe. Mon dos s’arque. Non de délice et d’extase mais pour éloigner son appendice turgescent.

Horreur et dégoût m’assaillent.

Mon âme se meurt

Il enfonce un doigt, puis deux. STOP.

Je dis très distinctement : “Non.”

Il continue.

Je gémis de douleur.

Il comprend l’inverse. ARRÊTE !

Il me déchire de l’intérieur, me ravage avec des mouvements brusques. Violents.

Ça me rappelle des films pornos.

Ses doigts entrent et sortent de plus en plus vite.

J’ai l’impression d’avoir un burin chauffé à blanc en moi.

Cette partie de mon corps est meurtrie et une part de mon âme se meurt.

Ce qui m’a sauvée ? Ma vessie !

Dieu merci, j’avais la panse pleine et me suis liquéfiée.

Étendue, étalée, répandue et soulagée sur son lit. Dans ces draps gris. Merci terreur.

Il a cru que je devais être une femme fontaine. Que nenni.

J’ai enfin eu le courage de l’éjecter brusquement de mon corps.

Ce n’est pas fini.

Lui n’a pas fini. Il n’est pas fini.

Toujours en rut, l’œil lubrique, le corps tendu en suspens au-dessus de moi :

“Tu ne peux pas me laisser comme ça.”

Il a les avant-bras à côté de mon visage.

Je sens dans mes entrailles et dans la moindre parcelle de son corps que je n’ai pas le choix.

À cet instant, je me souviens avoir pensé très froidement : il faut que je le branle sinon il va me violer.

Alors je l’astique. Mal.

Gauchement, un peu gourde, trop douce. Il me reprend la main et me fait serrer sa verge plus fort. On accélère.

C’est long.

Il sue.

Il gémit puis se soulage et se répand à son tour.

Son sperme gicle jusqu’à mon cou. Sur les suçons qu’il m’a faits précédemment.

J’en ai sur et entre les seins. Mes tétons sont enflés.

Mon ventre et mon nombril me font penser à un bassin de rétention.

Partout. Il y en a partout.

Je me sens sale. Sidérée, bloquée, choquée.

C’est dégueulasse, putain. Et ça pue.

Je ferme les yeux, me tends pendant qu’il m’essuie et qu’il efface les traces de son forfait.

J’ai envie de vomir, de fuir tout ce qui m’entoure.

Je descends aux toilettes. Pour faire le point. Ce n’est pas normal. C’est l’horreur.

Je ne me suis jamais sentie aussi impuissante, passive, absente et paradoxalement présente et témoin d’une scène de ma vie. J’ai 17 ans.

Je remonte. Il joue du piano. Je sens qu’il n’est pas satisfait.

On va manger en ville. Je touche à peine à mon assiette.

Il me fait gentiment savoir que c’est bête de payer deux kebabs pour rien. Il mange le mien.

On va au ciné et je le quitte la semaine suivante. Fin de l’histoire.

“Mathilde, c’est un viol”

J’ai revu mon violeur plusieurs fois après la séparation. Tout allait bien ; un peu étrange mais courtois et amical.

Un ou deux ans plus tard, j’ai voulu en discuter avec lui.

Je lui ai dit que je n’étais pas d’accord, que j’avais dit “non”.

Plusieurs fois.

Il ne comprenait pas. Pour lui ça ne s’était pas passé ainsi.

Fin de l’histoire, les années passent. Tout va bien.

Et puis je suis tombée malade. Littéralement.

Anorexie mentale.

Perte de poids, de cheveux, d’une dent, de temps, de vie, de chaleur et d’émotions.

Plus d’envie pour l’envie, plus de goût à la vie. Pour rien ni personne.

Il est venu m’en reparler.

Est-ce qu’il était en partie responsable ?

Est-ce qu’il avait joué un rôle dans ma chute ?

Je l’ai rassuré. Non, mon ami. Tout va bien. Ce n’est pas grave, ça va aller.

