“Top Chef, ce n’est pas une finalité pour moi” : entretien avec Victor de Top Chef

Publié le par Damien Garcia,

© Julien Theuil/M6

"Je sais que l’échec fait partie de l’apprentissage."

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Clap de fin pour Victor Blanchet. Le candidat de 24 ans a proposé une cuisine haute en couleur, qu’il qualifie de spontanée. Originaire de Haïti, c’est à l’âge de 2 ans que lui et sa sœur biologique sont adoptés. Leur nouvelle vie commence à Laval, en Mayenne. Au fil des années, Victor développe une attache pour la cuisine et l’athlétisme qu’il pratique à haut niveau. Ennuyé par les cours théoriques, c’est dès la sortie du collège qu’il décide de suivre une formation en cuisine. Son stage dans l’hôtel-restaurant triplement étoilé Le Clos des Sens sera une véritable révélation.

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À seulement 24 ans, l’expérience, ce n’est pas ce qui lui manque. Victor sera d’abord commis, puis demi-chef de cuisine chez NESO, le restaurant étoilé de l’ancien candidat de Top Chef Guillaume Sanchez. Après plusieurs étapes dans des maisons prestigieuses, il intégrera la brigade de l’Arpège, le restaurant triplement étoilé du chef Alain Passard. Victor y évolue aujourd’hui en tant que demi-chef de la partie rôtisserie.

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Konbini | Ça fait quoi de se voir à la télé ?

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Victor | Ça fait quelque chose. Moi, le petit Haïtien qui est arrivé à Laval à l’âge de 2 ans, vingt ans plus tard, je me retrouve à la télé, sur M6. C’est beau, c’est fou.

Qu’est-ce qui t’a amené à participer à l’émission ?

Je regarde Top Chef depuis que je suis tout petit, c’est un peu devenu mon rituel chaque année. Et à partir d’un moment, je me suis dit : “J’adore la cuisine, je veux en faire mon métier”, et le saint graal pour moi, c’était d’un jour intégrer l’émission. J’ai envoyé ma candidature il y a deux ans. Je n’avais pas été rappelé, ce qui n’est pas plus mal parce que je pense que je n’étais pas prêt à l’époque. Ils m’ont recontacté l’année dernière, j’ai fait les castings, et au final, je me suis retrouvé dans Top Chef. Je ne m’y attendais pas du tout.

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Comment tu es arrivé dans la cuisine ?

Dans ma famille, on aime bien cuisiner. Le poulet du dimanche devant Walker, Texas Ranger, tout le monde connaît. J’ai toujours pris du plaisir à aller en cuisine, toucher les produits, les cuire. C’est en troisième que je me suis rendu compte que le système de l’école, ça ne me convenait pas trop, j’avais besoin de concret. Il me fallait un métier dans lequel je pouvais pratiquer tout de suite. J’ai choisi naturellement la cuisine. Ce n’est que trois ans après le début de ma formation que je me suis dit : “Je vais en faire mon métier.” Avant, je ne me posais pas trop la question. C’est suite à un stage au Clos des Sens que j’ai réalisé que la cuisine, c’est ce que je voulais faire. C’était incroyable.

Tu as aussi fait beaucoup d’athlétisme dans ta jeunesse.

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L’athlétisme, j’ai toujours considéré ça comme un loisir. Même si je me débrouillais très bien, j’ai jamais voulu en faire mon métier. Je m’investissais à 2 000 % parce que j’étais un compétiteur, je voulais être le meilleur, mais c’était juste un plaisir à côté. Aujourd’hui, je continue à courir, mais revenir à la compétition, ça serait trop compliqué. J’aurais trop d’attente par rapport au niveau que j’ai eu dans le passé.

Tu le dis, tu es un gros compétiteur, tu aimes gagner. Pourtant, dans la défaite, tu restes humble et lucide.

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Parce que je sais que l’échec, ça fait partie de l’apprentissage. Quand on est un compétiteur, on se dit tout de suite qu’on ne veut pas perdre. Mais les plus intelligents et performants, ils ont conscience que la défaite, ça peut arriver et ce n’est pas une fin en soi. Ça permet de se relever, et c’est à ce moment-là qu’on devient meilleur.

Top Chef, pour toi, ce n’était qu’une étape ?

Je l’ai toujours dit : “Top Chef, ce n’est pas une finalité pour moi.” C’est une opportunité incroyable, mais j’ai envie de viser encore plus haut. J’ai envie d’avoir un restaurant étoilé, plusieurs établissements. Top Chef, c’est un tremplin pour accéder à tout ça très rapidement, j’en suis conscient, mais ce n’est pas une fin en soi.

