À la rencontre de Dany, taulard et influenceur culinaire depuis sa cellule

Publié le par Konbini Food,

Chaque jour, des milliers d’internautes suivent les aventures de ce détenu pas comme les autres.

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Pas de pâte brisée ? Des tranches de cake industriel aplaties au rouleau serviront de base à sa tarte au chocolat. “Avec rien, on fait tout”, telle est la devise du compte Instagram de Dany*, un détenu français spécialisé dans les vidéos de cuisine débrouille depuis sa cellule.

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La ganache au chocolat prend tranquillement dans son bain-marie. Dany la lisse d’une main assurée et filme de l’autre, puis coupe une banane avec un couteau à bout rond, les seuls autorisés en cellule. “Pour la pâtisserie, je retourne la plaque chauffante que je pose sur quatre canettes et ça fait un four. Avant j’en avais deux, donc j’avais de quoi faire une cuisson uniforme, dite ‘en sandwich’, mais on me l’a prise, donc maintenant, il faut faire en deux temps et bien maîtriser la chaleur”, explique le détenu, qui souhaite s’exprimer sous pseudo.

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Près de 30 000 internautes suivent son compte Instagram, Dany Hellz Kitchen, clin d’œil au programme télévisé de l’irascible chef britannique Gordon Ramsay. La cuisine de Dany est du genre réconfortante, voire un peu décadente, dans la lignée de la comfort food et autres food hacks qui inondent les réseaux sociaux.

À son répertoire, des tiramisus XXL, des millefeuilles, des tartes aux fruits de saison ; tagines au poulet et citrons confits, pizzas à la poêle, aubergines farcies, pour le salé. “On essaie de varier les plats, après quelques années. La bouffe de prison, c’est trop redondant, c’est toujours les mêmes goûts”, dit le cuisinier qui aime farfouiller dans les recettes du site Marmiton.

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Ses petites vidéos ouvrent une rare fenêtre sur la vie carcérale. On y retrouve en fond les bruits métalliques, le brouhaha viril, la lumière hachée par le grillage de la fenêtre, le froid des murs de béton de sa cellule individuelle. Elles font aussi prendre conscience de la place accordée à la nourriture et à “l’amélioration du quotidien”, dans ce tunnel d’isolement et d’ennui.

“Pour moi, c’est une thérapie : je me lève, j’installe tout mon équipement, ça me permet de me concentrer sur quelque chose qui me plaît et qui va plaire aussi à d’autres personnes”, dit le prisonnier. Dany reçoit des commandes et partage avec “ceux avec qui il tourne” en promenade ou avec des codétenus moins bien lotis.

“Un petit gars” lui a demandé une “loubia”, un plat aux haricots nord-africain. Dany l’a agrémenté d’une salade de poivrons grillés – à même la plaque de cuisson – qui a embaumé toute l’aile de sa prison. Ce détenu – qui purge une peine longue pour un délit –, soutenu financièrement par ses proches, a largement de quoi “cantiner” via le catalogue qui donne accès à l’épicerie mise en place par l’administration pénitentiaire.

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Son ingrédient magique, c’est le concentré de tomates, “une excellente base pour plein de sauces différentes”. “La cantine, ce n’est pas à la portée de tout le monde, c’est très, très cher et j’ai beaucoup de chance”, rappelle le détenu. Depuis sa prison, Dany a actuellement accès à la “cantine extérieure”, à savoir les colis envoyés par ses proches. Le dernier contenait une bouteille de sauce soja, dont il rêvait pour se lancer dans des nouilles sautées ou des currys.

Auparavant, il était en maison d’arrêt et parvenait à se procurer des produits au moment du parloir : “J’ai déjà fait entrer un gigot ou des produits bio”, se vante-t-il. Et la “gamelle”, la nourriture distribuée par l’administration pénitentiaire ? “Je vais prendre les légumes, qui sont souvent cuits à la vapeur, et le poisson, les laver, ajouter de l’ail, un filet d’huile d’olive, je vais les retravailler et complètement les revisiter.”

Le détenu draine, avec son compte alimenté en anglais, une vaste communauté fascinée par les prouesses culinaires et le ton sulfureux de ce cuistot gangster. Même si la possession et l’utilisation des téléphones portables sont strictement interdites aux détenus, qui risquent des sanctions disciplinaires si l’administration en découvre la présence dans leurs cellules…

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Lui mise sur sa petite notoriété pour “son projet de réinsertion” : Ketama Oil, une huile culinaire au CBD, “le cannabis légal”, insiste-t-il. À sa libération, espérée dans l’année, son premier repas dehors, il ne veut surtout pas le cuisiner. “Ce sera, je pense, une pizza au feu de bois.”

Konbini avec AFP