Dans l’ultime saison de Shrill, Annie affronte ses contradictions pour mieux grandir

Publié le par Delphine Rivet,

© Hulu

Dramédie douce et féroce, Shrill était de retour pour une troisième et dernière saison réjouissante.

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Reboostée après avoir rompu avec son loser de petit ami, Annie est bien décidée à profiter de la vie et de ses plaisirs (charnels). Dès la fin du premier épisode, toutefois, on assiste à une scène malheureusement ordinaire dans le parcours médical des personnes grosses : notre héroïne est chez la gynéco pour un examen de routine, quand cette dernière lui balance qu’une chirurgie bariatrique lui serait bénéfique. On ne s’imagine pas, tant qu’on ne se l’est pas pris en pleine face, la violence de tels propos. Leur banalité aussi, comme en témoigne l’air parfaitement innocent et angélique de la toubib, tandis qu’Annie fulmine dans sa voiture sur le parking.

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Shrill n’est pas une série sur la grossophobie mais, comme elle l’a superbement démontré en trois saisons, la grossophobie fait partie de l’expérience de vie de son héroïne (comme de celle qui l’incarne, et celles qui la regardent). La série rend compte de ce vécu, à travers les yeux d’Annie, une jeune femme compliquée, qui n’a pas toujours le beau rôle, comme on pourra le voir, et à la détermination impressionnante qui frôle parfois l’inconscience. Plus encore que les deux précédentes, cette troisième et dernière saison est lumineuse, douce et féroce à la fois. Shrill a brisé pas mal de tabous déjà, rien qu’en choisissant de centrer son récit sur une femme grosse, dont les looks sont à tomber, et qui aime le sexe. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais les personnes grosses des séries (quand il y en a) sont souvent montrées non seulement comme des personnes qu’on ne peut pas désirer, mais aussi qui, elles-mêmes, n’auraient pas de désir. Heureusement, Annie, et sa BFF Fran (jouée par la formidable Lolly Adefope), sont là pour faire changer notre regard et celui de la caméra. 

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Au risque de faire appel à un vieux cliché, on est ici face à la saison de la maturité pour Annie, et pour la série plus largement. L’écriture a gagné en précision en même temps que son héroïne a pris en assurance. La jeune femme a grandi, mais il reste encore quelques obstacles sur sa route. Sans viser la perfection, elle veut faire la paix avec elle-même, se libérer des derniers freins qui l’empêchent d’avancer, s’épanouir, s’étourdir. Aidy Bryant retrouve la garde-robe d’Annie avec un plaisir communicatif. La comédienne, qu’on peut toujours apprécier chaque semaine dans le Saturday Night Live, a pu montrer, avec cette série, l’étendue de son talent. Certainement lassée d’enchaîner les seconds rôles de “grosse de service” ou de “super pote de l’héroïne mince”, elle s’est emparée du personnage d’Annie (imaginé par l’autrice Lindy West dans son essai Shrill: Notes from a Loud Woman) et l’a fait sien. Avec sa partenaire d’écriture, Alexandra Rushfield, elle a adapté cette histoire qui lui parlait et allait, à coup sûr, parler à des millions d’autres femmes. 

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La saison 3 fait aussi la part belle à l’histoire de Fran, sa vie sentimentale et professionnelle. Il est d’ailleurs intéressant de constater que celle-ci, qui a la même corpulence qu’Annie, ne semble pas confrontée aux discriminations grossophobes subies par son amie. Est-ce parce qu’elle est noire et que, dans l’inconscient collectif, il est plus facilement “admis” qu’une femme noire soit grosse ? Si la série ne lève pas le doute sur cette assertion, on a pourtant des exemples récents, notamment grâce aux chanteuses Lizzo ou Yseult qui se sont longuement exprimées sur la question, que non seulement la grossophobie les touche de plein fouet, mais en plus, celle-ci se cumule aux discriminations raciales. Un oubli regrettable, donc, mais qui n’empêche pas Fran de briller et d’évoluer, notamment dans le couple qu’elle forme désormais avec Em (incarné·e par l’acteur·ice non-binaire E.R. Fightmaster).

Annie, de son côté, pense savoir enfin ce qu’elle veut, et est certaine de s’être débarrassée de ses démons intérieurs. Elle va pourtant réaliser qu’il y a encore du boulot, et qu’il ne suffit pas de se dire “c’est bon, je gère” ou bien “je suis une bonne personne” pour que ce soit vrai à chaque instant. Elle a davantage confiance en elle, mais l’étincelle qu’elle porte désormais en elle va aussi embraser quelques contre-feux sur son passage. Elle va, par exemple, exprimer auprès de son rédac chef le besoin, légitime, de ne pas être enfermée dans son rôle de “journaliste grosse qui parle aux gros·se·s”. Dans un sursaut d’assurance, elle se propose de faire un portrait d’une famille de suprémacistes blancs, au nez et à la barbe d’un de ses collègues, pourtant spécialiste du sujet. Son éthique journalistique est mise à rude épreuve et, à l’arrivée, le résultat n’est pas du tout ce qu’elle espérait. Confrontée par Fran à ses biais racistes et son privilège blanc, Annie apprend une inestimable leçon : la cancel culture est un mythe derrière lequel on se planque quand on a merdé, au lieu d’assumer et de faire face aux conséquences de ses erreurs. Forcément, ça pique un peu…

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Annie fera aussi face à sa propre grossophobie quand elle accepte de se rendre à un blind date. Lorsqu’elle pose les yeux sur son rencard pour la première fois, elle est persuadée que son ami Amati (Ian Owens) a essayé de la caser avec Will (Cameron Britton) parce que lui aussi est gros. Elle s’éclipse aux toilettes et, croyant envoyer un sms à Fran, écrit : “c’est vraiment le pire date de ma vie”. Problème : elle s’est trompée d’expéditeur et c’est Will qui l’a reçu. Elle lui présentera des excuses sincères un peu plus tard, une fois qu’elle aura eu le temps de réfléchir à ses propres insécurités (qu’elle croyait pourtant avoir surmontées).

Face à ses contradictions, Annie est bien forcée à grandir. Et c’est une jeune femme transformée par rapport à la saison 1 mais toujours en construction que l’on quitte au dernier épisode de cette saison 3. Le fait que ce soit la dernière nous laisse d’ailleurs un goût amer : on a fauché notre héroïne en pleine métamorphose. Les créatrices de Shrill, Aidy Bryant et Alexandra Rushfield, avaient en tête d’en faire une quatrième, et ça se sent. Néanmoins, ce dernier opus surpasse en qualité les précédents, déjà très bons. La série ferme la porte sur une héroïne si rare qu’elle en devient précieuse, mais désormais on le sait : tout ira bien pour Annie.

Les trois saisons de Shrill sont disponibles sur Canal+.

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