En début de semaine dernière, j’entends à la rédaction qu’il n’y a personne pour couvrir le match de NFL qui verra s’affronter les Jaguars de Jacksonville et les Bills de Buffalo au stade Tottenham de Londres ce dimanche 8 octobre. Dans le doute, j’envoie un DM à mon ami et collègue du sport, Abdallah : vous n’avez personne, personne ? Bonne âme, je peux me dévouer. Tout le monde semble oublier que je suis normalement spécialisée dans les arts et que ma seule expérience du foot US se résume à un visionnage du Super Bowl, en février dernier.
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Me voilà donc en route pour Londres, à plancher sur les règles d’un sport qui m’a toujours paru incompréhensible et à essayer de comprendre pourquoi c’est la Grande-Bretagne qui accueille des équipes états-uniennes pour jouer le sport le plus américain qui soit. La réponse est assez simple : après plus d’un siècle à voir régner en maître sur le pays de l’Oncle Sam le foot US, sa franchise, la NFL, lourde de ses 15 milliards de dollars de revenus (“l’équivalent de 3 millions de dollars de marchandises NFL sont vendues chaque jour sur le territoire US”, note un responsable de la ligue), tente de s’exporter au-delà de ses frontières.
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Ce sont plutôt des pays “sans tradition de sports de contact tels que le rugby” qui se sont pris de passion pour les casques et les petits leggings, m’explique le créateur de contenu Unseen Samy. Il y aurait des millions de fans en Allemagne, au Brésil et au Mexique notamment. Côté Angleterre, ce serait plutôt l’influence anglo-saxonne et la langue commune qui auraient convaincu la NFL de placer ses billes sur le côté gauche de la route.
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À Londres, à l’occasion de la NFL Experience, sorte de “kermesse du foot américain”, et pour le jour du match, le public est du cru mais aussi européen (l’Allemagne et la Scandinavie sont particulièrement représentées) et, évidemment, états-unien. Nombre de supporters que je rencontre me confient avoir parcouru des milliers de kilomètres, dépensé des milliers de dollars et, parfois, avoir quitté leur continent pour la première fois exprès pour ce match.
Rudesse et finesse
Je dois vous avouer qu’en relisant mes notes, je vois avoir écrit pendant le match : “Mais qui a inventé ce putain de sport qui est vraiment une putain d’excuse pour se foutre sur la gueule.” Sachant que je parle habituellement plutôt à base de “Purée”, je me dis que j’ai vraiment dû beaucoup m’interroger quant à la violence inhérente à ce sport le temps de ce match de CINQ HEURES qui voit sortir victorieuse les Jaguars de Jacksonville. Une des premières fans que j’interroge loue en ce sens “les incroyables athlètes du sport” : “Ce sont des gladiateurs, ils pourraient mourir sur le terrain, c’est ce que j’admire.”
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Ce n’est cependant pas un axe de réponse que j’entendrai beaucoup par la suite. Les personnes à qui je demande pourquoi le sport est leur préféré plébiscitent plutôt la réflexion du jeu et ses stratégies : “C’est un mix entre les échecs et le rugby”, élabore un Britannique en habits de cheerleader. Un autre fan va plus loin avec la métaphore du jeu de plateau : “C’est un jeu d’échecs, mais version Harry Potter, parce que tu te fais casser la gueule en même temps.”
“Quelque part, c’est un sport de bourrins, mais qui essaie de protéger ses artistes”, ajoute ce même fan lorsqu’il souligne à quel point “le quarterback, c’est le joyau de l’équipe, c’est la reine d’Angleterre, le bien le plus précieux de l’équipe, on ne peut pas le toucher s’il n’a plus la balle entre les mains”. Le “QB”, comme on l’appelle dans ce milieu que je tente d’infiltrer, a un nombre incalculable de stratégies en tête et doit prendre des décisions à la microseconde.
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Je ne vais pas mentir, même au bout de cinq heures de match, j’avais parfois du mal à suivre la balle et n’étais toujours pas capable d’anticiper les stratégies tantôt improvisées, tantôt communiquées via le casque du QB et précieusement conservées par l’équipe et les coachs. Ces dernières sont si secrètes que les entraînements sont gardés par des vigiles en costume et oreillette.
En plus de toutes ces folles stratégies en attente dans des crânes jamais à l’abri de commotions cérébrales (c’est quand même paradoxal, vous me l’accorderez), de nombreuses habitudes me happent : les mouchoirs jetés en cas de faute ont un petit goût chevaleresque, les prises de décision de l’arbitre communiquées au micro à l’attention de tout le stade sont bien utiles et les lancers de jambe des joueurs en plein échauffement me transportent à l’Opéra de Paris. C’est un autre fuseau horaire, mais aussi une autre dimension (où cinq minutes de jeu effectif durent trois quarts d’heure).
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Taylor Swift, c’est Louis XVI, et Travis Kelce, c’est Marie-Antoinette
Fin septembre, au lendemain du match entre les Chiefs de Kansas City et les Bears de Chicago, les recherches Google pour la tunique du tight end Travis Kelce augmentaient de 1 267 % par rapport à la semaine précédente, révélait une étude mandatée par Replay Poker : “Jamais la demande pour un maillot du numéro 87 de Kansas City n’avait atteint de tels volumes.” En trente jours, le joueur avait gagné 466 530 followers, et cela pas grâce à un match marquant ou une bonne action à l’échelle mondiale mais suite à l’annonce de sa passion avec… Taylor Swift.
Pas forcément Swiftie dans l’âme, je ne comprenais pas trop l’engouement créé par cette relation. Face au match et aux milliers de supporters venu·e·s entre ami·e·s ou en famille, face aux énormes moyens déboursés par la NFL, face à la boutique de la ligue dévalisée en un temps record à Tottenham (“Le public prend tout, il ne regarde ni les prix ni la taille”) et au nombre de personnes interviewées qui me regardent dans les yeux pour me dire que le dimanche, “c’est l’Église, puis le match”, je comprends que Taylor Swift + Travis Kelce, c’est plus qu’une histoire de tabloïds, c’est l’épitome de l’idéal américain, un pur jus de pop culture blanche supposé rassembler les esprits. Finalement, c’est une union (presque) aussi puissante que celle des maisons d’Autriche et de France en 1766.
Amour et plaquages au sol
Deux jours avant le match, j’ai eu la chance d’assister à une conférence de presse à l’hôtel où s’entraînaient les Bills de Buffalo. Josh Allen, quarterback, Stefon Diggs, wide receiver, et Von Miller, linebacker, y enchaînaient les prises de parole et les blagues avec les journalistes sans sembler s’impatienter. Tout le monde porte des caquettes New Era, est beau, sympathique, humble et bien sous tous rapports : je me sens vraiment en pleine foire du soft power US. J’en suis bien consciente mais finis quand même par me prendre au jeu.
Moi aussi j’ai envie de voir Damar Hamlin en forme sur le terrain après avoir souffert d’un arrêt cardiaque à la suite d’un plaquage début 2023, moi aussi je lâche un cri quand le numéro 0 se faufile sur le terrain balle en main et suis plutôt choquée quand la foule hurle à l’unisson, poussant Travis Etienne à noter que, pour la première fois de sa carrière, il n’était “pas capable d’entendre ce que [lui] disait Trevor [Lawrence]“. Bref, la NFL va sûrement débarquer au Stade de France, et on se croisera sans doute dans les gradins.
Cet article a été réalisé dans le cadre d’une invitation à un voyage de presse organisé par NFL France et Com’Over.