What the F*** ! Les gros mots et l’hypocrisie des séries américaines

Publié le par Delphine Rivet,

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Ils sont tellement polis, dans les séries américaines, que ça en devient suspect…

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Les chaînes américaines ne sont pas toutes égales face aux grossièretés. Les plus chanceuses passent sous le radar des instances de régulation et les autres se tiennent à carreau. Et puis il y a les petites rebelles qui, puisqu’elles ne peuvent pas y couper, ont décidé de contourner le problème par des ruses plus ou moins habiles. La télévision américaine est une machine bien huilée, un écosystème qui évolue selon les mœurs de son époque, mais l’hypocrisie entourant les gros mots demeure. Et forcément, en voyant ça de notre côté de l’Atlantique où “merde” et “putain” sont inscrits dans notre patrimoine culturel (comme le veulent les clichés), ça fait drôle…

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La FCC, le fucking gendarme de l’audiovisuel

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Dans les années 80, aux États-Unis, l’explosion des chaînes câblées a modifié en profondeur le paysage télévisuel. C’est sur ce nouveau territoire que les scénaristes ont pu laisser libre cours à leur créativité, comme jamais auparavant. Mais si cette scission entre chaînes payantes et gratuites (les networks) a longtemps été synonyme de creuset qualitatif — un a priori qui est d’ailleurs loin de se vérifier à chaque fois — aujourd’hui, la dernière différence artistique qui les oppose, c’est le langage. La FCC (Federal Communications Commission, sorte de CSA américain) veille au respect des bonnes mœurs et s’assure qu’entre 6h du matin et 22h, les networks ne diffusent pas de “gros mots” qui pourraient non seulement choquer un jeune public, mais aussi offenser une partie de la population.

Mais la FCC, qui exerce déjà une pression morale sur les networks, n’est pas la seule épée de Damoclès à flotter au-dessus des chaînes. Les annonceurs ont aussi leur mot à dire. Ces contrats se vendent chers et peuvent maintenir à flots un diffuseur, ou le couler. Même parmi les chaînes câblées, des disparités existent. Il faut distinguer le câble “premium” du câble dit “basic”. Ce dernier, qui comprend des chaînes comme AMC, Syfy ou Comedy Central, compte beaucoup sur les espaces de pubs vendus. Par peur de froisser un annonceur qui ne souhaiterait pas associer son nom avec une série jugée “trop vulgaire”, ces chaînes là marchent sur des œufs. Elles se permettent, certes, plus de choses qu’un network ordinaire, mais la prudence reste de mise. Certaines d’entre elles ont toutefois trouvé une faille dans le système. Nous y reviendrons plus tard. Les autres, le câble “premium”, des chaînes comme HBO ou Showtime dont les recettes proviennent essentiellement des abonnements, n’en ont, pour ainsi dire, rien à branler. Pas de pub, pas de FCC aux fesses, la liberté absolue de montrer et dire ce que l’on veut.

Pour toutes les autres, et notamment les principaux networks NBC, CBS, ABC, The CW et FOX, les restrictions de la FCC s’appliquent. Mais ces règles, justement, quelles sont-elles ? Il n’y a pas de liste officielle des mots interdits à l’antenne, même si “fuck” est évidemment prohibé, sous peine d’une amende d’un demi million de dollars. Ce gendarme de l’audiovisuel surveille ainsi les écarts de langages depuis 1965 et, si quelque chose lui échappe, il peut compter sur la vigilance un poil obsessionnelle du PTC (Parents Television Council), un puissant lobby de parents qui a la main lourde sur la censure.

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Des règles à géométrie motherfucking variable

Le “F-word” n’est pas le seul indésirable, on n’entendra jamais non plus le “C-word”, comprendre “cunt” (une façon un peu vulgaire de dire “chatte” et, tant qu’on y est, une insulte parfaitement sexiste). “Ass”, ou “suck” en revanche, peuvent être utilisés dans certaines conditions. Si l’on dit par exemple “Well, you’ve made an ass of yourself”, le mot “ass” signifie “idiot”. La FCC ne bronche pas. Mais si l’on dit “You’re such an asshole”, en revanche, le “trou du cul” en question risque de recevoir une petite lettre pas très aimable de la FCC. Celui qui a le mieux mis en lumière ce paradoxe, c’est George Carlin, un comique qui, en 1972, avec son sketch désopilant “Seven Words You Can Never Say on Television” a mis en avant l’hypocrisie de ce système dont les règles sont à géométrie variable. D’après lui (et à son époque), les mots qu’on ne doit jamais prononcer à la télévision sont “shit”, “piss”, “fuck”, “cunt”, “cocksucker”, “motherfucker”, et “tits”.

