Amy Adams et Marti Noxon nous parlent de la violence des femmes dans Sharp Objects

Publié le par Delphine Rivet,

HBO

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Sous le soleil de Los Angeles, les bureaux de HBO se dressent devant nous. Les murs sont jonchés de photos des séries qui ont fait la légende de la chaîne câblée : True Blood, Six Feet Under, Les Sopranos… Y a pas à dire, ça en jette. On nous dirige vers la salle de screening, où l’on assistera, entre journalistes de la presse internationale, à la projection des deux premiers épisodes de Sharp Objects.

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La série est obsédante, crue, d’une beauté envoûtante, et ses personnages, Camille (incarnée par Amy Adams) en tête, vous rentrent dans la peau comme un doux poison. Mais pour savoir ce qu’on en a pensé avec plus de détails, il faudra lire la critique ! Le lendemain, le grand ballet des interviews peut commencer. Chacune son tour, Marti Noxon (UnREAL), la showrunneuse de la série, et Amy Adams, star de Sharp Objects et productrice exécutive, nous racontent comment elles ont transposé à l’écran l’œuvre de Gillian Flynn.

Adaptée du roman éponyme de l’autrice à qui l’on doit Gone Girl, et dont les 8 épisodes ont été réalisés par Jean-Marc Vallée (Big Little Lies), la série est l’histoire, âpre et exigeante, de Camille (Amy Adams), une journaliste qui retourne dans sa ville natale de Wind Gap, dans le Missouri, pour enquêter sur les meurtres de jeunes filles. Notre héroïne est… tourmentée. Elle sort tout juste d’un séjour en hôpital psychiatrique. Elle est alcoolique et se scarifie régulièrement. Au moins, c’est une douleur qu’elle contrôle. Car les vraies plaies qu’elle porte en elle, celles qui ne guérissent jamais, sont liées à son passé dans cette ville. Et elle va devoir s’y confronter quand elle remet les pieds chez sa mère, Adora (Patricia Clarkson), une femme aussi charmante en apparence qu’elle est toxique dans les interstices.

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La violence de cette série, plus encore que les meurtres, émane des femmes. Un sujet fascinant qui a immédiatement séduit Marti Noxon, mais a demandé un peu plus de persuasion pour Amy Adams avant de s’engager.

“J’avais peur d’explorer cette noirceur”

Marti Noxon ⎜J’avais lu Gone Girl et les trois autres livres de Gillian Flynn. Sharp Objects m’a hantée. C’était une histoire tellement captivante, en particulier le personnage de Camille. À l’époque, Jason Blum, qui a les droits du livre, voulait en faire un film. Et pendant presque un an et demi, je l’ai régulièrement appelé pour lui dire : “Non, non, c’est une série !” C’est à ce moment-là qu’UnREAL est sortie. Il a réalisé que j’avais vraiment un côté plus sombre. Jason m’a alors rappelée et m’a dit : “Tu as raison, c’est une série.” J’ai alors rencontré Gillian, on s’est tout de suite bien entendues et on a collaboré sur la série.

Amy Adams ⎜J’avais peur d’explorer cette noirceur et de le faire à la télévision, ça représentait un sacré engagement. Mais en discutant avec Gillian et Marti, ainsi que Jessica [Rhoades, ndlr] qui est également productrice, et le fait qu’elles m’aient invitée en tant que productrice exécutive sur la série, ça m’a fait me sentir plus forte. Je me suis dit qu’avec ces personnes autour de moi, ce serait la meilleure des occasions pour me lancer dans une série.

En comparaison avec le cinéma, vous ouvrez et construisez un personnage de façon très différente, parce que vous passez huit heures dans sa peau, au lieu d’essayer de tout faire rentrer dans deux heures. C’était une expérience très intense, qui semblait ne pas avoir de fin [rires]. Une fois que c’est en vous, ça ne vous quitte plus.

