Des “OGM masqués” peuvent-ils se retrouver dans nos assiettes à notre insu ?

Publié le par Astrid Van Laer,

© Malte Mueller / Getty Images

Greenpeace se bat pour que les NBT, "new breeding techniques", soient reconnues comme des OGM et soient mieux encadrées.

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Qui sont les NBT, accusées d’être des OGM qui avancent “masqués”, dont les effets à long terme sont pour l’heure impossibles à déterminer ? Si elles laissent entrevoir des possibilités nouvelles, les NBT posent plusieurs questions, notamment sanitaires. Leur impact à moyen et long terme sur l’environnement ou la santé est encore méconnu et leur dissémination inquiète divers acteurs.

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Les NBT, les “new breeding techniques” en anglais, soit de nouvelles techniques de sélection, sont d’après le site du ministère de l’Agriculture, “un ensemble très divers de techniques de génie génétique qui permettent de modifier le génome de manière ciblée, de moduler l’expression des gènes […]”. Ainsi, par le biais de ces nouvelles techniques, les mutations génétiques de l’organisme, obtenues par mutagenèse, sont provoquées.

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Autrement dit, en forçant des mutations d’ordinaire naturelles, on façonne une plante de manière à ce qu’elle réponde à certaines exigences, le tout sans insertion d’un gène étranger. Les NBT permettent par exemple de rendre la plante plus tolérante aux herbicides. Pourtant, elles échappent à un cadre légal strict comme les OGM.

Les organismes génétiquement modifiés (OGM), quant à eux, “font l’objet d’un cadre réglementaire européen”, précise l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses), ajoutant que par conséquent leur “sécurité sanitaire pour leur mise en culture et/ou pour leur consommation par l’homme et l’animal est évaluée avant d’être autorisé[s] sur le marché européen”.

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Grâce à cette réglementation stricte, qui implique un étiquetage particulier notamment, les consommateurs ont le choix de consommer ou non des OGM. Ce choix est désormais “menacé” par les NBT, affirme Greenpeace France, qui se bat pour que les NBT soient réglementées au même titre que les OGM et ne contournent plus ce cadre réglementaire en vigueur.

Pour le ministre de l’Agriculture, “les NBT ne sont pas des OGM”

Car pour Greenpeace, les NBT ne sont ni plus ni moins que “des OGM masqués” et “cultiver et disséminer dans la nature des plantes génétiquement modifiées dont on ne peut pas anticiper les effets menace la biodiversité et la pérennité de notre agriculture, en plus d’en favoriser l’industrialisation”. Et l’ONG, qui a mis en ligne une pétition, d’ajouter :

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“Il est hors de question que la commercialisation des OGM produits par des NBT soit facilitée sous prétexte que ces techniques sont plus récentes, sans qu’aucune preuve ne soit fournie de leur caractère inoffensif pour notre santé et notre environnement.”

La bataille de Greenpeace est de placer les NBT sous la réglementation des OGM pour “met[tre] en place un contrôle strict des autorisations de culture et de commercialisation des OGM”, mais aussi pour “rendre obligatoire un étiquetage faisant mention de la présence d’ingrédients OGM dans les aliments commercialisés” afin de permettre aux Français d’avoir le choix et le droit de manger sans OGM.

Un combat qui pourrait s’avérer compliqué, à en croire les récentes déclarations du ministre de l’Agriculture. Julien Denormandie a en effet affirmé lors d’un entretien accordé à Agra Presse le 15 janvier dernier que les NBT n’étaient “pas des OGM” : “Ce sont des technologies qui permettent d’accélérer la sélection végétale” a-t-il dit, demandant une “réglementation propre”, a-t-il dit, ajoutant :

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“Cette technologie permet de faire apparaître plus tôt une variété qui aurait pu apparaître naturellement à un moment donné, et c’est très bien. C’est très différent d’un OGM, qui est d’abord une plante, et non une technique, obtenue en allant chercher un gène d’une espèce pour la transférer dans une autre, ce qui n’arrive pas dans la nature.”

