Si vous aimez les thrillers psychologiques comme Shining, vous aimerez Servant

Publié le par Adrien Delage,

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De retour pour une saison 2, Servant confirme le retour en grâce de M. Night Shyamalan

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Après une absence de plusieurs années sur le petit écran, M. Night Shyamalan, qui avait déjà produit et réalisé l’étrange Wayward Pines en 2015, a décidé de retenter sa chance avec Servant. Une collaboration avec Apple pour sa plateforme de streaming, basée sur une idée originale du scénariste Tony Basgallop (Berlin Station). Le réalisateur américain, qui a entendu parler du projet au cours d’un dîner d’affaires à Hollywood, s’est jeté dessus pour une raison évidente : il trouvait dans le premier jet du scénario des thématiques similaires à sa filmographie, notamment du triptyque Incassable/Split/Glass et La Jeune Fille de l’eau.

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Pourtant, Servant n’a rien à voir avec une histoire de super-héros tourmentés ou de créature aquatique en danger. Elle met davantage en lumière le minimalisme des effets horrifiques inscrits dans l’ADN de M. Night Shyamalan, et transforme un quartier aisé de Philadelphie (son lieu de tournage de prédilection) en véritable lieu glauque et maudit. Dorothy et Sean Turner forment un couple de trentenaires frappés par la mort subite de leur premier né. Pour survivre à ce deuil et avancer, Dorothy débute une thérapie allégorique dans laquelle son enfant est remplacé par une poupée plus vraie que nature.

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Pour accompagner son épouse, Sean décide de jouer le jeu jusqu’à recruter une nourrice pour s’occuper du bébé factice. Mais lorsque la mystérieuse Leanne débarque dans la maison, d’inquiétants phénomènes commencent à se manifester autour de la famille. Plus terrifiant encore, au bout de quelques jours, le couple se rend compte que le nouveau-né est revenu à la vie. Sean voit alors d’un mauvais œil la présence de Leanne dans son foyer, et décide de remonter les traces de son passé pour découvrir que la jeune femme n’est absolument pas qui elle prétend être.

Le meilleur de Shyamalan

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Au cours de la dernière décennie, le cinéma de Shyamalan a connu une forme de déclin. Le réalisateur a essuyé une série d’échecs publics et critiques entre La Jeune Fille de l’eau (2006) et After Earth (2013). Mais si certaines condamnations sévères sous-entendront que le metteur en scène a perdu de sa superbe, il reviendra finalement en force avec Split et Glass, avant de se consacrer à Servant. Et comme avec sa précédente incursion sur le petit écran, M. Night Shyamalan va renouer avec son style singulier pour faire du show l’un des meilleurs thrillers psychologiques de ces dernières années.

Le réalisateur de Sixième sens a toujours proposé un style de mise en scène basé sur le minimalisme et l’intime, qu’on retrouve dans Servant. Dès le premier épisode, sa caméra nous plonge en tant qu’observateur d’une caverne de Platon où est retenue la famille Turner. Ils sont épiés à l’extérieur de leur maison par une caméra qui nous permet à la fois de prendre position des lieux et qui crée une sensation de malaise. Quand le réalisateur pénètre finalement dans leur demeure, on découvre au fil des épisodes que les spectateurs et les personnages n’en ressortiront quasiment jamais, comme un huis clos oppressant (et une anticipation ironique des confinements de 2020).

M. Night Shyamalan joue également sur l’intimité des héros de son histoire. Il prend un malin plaisir à filmer en gros plan des scènes de la vie quotidienne pour créer une sensation d’inconfort, avec une obsession notable sur les séquences de bain et de nourriture. Deux thématiques déjà aperçues dans son cinéma, porteuses d’un sens particulier dans son univers. À la fois douce et dangereuse, l’eau est une métaphore de l’amour, confortable mais capable de nous noyer (La Jeune Fille de l’eau, David Dunn qui en a la phobie dans Incassable). Dans Servant, elle traduit ainsi le paradoxe du couple Turner : ils s’aiment sincèrement, mais partagent des ambitions différentes, Dorothy favorisant le plan émotionnel de sa vie alors que Sean s’appuie sur le rationnel de sa cuisine pour s’épanouir.

