Le film Downton Abbey met les petits plats dans les grands mais perd de son mordant

Publié le par Marion Olité,

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Il donne dans un conservatisme charmant.

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Quatre ans après la fin du hit anglais signé Julian Fellowes, le scénariste a repris sa plus belle plume pour offrir aux fans de Downton Abbey une nouvelle occasion de retrouver, cette fois sur grand écran, l’univers familier et réconfortant de la série.

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A l’orée de 1927, la famille Crawley et leurs domestiques sont en ébullition : une lettre vient annoncer la plus extraordinaire des visites, celle du roi George V d’Angleterre et de la Reine Mary. De quoi mettre tout le domaine et le village en émoi tandis que l’impayable Comtesse Douairière, Violet Crawley, compte profiter de l’occasion pour régler un différend familial de longue date, impliquant un héritage.

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Le format cinéma change-t-il quelque chose aux rouages de Downton Abbey ? Pas fondamentalement, en tout cas au premier abord. La série a connu, au cours de ses six saisons, nombre d’épisodes de Noël (les fameux “Christmas Special”) à la durée quasi similaire à celle d’un film. Créateur du show, Julian Fellowes excelle une fois de plus à jongler entre les différentes intrigues mises en place – celle des nobles puis celles des domestiques de Downton qui vont avoir maille à partir avec leurs homologues royaux control freak et arrogants. Au bout de quelques minutes, la rythmique millimétrée des savoureux dialogues nous embarquent dans ce monde à la fois lointain et familier, où “tout est grâce et sérénité en surface, fébrilité si l’on gratte en dessous”, rappelle un des personnages, le sourire aux lèvres. La réalisation, signé Michael Engler, déjà à l’oeuvre sur plusieurs épisodes de la série, épouse sans plus de fioritures un scénario choral.

La chorégraphie de Downton Abbey – faites de dialogues qui font mouche, et des allées et venues dans les innombrables pièces du domaine, de la noblesse située en haut à celles des domestiques en sous-sol – fonctionne aussi bien sur une durée de 45min qu’1h30 ou 1h50. Là où la version long-métrage diffère de la série, c’est dans le traitement des intrigues. La visite royale implique un faste inédit, qui sied parfaitement à une expérience dans les salles de cinéma. Mais elle s’accompagne aussi d’un propos édulcoré, qui rend ce film Downton Abbey plus conservateur dans son sous-texte que la série. Est-ce dans le but d’attirer un public plus large et familial, qui ne connaîtrait pas le show ? Possible mais regrettable.

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Derrière les beaux habits des nobles et les sourires de circonstance des domestiques, la série abordait avec une réelle acuité la lutte des classes, et interrogeait le système monarchique et patriarcal de mille façons différentes – notamment à travers la place des femmes – là où le film apparait beaucoup plus complaisant, voir même carrément vicieux.

Le repenti de la lutte des classes

Ainsi, le personnage du veuf Tom Branson (Allen Leech), ancien chauffeur des Crawley et fervent anti-monarchiste dans les premières saisons, se retrouve carrément à sauver le roi George V d’un attentat contre sa vie, trahissant au passage un indépendantiste irlandais. Dans le même temps, ce transfuge de deux classes sociales (il a intégré la famille Crawley après son union défendue avec la cadette, feu Sybil) va en plus trouver chaussure à son pied en la personne d’une nouvelle venue. Comme lui, elle vient d’un milieu modeste mais va s’élever socialement car elle se trouve en réalité héritière d’un beau domaine (il faut continuer à faire rêver les pauvres). Il est récompensé pour sa fidélité aux Crawley et à la couronne d’Angleterre. En sous-texte, on comprend que tout est bien qui finit bien, du moment que vous ne remettez pas en cause les hiérarchies sociales.