La Confédération paysanne demande un “démenti formel”

Des propos qui avaient grandement déplu à la Confédération paysanne. Dans une lettre ouverte adressée au chef du gouvernement Jean Castex et à la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, les syndicats de cette confédération s’étaient dits “particulièrement choqués” par les propos du ministre selon lesquels les “NBT ne sont pas des OGM”, arguant :

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“Cette déclaration est tout d’abord erronée lorsque le ministre prétend que ‘cette technologie permet de faire apparaître plus tôt une variété qui aurait pu apparaître naturellement à un moment donné’.

Tous les travaux scientifiques montrent en effet que, au-delà de la modification génétique revendiquée, toutes les nouvelles techniques de modifications génétiques, dites NBT, génèrent de multiples autres modifications génétiques et épigénétiques non intentionnelles qui ne se produisent pas naturellement. Les variétés issues de ces NBT diffèrent donc nécessairement de celles qui auraient pu apparaître naturellement.”

La Confédération avait exigé du gouvernement un “démenti formel au plus haut niveau”. Même son de cloche du côté de Greenpeace, dont la chargée de campagne agriculture pour la France, Suzanne Dalle, avait vu dans cette déclaration “un renoncement extrêmement dangereux face au lobby incessant des entreprises de l’agrochimie et les semenciers”.”La dissémination de ces nouveaux OGM dans l’environnement sans mesures de sécurité appropriées est illégale et irresponsable”, avait-elle assuré.

À l’inverse, dans un communiqué, l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) avait qualifié la vision de Julien Denormandie d’“avancée positive pour les filières végétales”, arguant : “Alors que la France et l’Europe s’engagent à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires et à adapter leurs agricultures aux conséquences du changement climatique, elles ne peuvent pas se priver d’utiliser toutes les technologies disponibles pour l’amélioration génétique des plantes.”

Évoquant “la compétitivité de nos filières végétales”, l’AFBV avait détaillé : “Cette adaptation s’impose aussi pour assurer notre souveraineté semencière, premier maillon incontournable de notre souveraineté alimentaire.”

Le Conseil d’État et la CJUE sur la même ligne

Rappelons que, le 25 juillet 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait tranché dans un arrêt décrétant que les “organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes par mutagenèse sont des OGM” et relèvent donc de la législation européenne à ce sujet.

Quant au Conseil d’État, il a jugé que “les organismes obtenus par certaines techniques de mutagenèse doivent être soumis à la réglementation relative aux OGM”. Sa décision, datée du 7 février 2021, s’appuie sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, qui “juge que les organismes obtenus au moyen des techniques de mutagenèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive de 2001 doivent être soumis aux obligations imposées aux OGM par cette directive”.

Mais “les variétés obtenues au moyen de techniques plus anciennes, dont la sécurité est avérée depuis longtemps, ne sont pas soumises à ces obligations”, avait précisé le Conseil d’État. En outre, il avait donné six mois au gouvernement “pour modifier en ce sens l’article D. 531-2 du code de l’environnement” qui concerne les organismes génétiquement modifiés, et ainsi se mettre en accord avec la législation européenne.

Il lui a également donné neuf mois pour “identifier les variétés de plantes agricoles obtenues par mutagenèse qui ont été inscrites au catalogue officiel des plantes cultivées sans avoir fait l’objet de la procédure d’évaluation des risques applicable aux OGM, alors qu’elles auraient dû y être soumises du fait de la technique utilisée pour les obtenir”, pouvant donner lieu au retrait des “variétés concernées du catalogue” et à “[la suspension de leur] culture”.

L’un des objectifs de la pétition mise en ligne par Greenpeace est donc de presser le gouvernement à publier les décrets voulus par le Conseil d’État, et ce le plus tôt possible.