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“Ce n’est pas une science. C’est une notion qu’ils ont, une superstition. Ces mots n’ont aucun pouvoir. On leur attribue un pouvoir en refusant de se sentir libre de les prononcer” dénonçait le comédien au micro de la radio NPR en 2004.

Pour s’éviter d’éventuelles sanctions, les networks ont leur propre service dédié au bon respect des règles de la FCC : les Standards and Practices. Ils examinent, conseillent, bref, ils traitent le “problème” directement à la source. Ainsi, à l’occasion d’une interview, Rachel Bloom, la cocréatrice et actrice de Crazy Ex-Girlfriend, nous racontait qu’elle s’était heurtée à un obstacle de taille pour intégrer la chanson “Period sex” dans sa saison 2. Et ici, ce n’est même plus un mot qui pose souci, c’est une idée :

“On ne montre pas littéralement du sang couler de mon vagin, mais c’est l’idée des règles qui reste très taboue. On est un pays très conservateur, très puritain. Ce n’est pas la chaîne qui ne voulait pas, mais les Standards and Practices savent très bien que ça ne passerait pas auprès de la FCC”.

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Mais les mœurs évoluent, et certaines chaînes commencent à faire bouger les lignes. Ainsi, dans la série d’ABC American Crime, des “fuck” et “shit” étaient passés du script à l’écran. Sauf que… en dépit d’une diffusion tardive (22h), la chaîne a préféré “muter” les mots ou faire un black-out à l’image. Cachez ce “fuck” que l’on ne saurait entendre… mais les spectateurs finiront par râler, trouvant cette technique de dissimulation hasardeuse et gênante, comme ce fut le cas pour la série anthologique. Récemment, le spin-off de The Good Wife, The Good Fight, fait la nique au FCC en lâchant quelques “F-bombs” bien senties. Diane Lockhart a attendu 8 ans pour ça, et bordel de merde, elle en profite ! Normal, contrairement à son aînée, la série de Robert et Michelle King est diffusée, non pas sur CBS, mais sur le service de streaming de la chaîne, CBS Access. Bienvenue sur l’autoroute de la liberté… de jurer comme un charretier !

Celles qui contournent les règles du bullshit

Pour vraiment faire bouger les lignes, il faut se rendre sur le câble dit “basic”. Depuis quelques années, la chaîne FX a entrepris une véritable campagne de désensibilisation auprès des annonceurs. Un “fuck” après l’autre, la révolution est en marche, comme se vantait son président John Landgraf au TCA press tour (grand raout des chaînes, tenu deux fois par an, pour présenter leurs nouveautés à la presse) en 2015 : “On a utilisé plusieurs fois le “F-word” à l’antenne ces dernières années“. De Louie à The People v OJ Simpson, la chaîne ne se prive pas, même si son usage reste parcimonieux.

Mais FX n’est pas la seule à lâcher un peu la bride. AMC avait en effet autorisé Vince Gilligan, le créateur de Breaking Bad, à utiliser le mot “fuck” une fois par saison. Autant dire qu’il valait mieux ne pas les gaspiller ! Chaque “fuck” de Breaking Bad compte ! Mais récemment, la chaîne câblée a légèrement rétropédalée en privant sa série phare The Walking Dead d’une bonne grosse “F-bomb”. Retour en en mars 2014. La série de zombie diffuse son grand final de la saison 4, et Rick Grimes annonce la couleur pour la suite : “They’re fucking with the wrong people”. Enfin ça, c’est la version qui a été tournée, mais jamais diffusée à l’antenne. À la place, les fans ont eu droit à un insipide “They’re screwing with the wrong people”. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais AMC vient d’édulcorer considérablement sa série apocalyptique, qui est accessoirement l’une des plus violentes du moment.

Malgré cette frilosité persistante, le câble et les networks sont parvenus à repousser, lentement mais sûrement, les règles de décence rigides et arbitraires de la FCC. Notre époque évolue, la langue anglaise aussi. Aujourd’hui, “shit” et “bullshit” sont communs sur le câble “basic”, et les networks commencent à rattraper leur retard. En 1999, déjà, on pouvait entendre le premier “shit” des séries sur une chaîne gratuite dans Chicago Hope, sur CBS. Deux ans plus tard, South Park, sur Comedy Central (du câble “basic”), y consacrait même un épisode entier où le mot était prononcé pas moins de 200 fois. Le “B-word” quant à lui, ou “bitch” pour les intimes, est désormais monnaie courante sur les networks, et plus personne ne s’offusque de ce terme pourtant sexiste. On n’hésite plus non plus à filmer des scènes avec le mot “fuck”, pour les recouvrir d’un “bip” ensuite en post-prod, comme l’a fait Modern Family en 2012, lorsque la petite Lily lâche plusieurs “F-bombs”. C’est déjà un progrès !