Marti Noxon ⎜En Amérique, des films majeurs avec comme personnage principal une femme “difficile”, on n’en fait pas si souvent que ça. Ou alors, on a tendance à les mettre sur le banc de touche. Dark Places [autre roman de Gillian Flynn, ndlr] a été adapté en film avec Charlize Theron, et personne ne s’est même rendu compte de sa sortie. Pour Sharp Objects, ce sujet est si délicat, cette héroïne est tellement unique… vous voulez que tout cela respire. J’ai estimé que la série était le meilleur format pour que l’histoire de Gillian Flynn soit vue par le plus de gens possibles.

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Et lorsque l’on compare sa série à True Detective, avec laquelle elle partage une atmosphère pesante, des meurtres sordides et des héros torturés, voici sa réponse :

Marti Noxon ⎜J’adore le côté sudiste de True Detective, et ces qualités cinématographiques… Mais c’est une série très masculine. Et l’une des choses dont je suis la plus fière concernant mon travail, et encore plus dans le cas de Sharp Objects, c’est la façon dont nous tous, y compris Jean-Marc, avons apporté une qualité très féminine à tout ça. Et ça ne ressemble à rien d’autre. On retrouve cette ambiance “petit meurtre dans le sud des États-Unis”, mais c’est assez unique.

Le message de Sharp Objects, c’est que bien souvent, les femmes se servent de la violence qu’elles ont en elles, soit en les retournant contre elles-mêmes, soit contre d’autres femmes. Je me demandais pourquoi je m’identifiais autant à Camille, cette héroïne qui est si forte et si courageuse, qui a survécu tout en s’infligeant toute cette douleur, et accomplit enfin ce voyage… C’est parce que ce qu’elle cherche, c’est comprendre d’où vient cette douleur. Et mon souhait c’est qu’elle le découvre enfin.

“Il y a quelque chose de très féministe dans le fait de dire que les femmes sont capables de violence”

Un sujet puissant, rarement exploré par le cinéma ou les séries : celui de la violence des femmes. La vague des antihéros et leur rage intérieure les a complètement laissées sur le bord de la route. Comme si cette violence était foncièrement masculine. Le progrès, c’est sans doute de poser ce même regard, cette curiosité qui interroge, qui dissèque, sur la colère de ces personnages féminins, avec autant de précision et d’admiration qu’on a pu le faire avec les Walter White, les Tony Soprano et autres Don Draper.

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Marti Noxon ⎜En tant que scénariste se focalisant sur ce qui touche les femmes, pour moi, il y a quelque chose de très féministe dans le fait de dire que les femmes sont juste des êtres humains et sont, par conséquent, aussi capables de violence. Ces pulsions ne sont pas réservées aux hommes. Camille est envoyée dans cette petite ville pour démasquer le mal et ce qu’elle découvre, c’est qu’il émane des femmes.

J’ai vraiment aimé que les hommes de cette histoire soient comme émasculés, ils ne sont pas la cause des douleurs. Des choses se sont produites, oui, mais la racine du mal de Camille provient des ragots, de la violence sociale que ces femmes s’infligent les unes aux autres, la répression insidieuse, et la poursuite de ce tueur en série… Tout cela engendre beaucoup de tension. Les hommes dans tout ça paraissent tellement accessoires.”

Un besoin de raconter cette histoire sur lequel se rejoignent évidemment la showrunneuse et l’actrice :

Amy Adams ⎜Ce qui m’a tentée dans ce projet, c’est d’abord d’amener ces trois femmes à l’écran et cette violence intergénérationnelle. J’avais envie d’explorer comment ces femmes peuvent faire preuve d’une telle violence entre elles, par opposition à la violence, toute masculine et plus physique, qu’on a l’habitude de voir, là où celle des femmes est plus psychologique. Ça me fascine. Je trouve que Gillian fait ça si bien, explorer ces ravages au sein d’une même famille et les conséquences qu’il y a à ne pas briser ses chaînes. Des conséquences qu’on se transmet de génération en génération.

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“Il y a une si grande part de sa vulnérabilité qui provient de ce que Camille fait subir à son corps”

Pour entrer dans la peau de Camille, un personnage sans concession, corrosif, il fallait littéralement porter ses cicatrices. Grâce à des prothèses en silicone, les traumatismes du personnage étaient gravés dans sa chair.