Tu as des regrets ?

Bien sûr. J’aurais aimé avoir au moins une épreuve où je cuisinais tout seul, pour montrer le Victor à 100 %. J’ai remporté des victoires, mais c’était en binôme, donc je n’ai pas tout le mérite. Je ne suis pas là pour imposer ma cuisine aux autres. Je suis aussi venu pour découvrir l’univers culinaire de mes camarades. Mais j’aurais aimé faire plus d’épreuves individuelles.

Justement, sur les épreuves en duo, on t’a vu prendre beaucoup de plaisir.

Ouais, c’est quelque chose que j’ai découvert dans Top Chef. Je suis quelqu’un de très individualiste, j’y vais tout seul, je gagne tout seul. L’émission m’a permis de m’ouvrir aux autres, de travailler en duo, et j’ai réellement adoré ça. C’est cool de ne pas avoir toute la pression sur ses épaules. S’il y en a un qui doute, l’autre est là pour toi. Dans le futur, j’adorerais faire des repas à 4 mains.

Tu parles de pression, pourtant tu apparais très calme pendant les épreuves.

Je pense que c’est grâce à la compétition. Quand tu en fais, tu n’as pas le choix, il faut trouver des méthodes pour intérioriser. Parce que si tu te fais bouffer par le stress, tu vas faire n’importe quoi. Je suis quelqu’un qui intériorise énormément. Ça se voit notamment sur le moment où on m’annonce que je suis éliminé. Je sais que beaucoup auraient aimé que j’extériorise. Pour le coup, Léo l’a fait pour moi, il a montré ce que je ne voulais pas montrer.

Tu appréhendais en arrivant, il y a des candidats qui te faisaient peur ?

Évidemment, il y a toujours ce petit truc, on se regarde, on s’observe, on se jauge : “Tu viens d’où ? Tu bosses où ? C’est quoi ton parcours ?” Moi, depuis le début, Danny me fait peur, je me suis dit : “Lui, c’est un finaliste.” Quand je le rencontre pour la brigade cachée, je me dis : “Fait chier.” J’arrivais tout content en mode “Ouais, c’est cool, on est de retour”, et quand je le vois, je réalise qu’il a battu tout le monde. Forcément, je me remets direct dans la compétition.

Tu la définirais comment, ta cuisine ?

Avant Top Chef, je n’arrivais pas trop à la définir. Maintenant, je dirais que c’est une cuisine d’inspiration, une cuisine d’instinct. Je déteste qu’on me mette dans une case, j’ai envie de pouvoir tout faire. C’est ça que j’aime bien avec la cuisine que j’appelle “d’instinct”, c’est une cuisine sur le moment. Quand on viendra à mon restaurant, j’ai envie qu’on se dise : “On ne sait pas à quoi s’attendre, mais on sait qu’on va en prendre plein les papilles.”

Est-ce que Top Chef a changé ton appréhension de la cuisine ?

Même si c’est que cinq semaines, on cuisine aux côtés de candidats qui sont chefs, qui ont beaucoup d’expérience, et en dehors des épreuves, on discute énormément. Il y a tellement de profils différents que j’ai beaucoup appris.

Laval, ça représente quoi pour toi ?

Je suis arrivé en Mayenne après mon adoption, à l’âge de 2 ans. Laval, j’ai fait toute ma scolarité là-bas. L’amour qu’on n’a pas pu avoir en Haïti, on l’a eu ici, en France. Il n’y avait pas du tout de racisme, certes un peu de curiosité, mais surtout énormément de bienveillance. Le sport, les amis, la cuisine, Laval m’a tellement apporté que je ne peux qu’y être attaché.

Tu te vois où dans dix ans ?

J’aimerais bien être chef d’un restaurant sur Paris, avec au moins une étoile au guide Michelin. Deux, ça serait un rêve ; trois, c’est chaud niveau timing. Je me suis toujours dit que j’aimerais bien avoir les trois autour de la quarantaine. Mais déjà, si dans dix ans, j’ai une étoile, c’est très bien. Avec une carte aux États-Unis en plus, ça serait encore mieux. Les deux couplés, c’est un petit peu mon rêve.

Tu ne te mets pas de barrière ?

J’ai pu participer à un concours comme Top Chef, qui donne énormément de visibilité, il ne faut surtout pas se mettre de barrière. On a la vie devant nous. Si je m’étais mis des barrières quand j’étais arrivé en France, je n’en serais jamais là aujourd’hui.