L’étrange histoire du “curry breton” qui n’est vendu qu’en pharmacie

Publié le par Florian Domergue,

© Florian Domergue pour Konbini

On a enquêté sur le Kari Gosse, un étonnant curry breton uniquement vendu dans les pharmacies du Morbihan.

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Du curry en Bretagne, quelle drôle d’idée. Pourtant, au pays du beurre salé et de la galette-saucisse, le Kari Gosse est un produit aussi emblématique localement qu’il est méconnu dans le reste de la Gaule. Mais reprenons du début. Lorient (L’orient, vous voyez l’idée ?) est un port créé en 1666, lorsque la Compagnie des Indes orientales obtient de Louis XIV des terrains pour y établir ses installations. On y débarque donc quantité d’épices rapportées des “Indes”. En toute logique, c’est là que va naître le curry breton.

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En effet, le curry (mais également “cari” ou “kari” selon les orthographes) n’est rien d’autre qu’un assemblage d’épices. “Contrairement à ce que beaucoup de gens imaginent, le curry ne pousse pas sur un arbre* comme le poivre par exemple. Le terme désigne en fait un mélange d’épices”, détaille Samir Ouriaghli, sourceur d’épices françaises et créateur de la marque Ankhor.

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“Dans la même idée, on peut citer le raz-el-hanout ou le colombo antillais. Pour être plus précis, le mot ‘curry’ est en réalité un terme générique qui désigne, en Inde, un type de plats en sauce mais qui, par facilité de langage, a été intégré dans le vocabulaire commun comme une dénomination des associations d’épices qui interviennent dans leur composition. Le véritable nom de ces différents mélanges étant plutôt le massala et ses différentes déclinaisons.”

Le Kari Gosse n’échappe donc pas à la règle, puisqu’il mélange des éléments tels que la cannelle, le curcuma ou encore le gingembre. Cependant, difficile d’en connaître la composition exacte, puisque à l’image du Coca-Cola, sa recette est brevetée et donc pleine de mystère. “La légende veut que la recette ait été transmise à Edmond Gosse, un pharmacien lorientais, à la fin du XIXe siècle par un naufragé indien qu’il aurait sauvé un jour où il était en mer en train de pêcher”, nous raconte Xavier Pouezat, aujourd’hui producteur du mélange à la robe corail.

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Au milieu des pilules et des Doliprane

Transmise à la suite des différentes reventes de la pharmacie de M. Gosse, la composition du curry breton est donc aujourd’hui entre les mains de la famille Pouezat, qui continue à l’assembler dans le village d’Auray. “À la base, la production se faisait à Lorient, mais en janvier 1943, une bombe est tombée sur la ville et a détruit notre pharmacie, ma famille est donc partie s’installer un peu partout dans la région, notamment à Auray, où nous avons repris la production avant de déménager il y a deux ans à Vannes.”

Produit ultralocal, il n’est distribué que dans le Morbihan, et plus précisément dans les pharmacies du département, ce qui, on ne peut le nier, est un peu atypique. En effet, malgré les vertus médicinales associées aux épices au travers de la médecine ayurvédique, on ne manquera pas de s’étonner qu’un ingrédient de cuisine trône sur les étals des établissements à la croix verte, aux côtés des boîtes de Doliprane et autres pilules en tout genre. Toutefois, pour Xavier Pouezat, rien de si surprenant là-dedans. “À l’époque, les pharmaciens n’étaient pas des vendeurs de médicaments mais plus des apothicaires qui faisaient leurs mélanges de plantes. Les gens avaient l’habitude d’acheter du Kari Gosse dans leur officine, donc les enfants ont toujours connu ça, et la tradition s’est perpétuée.”

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C’est également cette tradition et une volonté de continuer de proposer un produit artisanal qui poussent le gardien de la recette à ne pas augmenter ses volumes pour s’ouvrir à d’autres départements, que ce soit dans la péninsule bretonne ou dans le reste de la France. Pourtant, malgré cette distribution ultralocale à destination d’un public d’initiés, le Kari Gosse est parfois en rupture de stock, symbole de son succès auprès des Morbihannais.

“Pendant les fêtes de fin d’année, ça devient très compliqué d’en trouver”, en rigole Julien Corderoch, chef du restaurant Louise, à Lorient, une adresse spécialisée dans le 100 % marin. Car qui dit fêtes, en Bretagne tout particulièrement, dit produits de la mer, notamment du homard, et c’est justement avec la poiscaille que le Kari Gosse révèle tout son potentiel aromatique.

Un atout pour les recettes

“C’est un mélange d’épices qui va parfaitement avec les fruits de mer, avec d’un côté un aspect très floral et épicé, auquel s’ajoute une pointe de piment qui relève un peu le tout. Dans ma tête, ça évoque directement la cuisson du homard, les bouillons, les cuissons mijotées et les poissons pochés, voire trop, des anciens”, détaille le chef qui, à l’image de Jean-Paul Abadie, anciennement deux étoiles Michelin, et son fameux homard au Kari Gosse, a fait du mélange une de ses plus fidèles alliés à l’heure de popoter ses douceurs marines. On en retrouve d’ailleurs dans le beurre qu’il sert à table à ses clients.

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“Je l’utilise soit à froid pour avoir vraiment le parfum des épices, soit pour rôtir des produits de la mer. Dans ce cas-là, on va aller chercher l’aspect torréfié des épices et faire ressortir le piment ; au final, c’est quand même un mélange qui a pas mal de caractère.” Le Kari Gosse est donc une épice au tempérament aussi mystérieux qu’impétueux, à l’image du peuple breton, pourrait-on être tenté de dire.

Proche de la retraite, Xavier Pouezat ne se refuse cependant pas à l’ouverture de son précieux curry sur le monde. “Je ne sais pas ce que vont décider mes enfants lorsque ce sera leur tour de reprendre la production. Dans tous les cas, c’est une épice qui voyage, puisque quand les gens viennent dans le coin, en général, ils en ramènent comme souvenir ou comme cadeau.”

Au final, comme un écho à l’histoire des épices autour de la planète, le curry breton, produit aujourd’hui encore plein d’exotisme, pourrait s’offrir au reste du monde au gré des voyages et des périples vacanciers des fiers explorateurs à sandales qui viennent à la découverte des terres bretonnes pour en ramener ce qu’elles ont de meilleur.

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* Il existe bien une “feuille de curry”, sans lien avec le mélange d’épices qui nous intéresse, qui développe des saveurs plutôt végétales qui se rapprochent par exemple de la citronnelle.