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Le classisme (mépris de classe) reste un sujet du côté des domestiques de Downton Abbey, qui vont faire face à l’arrivée de leurs homologues royaux. Ces derniers ont beau réaliser le même travail que Mrs. Hugues, Mr. Carson & co, ils ont des privilèges en pagaille, comme celui d’entrer par la grande porte principale du domaine ou de se faire servir eux-mêmes. Ces différentes strates sociales entre domestiques sont traitées avec humour. Pour reprendre le pouvoir sur les préparatifs du dîner royal, la team de Downton va se serrer les coudes et user de subterfuges improbables pour mettre leurs nemesis hors d’état de travailler. Un peu plus tard, le personnage de Molesley va créer une intéressante rencontre frontale entre deux extrêmes en terme de hiérarchie sociale. Le roi évoque l’excellent repas. Dans son empressement tout cabotin, le domestique (incarné par l’excellent Kevin Doyle) lui parle directement, sans se préoccuper des étiquettes. Catastrophe générale. Tout le monde reste interdit devant l’erreur incroyable du valet. Finalement, le roi Georges V détendra tout le monde. Un peu plus tard, il remercie Thomas de lui avoir sauvé la vie. Ce roi, décidément vachement sympa, accordera aussi au mari d’Edith le droit de rester auprès de sa femme enceinte (alors qu’il le souhaitait à ses côtés pour une mission diplomatique).

Le traitement réservé aux personnages féminins est souvent l’autre unité de mesure imparable pour trancher de la modernité ou du conservatisme d’une oeuvre. Edith (Laura Carmichael), l’ancien vilain petit canard de la famille reconvertie en femme indépendante (à la tête du magazine The Sketch) a abandonné son travail depuis qu’un homme a (enfin) accepter de se marier avec elle. Dans le film, son unique arc narratif consiste à apprendre qu’elle est enceinte et à demander à son mari de rester auprès d’elle. Triste régression pour le personnage le plus indépendant et moderne de la série. Downton Abbey ne passe pas le test de Bechdel en passant sur grand écran. 

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Mary (Michelle Dockery), la petite princesse du domaine Downton Abbey, hésite un temps avant d’accepter son destin : prendre la suite de sa grand-mère Violet à la tête du domaine. Maggie Smith, toujours en pleine forme, bénéficie sans surprise des meilleures répliques. Son duo avec Penelope Wilton, qui incarne Isobel Grey, continue de faire des étincelles. Les femmes sont bien présentes dans Downton Abbey, mais comme les hommes, elles semblent se satisfaire d’un statut quo conservateur. Et donc ne parlent entre elles que d’héritage, d’enfants et de mariage. Même son de cloche du côté des domestiques. L’arc narratif concernant la jeune cuisinière Daisy (Sophie McShera) laisse songeuse : elle tombe dans les bras de son prétendant quand celui-ci fait preuve de violence et de jalousie, car cela veut dire qu’il est vraiment amoureux d’elle. Masculinité toxique quand tu nous tiens. 

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Finalement, seule l’intrigue concernant Thomas Barrow (Rob James-Collier) semble regarder vers le futur. L’ancien vilain petit canard de Downton Abbey est évincé temporairement de son rôle de maître majordome du domaine, pour laisser la place à ce bon vieux Mr. Carson. Fraternisant avec son alter ego royal, l’homme va découvrir un monde queer dont il ignorait l’existence.

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Maître des lieux incontesté, Julian Fellowes n’a pas perdu la main quand il s’agit de trousser de succulents dialogues. Mais le passage du petit vers le grand écran s’est accompagné d’un discret conservatisme, que d’aucun s’empresseront de justifier par l’époque et la simplification des intrigues que requiert un format “court” comme le film. C’est que Downton Abbey participe au phénomène d’exonostalgie, soit la nostalgie d’une époque fantasmée que l’on n’a pas connue. Il est bon de se glisser dans un monde de jolis habits et de problèmes simples, où chacun.e semble heureux à sa place. Mais entre l’oeuvre doudou et le dangereux “c’était mieux avant”, il n’y a qu’un pas. 

Le film Downton Abbey sort dans les salles obscures françaises le 25 septembre. L’intégrale de la série, composée de six saisons, est disponible sur Amazon Prime Video.