Pourquoi The Underground Railroad est plus qu’une série sur l’esclavage

Publié le par Jennifer Padjemi,

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Barry Jenkins met en images la violence de l’esclavage, en utilisant la poésie incarnée par le "réalisme magique" du récit.

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The Underground Railroad est l’œuvre magistrale du romancier Colson Whitehead, qui a reçu de nombreux prix littéraires, dont les prestigieux National Book Award et le Pulitzer. L’histoire se déroule en plein esclavage dans les années 1850, juste avant la guerre de Sécession. On suit le parcours de Cora, une jeune esclave âgée de 16 ans, tentant de s’échapper de sa condition à travers un réseau de chemin de fer clandestin, qui aide les esclaves souhaitant s’affranchir.

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Si ce “Underground Railroad” a bel et bien existé, il était plus d’ordre symbolique qu’un réel chemin ferré. À l’époque, c’était un réseau constitué de personnes qui aidaient aussi bien les esclaves que des prisonniers ou des indigènes à s’échapper. Les passeurs les transportaient, et trouvaient des cachettes et des abris sur leur parcours, jusqu’à ce qu’ils puissent atteindre la ville souhaitée. Harriet Tubman fait office de figure de proue dans cette union clandestine.

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De la réalité à la fiction

Enfant, quand il a entendu parler de cette histoire pour la première fois, Colson Whitehead pensait qu’il s’agissait d’un vrai train, ce qui a été la première base pour imaginer son roman, qui mêle réalités historiques et fiction fantastique. C’est sans doute ce mélange des genres qui a attiré Barry Jenkins, puisqu’à la lecture du roman se dégage une atmosphère très cinématographique, malgré la violence qui règne. Sa force narrative retient l’attention. Ou comment faire de Cora une héroïne des temps modernes, pourtant enclavée dans l’horreur de l’Histoire.

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C’est aussi l’incarnation de ce personnage par l’actrice sud-africaine Thuso Mbedu, superbement dirigée, qui donne de la puissance au récit. Elle vit les pires atrocités mais elle reste pourtant magnifiée et sublimée, avec la force qui la représente. Pourtant, on est loin de l’image stéréotypée de la femme-esclave qui serait résiliente et courageuse par essence. Il s’agit bien de survie avant toute chose.

L’une des questions qui traversent la série est de savoir s’il est possible de véritablement apprécier une énième œuvre qui traite de l’esclavage. Le genre a toujours été très plébiscité au cinéma, avec une pléthore de films comme Roots ou Amistad et leur approche historique voire didactique, jusqu’à des propositions plus récentes telles que Twelve Years a Slave ou The Birth of a Nation. Le genre, décrié, se focalise davantage à montrer l’horreur des maîtres, saupoudré de white saviourism*, que l’humanité des esclaves.

Du traumatisme (presque) sans trauma porn

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Dans tous les cas, il est quasiment impossible d’éviter les écueils sur le sujet du trauma porn, terme à la mode qui a ressurgi ces dernières années. Il définit une approche artistique qui insiste sur l’horreur. Il n’épargne pas les téléspectateur·ice·s, et met en scène la violence de manière très spécifique et explicite, jusqu’à parfois exagérer des actes pour complaire un·e potentiel·le téléspectateur·ice blanc·che sur ses propres convictions.

Pendant ce temps, les téléspectateur·ice·s proches du sujet filmique vivent une très mauvaise expérience, rappelant une histoire récente, familiale et personnelle. Cette exagération du trauma est le plus souvent liée aux questions raciales, mais peut aussi évoquer les violences sexuelles.

Au-delà de la proposition et choix délibérés de l’artiste, qu’il ou elle soit écrivain·e ou cinéaste, il est plus question d’une réception individuelle que de la critique de l’œuvre en elle-même : l’objet culturel peut être objectivement intelligent, beau et important, tout en réveillant des traumatismes profonds relevant d’un système global, où les discriminations raciales et sexistes ne relèvent pas du domaine de la fiction.

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Dans The Undergound Railroad, l’intrigue autour de la stérilisation des corps noirs, mais aussi du viol des femmes noires pendant l’esclavage, n’est pas sans rappeler celle de la fertilisation forcée des servantes dans The Handmaid’s Tale. On peut d’ailleurs parfois retrouver la même atmosphère pesante et glaçante. Dans les deux cas, l’horreur du passé se mêle à celle du présent, quant à la fiction, elle se confond toujours plus avec la réalité.

Là où l’œuvre de Colson Whitehead adaptée à l’écran arrive à se placer au-dessus de la mêlée, c’est grâce à la proposition artistique poignante de Barry Jenkins. Après Moonlight et If Beale Street Could Talk, son talent n’était plus à prouver, mais s’attaquer à un tel récit n’était pas une partie de plaisir. Lui-même admet avoir mis longtemps à s’y plonger après avoir acheté les droits d’adaptation en 2016.

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Le pari est réussi car, malgré la violence, les bruits de cravache, les insultes, les humiliations, les viols et la déshumanisation, Jenkins nous invite à aller plus loin que l’horreur et à regarder dans le rétroviseur, mais sans nous forcer à souffrir. Sous sa direction, même les flammes d’un incendie sont magnifiées, filmées dans la précision, illustrant la violence omniprésente mais aussi l’espoir porté par les personnes qui le vivent directement, rêvant de liberté. La musique n’est jamais anodine non plus, elle souligne tous ces états d’âme. Comme quand il tourne des scènes plongées dans la pénombre, pour se mettre à la place des protagonistes ou tenter de comprendre l’espace d’un instant ce qu’ils vivent.

On regrettera cependant les longueurs et le manque de rythme qui empêchent de s’accrocher à une histoire qu’on a l’impression de déjà connaître sur le bout des doigts, tant Hollywood n’a eu de cesse de l’exploiter à l’usure. Nous avons la réponse à la question que l’on se posait : il est possible d’apprécier une œuvre qui traite de l’esclavage, quand la cinématographie est audacieuse, presque fantasmagorique et quand le traumatisme n’est pas là pour choquer mais pour reproduire une juste réalité. En revanche, on peut en prendre plein les yeux dans tous les sens du terme, ce ne sera jamais une partie de plaisir.

*Le “syndrome du sauveur blanc” désigne une personne généralement blanche, qui aide des personnes racisées de façon intéressée, pour se donner une bonne image.

Composée de dix épisodes, la mini-série The Underground Railroad est disponible sur Amazon Prime Video.