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C’est là qu’intervient le rapport fascinant de Shyamalan avec la nourriture. Les personnages de Servant passent leur temps à manger des bons plats et déguster du vin grand cru, qui symbolise leur allure de bons vivants. Mais cette notion est en réalité en décalage avec l’arrivée de Leanne dans la maison, qui coïncide avec l’apparition de phénomènes sordides voire terrifiants. Les plans sur les aliments prennent alors une tournure dérangeante : un plan troublant s’attarde sur une viande pourrie au milieu du salon, Sean perd le sens du goût et, dans le même temps, toute une vocation de cuisinier qui définissait jusqu’ici son bien-être et son identité. La coopération de notre Frenchy Julia Ducournau à la réalisation d’un épisode de la saison 2, connue pour le film glaçant Grave, également porté sur les notions d’alimentation voire de cannibalisme, n’y est pas étrangère.

La nourrice, qui se montre de plus en plus hostile avec les parents, est aussi un archétype récurrent dans l’œuvre de Shyamalan. Elle correspond à une menace d’origine inconnue et quasi surnaturelle, comme les extraterrestres de Signs et les créatures invisibles du Village. On ne sait rien de son passé, son apparition correspond à l’élément perturbateur et traduit aussi un manque de reconnaissance du monde extérieur. En effet, les méchants des histoires de Shyamalan sont souvent des parias de la société, d’Elijah Price à Kevin Wendell Crumb en passant par Vincent Grey. Là encore, on revient au sujet central de la filmo du cinéaste : l’amour, et dans le cas de Servant, le manque d’affection vis-à-vis d’une jeune femme manipulée et opprimée dans une inquiétante secte.

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Une maison de l’horreur façon Shining

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Dans Servant, la maison des Turner, où 95 % de l’action du show se déroule, est un personnage à part entière. Un cliché de narration maîtrisé à la perfection dans la série, où Shyamalan parvient à transformer un lieu confiné en un univers exponentiel. Pour réaliser cette prouesse, le réalisateur joue sur les axes de symétrie et les lignes de fuite, un travail qui n’est pas sans rappeler Stanley Kubrick et plus particulièrement Shining. Les deux cinéastes sont parvenus à rendre deux endroits fermés immensément grands, mais aussi à les représenter sans échappatoire et sous une forme d’aliénation de ses habitants.

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Comme Jack Torrance, le foyer de Philadelphie est une maison qui rend fou. Il y règne une atmosphère délétère, symbolisée dans la série par la mort du bébé, la malédiction suivant l’arrivée de Leanne et les souffrances de Sean liées à ses pertes de sens. Une véritable théorie du chaos suit son cours dans les couloirs de la charmante demeure, qui bascule progressivement vers les tropes de la maison hantée. Et comme dans Shining, Shyamalan nous conte les tourments intérieurs de ses personnages à l’aide de miroirs, où les victimes du mal dénichent le reflet de leur quotidien morbide.

Plus que le chef-d’œuvre horrifique de Kubrick, Servant s’inspire profondément de l’œuvre de Stephen King (qui fait d’ailleurs partie de ses fans). Comme chez le romancier américain, le fantastique surgit au milieu d’une vie banale, dans un contexte très réaliste jusqu’à l’intervention d’une force maléfique. Leanne, avec son rapport troublant avec la foi religieuse, rappelle les traumatismes de l’enfance sacrifiée de Carrie, tout comme la notion de violence dans un cadre familial qui se trouve au centre de Rose Madder. Enfin, Shyamalan sublime avec Servant le thème du fanatisme à travers le parcours de Leanne, déjà étudié dans le Kingverse avec Dead Zone et Les Enfants du maïs.

Mais la qualité principale de la série repose sur un jeu d’équilibriste entre l’horreur et le deuil. Par moments, Servant trouve des fulgurances à la manière de The Haunting of Hill House, où les émotions du spectateur passent de l’effroi au chagrin en quelques instants. On pense en particulier à l’épisode “Jericho”, qui met en scène le difficile accouchement de Dorothy et donc la période traumatisante et de solitude traversée par les femmes en général. Une forme de violence frontale rarement montrée à l’écran, qui souligne le cycle tragique de vie et de mort entourant la naissance. Car comme Sharp Objects et Big Little Lies, Servant est avant tout une série bouleversante et juste sur l’horreur des violences faites aux femmes, trop longtemps passées sous silence, et qui trouvent enfin une voix à travers le progressisme bienveillant du petit écran.

La saison 2 de Servant est diffusée tous les vendredis sur Apple TV+, à raison d’un épisode par semaine.