Mais certaines sont passées maîtres dans l’art de l’esquive. Il y a les timides, qui “mute” les gros mots mais refusent de s’en séparer. The Magicians, par exemple, nous offre un chouette concerto de “F*CK” à chaque épisode. Littéralement, puisqu’on entend bien distinctement le son “F” et le son “K” sortir de la bouche des acteurs. La belle hypocrisie que voilà… Mais c’est vrai que sans ce langage, finalement aux prises avec son époque et ses personnages (des millenials magiciens à qui il arrive les pires merdes… oups), la série de Syfy perdrait un peu de sa fraîcheur.

Et puis il y a les créatives, celles qui inventent carrément un autre terme, généralement très similaire à l’oreille, pour passer entre les mailles du filet sans se mettre une muselière. Ainsi, dans The 100, sur The CW, quand nos survivants proposent d’aller se faire foutre, il ne disent pas “go fuck yourself”, mais “go float yourself”, en référence à la peine de mort appliquée à l’époque sur l’Arche. Battlestar Galactica avait ouvert la marche avec son désormais culte “Frack !”. La FCC n’y a vu que du feu. Dernièrement, c’est la surprenante The Good Place qui s’est amusée avec ces limitations. Eleanor, une fille pas très fréquentable envoyée par erreur dans une sorte de Paradis, constate avec effroi qu’ici, elle ne peut pas jurer. Enfin, elle peut, mais dès qu’ils sortent de sa bouche, les “fuck” se transforment en d’inoffensifs “fork”, et à une lettre près, le “bullshit” devient “bullshirt”. Le résultat est évidemment hilarant.

Le cas français, bordel de merde

Les chaînes françaises ne subissent pas la même surveillance. Fidèles à l’image libérée qu’ont les américains de notre pays, elles n’appliquent pas de réelle censure sur le langage même si, bien évidemment, le CSA est attentif aux scènes choquantes ou aux propos offensants. Il n’y a pas le même fossé entre public et privé qu’aux États-Unis, mais plutôt une auto-régulation des chaînes en fonction du public auquel elle s’adresse. Si la violence est limitée à l’écran, surtout en fonction des heures de diffusion, les règles sont plutôt souples concernant la nudité et le langage.

Canal+, par exemple, fait relativement ce qu’elle veut, comme elle l’a prouvé en laissant les scénaristes de Braquo écrire ce qu’ils voulaient. Plus belle la vie, elle, a souvent déchaîné les foudres. Cette différence de traitement, contrairement aux États-Unis, n’est pas autant définie par la pression des annonceurs. On la doit surtout à leur visibilité et au public qui se trouve devant le poste : l’une est une chaîne grand public, l’autre est privée ; les deux sont diffusées à une heure de grande écoute, mais Braquo est déconseillée aux moins de 12 ans, a un public de niche parmi les abonnés, tandis que Plus belle la vie touche un large public.

Si cette dernière s’est retrouvée plusieurs fois dans le viseur du CSA depuis 13 ans de diffusion, c’est parce qu’elle poussait le réalisme de certaines situations un peu trop loin. Et parfois, le langage employé choque. Comme cet épisode du 8 janvier 2015 qui a motivé des téléspectateurs outrés à écrire au CSA pour se plaindre. Les raisons de leur colère, un dialogue dans lequel le personnage de Margaux parlait d’une jeune femme qu’elle aurait tuée : “Je voulais l’embrouiller, lui pourrir la gueule de toutes mes forces. Je ne pensais pas la tuer. J’y ai pensé comme quand on se dit: ‘tiens, je vais la tuer cette conne’.”. Si le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a rappelé “la nécessité de veiller au langage employé dans les programmes”, il a toutefois défendu le droit de la série à utiliser des dialogues qui venaient “illustrer certains sujets de société traités dans ces épisodes. De plus, il n’a pas relevé d’image ou de scène susceptibles de heurter des mineurs de dix ans”.

Chez nous, pas besoin d’édulcorer, ni de “muter” les dialogues. Les scénaristes, et surtout les chaînes, savent d’emblée où ils peuvent aller et si un langage un peu… fleuri s’y prête ou non. Dans tous les cas, il est rare que le CSA intervienne, et la classification en -10, -12 ou -16 n’est pas motivée par les grossièretés, mais davantage par la violence à l’écran. Heureusement pour nous, et conformément à notre réputation outre-atlantique de pays aux mœurs “libertaires”, nous n’atteindront probablement jamais les sommets de paranoïa de la télévision américaine qui, par peur panique d’une “F-bomb” en live, applique un différé de quelques minutes à ses grands événements en direct. Fuck yeah !