Rebecca Zlotowski filme les clivages de la France dans l’intense Les Sauvages

Publié le par Marion Olité,

©Canal+

Une série qui explore les rapports franco-arabes de façon inédite.

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Rebecca Zlotowski ne chôme pas. Un mois à peine après la sortie de son film sensuel de fin d’été, Une fille facile, la cinéaste est de nouveau derrière la caméra avec Les Sauvages, une série en six épisodes diffusée sur Canal+, qui est une adaptation des livres éponymes de Sabri Louatah – avec qui elle a directement collaboré. L’histoire, c’est celle d’une France dans toute sa diversité, qu’on ne voit pas souvent dans le monde très blanc du petit écran français.

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Dans la lignée de la récente et acclamée Years and Years, série d’anticipation politique doublée d’une fresque familiale touchante, Les Sauvages imagine l’Hexagone qui élit pour la première fois  un homme d’origine kabyle, Idder Chaouch (Roschdy Zem, parfait en Obama frenchie) au poste de président de la République. Mais le soir de son sacre, il est victime d’une tentative d’assassinat. Alors que sa directrice de campagne, Jasmine (qui est aussi sa fille), tente de gérer la crise politique qui se profile, son mec Fouad (Dali Benssallah), un acteur de série à qui tout sourit, se retrouve lié à cette histoire quand il apprend que le criminel vient peut-être de sa famille. En pleine disgrâce, il va devoir mener l’enquête de son côté, aidé par Marion (Marina Fois), la responsable de la sécurité du président, qui ne supporte pas d’avoir échoué dans sa mission.

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Série chorale qui met en scène une dizaine de personnages, Les Sauvages s’attaque à un sujet toujours brûlant dans la société contemporaine française : le modèle d’intégration des Français·e·s d’origine maghrébine, qui découle d’une histoire coloniale longtemps taboue. Il y a les “bonnes” familles maghrébines comme les Chaouch, qui ont réussi à se faire accepter en gommant au maximum leurs spécificités et leur histoire, et en s’élevant socialement ; et il y a les familles “trop” arabes, comme les Nerrouche, qui vivent dans les quartiers populaires de Saint-Étienne et que Fouad a cherché à fuir. Elles ne voient pas en Idder Chaouch un modèle de représentation, ce qu’il essaie d’être, mais plutôt une trahison de leurs valeurs.

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Au-delà des postulats de départ, la série fonctionne car elle dépasse les antagonismes faciles et ne juge pas ses personnages, même les plus difficiles à comprendre. Et pour autant, elle ne ferme pas les yeux sur les sujets qui fâchent, comme les jeunes d’origine maghrébine tentés par l’islamisme. Pour son premier rôle dans une série, le rappeur Sofiane Zermani (Fansio) n’a pas choisi la facilité. Il incarne Nazir, un “grand frère” très dangereux qui a intellectualisé sa haine et sa colère et peut séduire facilement des plus jeunes, comme son petit-cousin Krim – sans doute le rôle le plus complexe de la série – incarné par l’excellent Iliès Kadri.

L’une des grandes réussites de la série est de dépeindre toute une galerie de personnages passionnants à suivre et en majorité d’origine arabe. Les Sauvages participe ainsi à une meilleure représentation de la France dans toute sa diversité. Si tout le monde s’identifie sans broncher depuis toujours à des milliers d’histoires avec des personnages blancs, cette fiction nous prouve que l’inverse est aussi possible. À travers les trajectoires romanesques de ces deux familles qui s’entrelacent, Les Sauvages raconte les Français·e·s issu·e·s de la violente histoire coloniale française, et tente d’esquisser une promesse de réconciliation, qui passe par l’écoute des jeunes générations.

La série réfléchit aussi justement à la fonction de role model qu’est censé jouer le personnage incarné par Roschdy Zem, qui se rend compte que l’assimilation à la française, teintée de racisme, produit des drames identitaires, comme le montre bien la trajectoire du jeune Krim. Il représente cette douleur et cette rage, face à la discrimination, au racisme ordinaire, à une égalité des chances qui n’existe que sur le papier.

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Iliès Kadri dans le rôle de Krim. (© Canal+) 

Les Sauvages évite un maximum les clichés, nous embarque dans une enquête haletante et sait donner de la profondeur à la plupart de ses personnages. La caméra de Rebecca Zlotowski épouse cette histoire aux accents shakespeariens et s’adapte naturellement aux différents genres de la série, qui se fait tantôt thriller politique d’anticipation, tantôt drame familial poignant, tantôt romance impossible.

Dans ce domaine, comme dans celui du réalisme social, la réalisatrice apporte sa touche (même si plus discrète que dans ses films sociaux comme Grand Central), filmant dans quelques scènes les corps désirants  – deux hommes qui ont une histoire cachée, le président et sa femme incarnée par Amira Casar, Fouad et Jasmine (excellente Souheila Yacoub) – dans toute leur diversité.

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Il y a beaucoup de choses dans Les Sauvages, dont certaines à peine esquissées. La série trouve ses limites dans ce besoin de simplifier une intrigue et un sujet éminemment passionnels et complexes, qui à la base s’étalent sur quatre tomes. Elle convainc moins, par exemple, quand elle se transforme en conte moral, avec Idder Chaouch en figure sacrificielle de grand sage, façon Mufasa dans Le Roi Lion.

Et en même temps, on comprend pourquoi elle le fait : elle aurait pu être plus subtile en allant plus loin dans l’ambiguïté, mais elle s’en empêche. La faute à un sujet qui n’a pas été assez exploré pour que la série puisse éviter librement un certain didactisme. Même si j’ai quelques réserves, Les Sauvages reste une série extrêmement bien menée, qui vous tiendra en haleine et a le grand mérite de mettre en scène une France racisée dont le petit écran a bien du mal à parler. Espérons qu’elle inspire d’autres scénaristes à s’emparer de sujets sociétaux trop souvent ignorés.

Composée de six épisodes, Les Sauvages est diffusée sur Canal+ tous les lundis, depuis le 23 septembre.  

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