Et si la “semaine de quatre jours” était l’avenir de la restauration ?

Publié le par Robin Panfili,

© Getty Images

"Ça marche", clame le chef étoilé Florent Ladeyn.

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“Vous préférez être à 110 % pendant quatre jours ou à 80 % pendant cinq jours ?” : dans le Nord, le charismatique chef étoilé Florent Ladeyn a séduit ses salariés par un 3e jour de repos hebdomadaire, démarche rare mais payante contre la pénurie de personnel. “Embaucher des gens, ça rapporte plus”, assure-t-il à rebours des idées reçues habituellement avancées pour expliquer les réticences.

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“Mes serveurs sont des vendeurs. Aujourd’hui, ils sont heureux au boulot, heureux chez eux et vendent plus qu’un mec fatigué”, explique ce patron de 37 ans, ex-participant de l’émission Top Chef dont l’établissement vitrine, l’auberge du Vert Mont, a récupéré cette année son étoile Michelin. À la tête de quatre établissements autour de Lille, il emploie 65 personnes, contre une cinquantaine en sortie de confinement et vise la centaine cet automne, avec une vingtaine de recrutements en cours.

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En juin 2020, convaincu par une amie danoise spécialiste du bonheur au travail, il a franchi le pas en offrant, pour le même salaire, un 3e jour de repos hebdomadaire à son personnel en plus du dimanche et lundi, jours de fermeture. Ce 3e jour est accordé par roulement : s’il tombe un mardi, la semaine suivante c’est le mercredi et ainsi de suite.

“Là, je sors d’un week-end de quatre jours”, témoigne Paul Nigeon, cuisinier de 24 ans du Bloempot, payé 1 900 euros net pour 39 heures par semaine, qui avait plutôt connu les 90 heures hebdomadaires auparavant. “J’en avais entendu parler mais je ne pensais pas que la semaine de quatre jours changerait autant ma vie. Je n’avais jamais connu ça en dix ans de métier”, témoigne le jeune homme.

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Le chef au chignon, couteau tatoué sur un bras, fourchette sur l’autre, accorde également 6,5 semaines de congés payés par an et va distribuer une participation aux bénéfices.

Rentabilité et risques juridiques ?

Avec trois jours de repos, le salarié “se repose plus”, “écrase les effets des temps de transport domicile-travail”, est “plus présent avec ses enfants” et “peut économiser une journée de crèche”, détaille Alain Raluy, expert social du cabinet spécialisé In Extenso. Pourtant, si Laurent Fréchet, l’un des dirigeants de l’organisation patronale sectorielle GNI, atteste que cette organisation est “une bonne solution pour mieux recruter”, elle reste néanmoins marginale.

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Selon Bernard Boutboul, dirigeant du cabinet de conseil sectoriel Gira, “environ 2 % seulement des 200 000 restaurants de France” l’étudieraient. “Beaucoup d’établissements ont testé la semaine de quatre jours au début du XXIe siècle et en sont revenus”, rappelle M. Raluy. “Après plusieurs mois d’observation, ils avaient constaté des effets sur la pénibilité, les erreurs et la qualité globale du service”, le travail étant ramassé sur un temps plus court.

Selon l’expert, les patrons redoutent l’explosion “des risques juridiques” : des salariés pourraient en profiter pour travailler au noir, un mal sectoriel, lors de cette journée supplémentaire. Dans l’hôtellerie, cette organisation s’applique pourtant déjà largement au travail de nuit. En cuisine, “on peut répartir le travail sur quatre jours avec des schémas de rotation. Mais la salle reste conditionnée à la présence des clients et on continuera à travailler sur cinq jours”, prédit M. Raluy.

“On condamnerait à mort une entreprise ouverte seulement quatre jours. Certains 3 étoiles Michelin mis à part”, poursuit-il. “La vraie question, ce n’est pas la notoriété du chef, c’est combien le patron prend”, répond M. Ladeyn. “J’en connais qui empochent 10 000 euros par mois. C’est eux qui galèrent à recruter.”

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Alors que l’amplitude d’ouverture des restaurants tend à se réduire, le chef nordiste se demande également si “l’embauche d’une 3e équipe pour pouvoir ouvrir sept jours sur sept”, avec là aussi plus de repos hebdomadaire, n’endiguerait pas la pénurie de personnel. Conscient des habitudes, il reste cependant optimiste.

“Dans ce métier, on trouve normal de travailler 60 heures par semaine. Si nous, on arrive à changer, d’autres peuvent le faire. Dans la restauration, on n’est pas les plus malins et pourtant les chefs se prennent pour des dieux”, regrette-t-il face à l’immobilisme.

Konbini avec AFP

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