Amy Adams ⎜Ça prenait entre deux et quatre heures et demie à poser. Et c’était un sacré exercice de vulnérabilité parce que je devais rester debout, quasi nue et les bras et cuisses écartés, pendant qu’on me les mettait. Ça m’a aidée en fait, parce qu’on ne peut pas échapper à son corps, on est super focalisé dessus. Il y a une scène d’ailleurs qui était assez intimidante à ce sujet, où je suis en sous-vêtements. Dans le script, je portais une robe légère, mais Jean-Marc m’a dit : “Écoute, je ne t’ai pas prévenue, mais est-ce que tu serais à l’aise avec l’idée de faire ça en sous-vêtements ? Ce serait tellement plus saisissant”. Et je me disais : “Oh bon sang… on ne demande pas à une actrice de se mettre en sous-vêtements sans la prévenir avant !” [rires].

Et puis, finalement, j’ai pensé : “Tu sais quoi ? Quitte à embrasser l’authenticité du truc, je vais le faire !” Mais j’étais tellement mal à l’aise sur le coup et si vulnérable. Pourtant, ça m’a beaucoup aidée de ne pas essayer de cacher ça… Mais je ne me suis jamais sentie exploitée, car il y a une très grande part de sa vulnérabilité qui provient de ce qu’elle fait subir à son corps. Donc pour moi, laisser le public voir ça, c’est essentiel.

Marti Noxon ⎜C’était très courageux de sa part de s’approprier ce personnage et de le faire durant huit heures de contenu, et non deux comme pour un film. C’est une héroïne épuisante à incarner. Mais le résultat… c’est comme d’assister à une masterclass. Ça a l’air de ne lui demander aucun effort, mais elle a tellement travaillé pour ce rôle. Je ne vais pas mentir, c’était un processus douloureux, par moments, de faire cette série qui s’aventure dans des recoins très sombres de la psyché féminine et évoque des choses très personnelles.

“Avec chaque personnage, j’ai l’impression de m’éloigner toujours un peu plus des dégâts et de m’approcher de plus en plus de la colère”

En trois séries, UnREAL, Sharp Objects et Dietland, Marti Noxon nous a offert des rôles de femmes complexes, en trois dimensions, qui font face à leurs démons, ou se laissent assiéger par ces derniers. Mais considère-t-elle pour autant Camille comme une antihéroïne ?

Marti Noxon ⎜C’est intéressant. Normalement, je m’imagine les antihéros comme des gens qui font des choses vraiment affreuses. Je crois qu’elle est plutôt une héroïne avec plein de défauts, une femme brisée. Je trouve sa quête très courageuse. Le fait qu’elle se soit infligé ces souffrances et tienne encore debout, c’est assez remarquable. Je trouve qu’elle a ce courage auquel des tas de femmes peuvent s’identifier.

Après UnREAL, il devient évident que la showrunneuse a un penchant pour ces héroïnes qui exposent leurs fêlures. Le climat se prête davantage à raconter ce genre d’histoires, après la vague #MeToo qui a secoué Hollywood.

Marti Noxon ⎜Je vois ça comme une sorte de continuité. J’ai fait UnREAL, je fais Sharp Objects et aussi une autre série intitulée Dietland et, avec chaque personnage, j’ai l’impression de m’éloigner toujours un peu plus des dégâts et de m’approcher de plus en plus de la colère [rires]. Ce qui est génial en ce moment, c’est que c’est un business qui réclame des histoires neuves. Donc, étant une femme qui travaille dans cette industrie depuis longtemps, il y avait des histoires que je ne pouvais pas raconter ou vendre.

Et tout d’un coup, ces mêmes histoires deviennent commercialisables… C’est une chouette rencontre entre un commerce et ce mouvement, que je saisis à mon avantage, pour raconter ces gens qui ont été marginalisés : des femmes, des personnes de couleur, ou des personnes queer. Plus on verra des femmes ou des gens qui n’y avaient pas accès avant dans des positions de pouvoir, plus les choses iront dans le bon sens.