Je voulais juste qu’il me laisse tranquille.

Et puis nul n’est coupable ou responsable.

C’est une accumulation de plein de choses, voilà tout.

Les années passent.

La maladie progresse, se rétracte, va et vient.

Un peu comme une branlette, ou comme ces doigts dans ma schnek.

J’ai 23 ans. Pour la première fois je raconte la scène à quelqu’un. Mon meilleur ami.

Mon super-héros du quotidien.

On est dans sa voiture. Il pleut.

Pendant que les gouttes s’égrainent sur son pare-brise et que mon histoire ruisselle à travers mes lèvres, il écoute.

Fin de l’histoire.

Il prend une longue, très longue, vraiment très longue inspiration.

“Mathilde, c’est un viol.”

J’assimile. J’encaisse dans sa caisse.

“Un viol ? Mais y’a pas eu pénétration. Et je sortais avec lui.
– Bah les doigts, tu crois que c’est quoi ? Puis t’as dit non. C’est un viol.
– Ah.”

Je suis en colère. En rage.

La haine m’anime et me consume quotidiennement.

Entre temps, j’ai appris que je n’avais pas été la seule.

Un peu plus d’alcool sur cette blessure.

Je ronge mon frein pendant un an encore.

Entre mon violeur, qui se revendique féministe, et moi, la tension monte. Inexorablement.

Elle devient insoutenable.

On en reparle une dernière fois.

Je vais droit au but puisqu’il me demande comment faire.

Il ne comprend pas d’où provient cette colère.

Je n’attends et ne veux de lui que des excuses.

Qu’il prenne conscience des faits.

Qu’il s’excuse auprès d’une autre.

Qu’il ne recommence plus jamais. Sinon…

Et si un jour il devient parent, qu’il éduque ses enfants en connaissance de cause.

Inutile de revenir sur le discours. J’ai obtenu ce que je voulais dans l’immédiat.

Ce dont peut-être sur le très long terme, je vais avoir besoin.

Pour me reconstruire.

Un peu.

Je voulais juste ses excuses.

“Non, c’est un peu oui quand même”

Pendant les #balancetonporc et le raz-de-marée médiatique qui a suivi, je me suis longuement demandé si je devais également le “balancer”.

Puis je me suis dit qu’il valait mieux donner du sens à cette histoire.

Pour moi en premier lieu. Et pour lui, peut-être. Et pour d’autres.

Il semblerait qu’il y ait une prise de conscience, lente certes, mais bien présente d’une culture du viol dans nos sociétés.

Dans certains cas, comme le mien, il m’a même fallu beaucoup de temps pour sortir du déni.

Bien confortable pour tout un chacun que de fermer les yeux sur un événement aussi sordide.

Parce que tout n’est pas aussi simple. Parce que se faire violer par son petit copain n’était pas concevable dans mon esprit.

Parce que j’avais eu la chance d’avoir une éducation sexuelle irréprochable par ma mère, sur la question du consentement.

Parce qu’il n’y avait pas de tabou et que l’on parlait de tout avec elle. Parce qu’il était apprécié de tous. Parce que je me posais beaucoup de questions sur ma propre sexualité.

Parce que c’est tellement compliqué de l’évoquer, d’y penser, de revivre la scène encore et encore et encore.

Dans certains cas, cela peut prendre beaucoup de temps et d’énergie de prendre conscience des choses. D’accepter de ce dire que l’on a été violé. Qu’on est une victime. Point barre.

L’une de ses défenses était son éducation, justement.

Une phrase ou une blague échangée dans des repas de famille, ou entre potes.

“Oui mais tu sais… Une femme qui dit non, c’est un peu oui quand même.”

Bah non, crétin.

Mon corps s’en souvient encore et ma tête aussi.

Ça s’appelle le stress post-traumatique.

Mathilde V., 24 ans, étudiante, Amiens

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.

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