Game of Thrones, The 100, Penny Dreadful… Comment les langages fictifs sont créés dans les séries

Publié le par Delphine Rivet,

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L’héritier de Tolkien

Au début du 20ème siècle, l’écrivain et linguiste anglais J. R. R. Tolkien créait, entre autres, la langue elfique, un élément essentiel à la mythologie de sa saga Le Seigneur des Anneaux.

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“Aamnu” (“Honneur” en Lishepus dans Dominion)

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“J’ai commencé à créer des langages lors de ma deuxième année à l’université de Berkeley. J’avais étudié un an d’arabe, passé un semestre à apprendre le russe et l’esperanto et j’avais commencé le français… ce qui m’a conduit à suivre un cursus en linguistique. C’est comme ça que j’ai eu l’idée de créer mon propre langage.”

Le petit guide du parfait conlanger

On ne crée pas un langage sous le coup de l’impulsion. Il faut, tout d’abord, un contexte, une culture à laquelle on l’associe :

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“D’abord, vous devez savoir pourquoi vous le créez. Pour ma part, je ne crée que des langages qui ont une essence naturaliste. Il faut qu’ils tendent vers quelque chose qui pourrait exister sur Terre.”

Sur Terre… ou ailleurs. En dehors du Dothraki de Game of Thrones, du Trigedasleng de The 100, ou de l’elfique version The Shannara Chronicles, certaines civilisations dont il a inventé le langage sont bien loin de notre plan astral.

“Lemak ewei” (“Je t’aime” en Irathient dans Defiance)

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“Je commence généralement avec le système de sons, que l’on appelle phonologie, et après j’enchaîne sur la grammaire. Je débute avec les noms, parce qu’ils sont fixes et ont tendance à être plus simples. Puis je passe aux verbes, qui sont bien plus compliqués.
À ce stade, une fois que l’on a une mythologie nominale et verbale, on peut travailler sur la structure des phrases pour voir si tout se tient. Ça engendre généralement quelques corrections. Dès que vous pouvez faire des phrases courantes, alors on peut passer au lexique.”

Une fois constitué, le lexique est, pour toujours, un “work in progress”. Son inventeur pourra continuer de l’enrichir jusqu’à sa mort, et d’autres pourront prendre sa suite, à l’infini. C’est la composante essentielle de toute langue “vivante”.
Mais en travaillant pour l’industrie de la télévision américaine, on doit accepter de rendre une copie finie, avec les deadlines que cela impose. David J. Peterson n’a pas toute une vie pour créer le Dothraki ou le Kinuk’azz (une langue alien parlée dans Defiance).
C’est même beaucoup plus court que ça. Une contrainte qui ne semble pas du tout impressionner notre linguiste : “Idéalement, on me laisse deux ou trois mois. Mais, en général, ça ne me prend pas autant de temps”.

Game of Thrones, la série providentielle

En 2011, David décroche le job de sa vie. Celui qui fera de lui le linguiste incontournable de l’industrie télévisuelle américaine. HBO est en train de travailler sur l’adaptation de la saga à succès de George R. R. Martin, Game of Thrones.
Le projet est colossal et le moindre détail est soigné. Les deux showrunners, D.B. Weiss et David Benioff, qui ont la lourde tâche de donner vie à cet univers si chargé et complexe, veulent aller au bout de leurs ambitions. Ils font alors appel à David J. Peterson pour donner encore plus de relief à leur mythologie.

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M’athchomaroon ! (“Bonjour” en Dothraki dans Game of Thrones)

Valar Morghulis et Valar Dohaeris étaient les seules phrases existantes. Tout le reste consistait en quelques mots isolés.

Il a également créé une langue, sous sa forme la plus rudimentaire, pour la race des Géants. Mais le représentant de cette espèce, que l’on voit lors de l’attaque du Mur, n’a finalement eu qu’une seule réplique.

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Une langue, c’est d’abord une civilisation

Yu gonplei ste odon (“Ton combat est terminé” en Trigedasleng dans The 100)

Lorsqu’il est appelé pour travailler sur The 100, David J. Peterson a pour mission de développer un language complet, donc conversationnel, pour les Grounders.
Ces descendants des Terriens ont vu leur civilisation pratiquement disparaître il y a plus d’un siècle à cause d’une guerre nucléaire sans précédent. Quelques-uns ont survécu de justesse, en orbite autour de la Terre, d’autres sont restés au sol : les Grounders.
Parce qu’ils sont une version futuriste et tribale des Américains d’aujourd’hui, leur langage, le Trigedasleng, est censé représenter 150 ans d’évolution.

Ce n’est pas si différent de l’anglais américain tel qu’il est parlé aujourd’hui. La différence la plus subtile, pour un anglophone, réside dans le lexique plutôt que dans les sons ou la grammaire.
Ces différences dans le lexique sont précisément ce qui a motivé notre concept très SF : un groupe a survécu sur Terre après la guerre nucléaire. Pour se distinguer des intrus éventuels sur leur territoire, ils ont inventé un code en échangeant des mots communs avec d’autres mots, pour pouvoir aisément identifier qui fait partie de leur tribu ou non.
Ce code n’est pas encore apparu dans la série, c’est quelque chose que nous avons imaginé les scénaristes et moi.

Si ça n’avait tenu qu’à moi, elle serait encore plus différente, plus avancée. Mais les producteurs et Jason Rothenberg (le showrunner de The 100, ndlr) trouvaient ma première proposition trop méconnaissable.
Ils voulaient que l’on se rapproche de l’anglais, donc j’ai adouci un peu l’ensemble. Au départ, je crois que certains scénaristes n’ont pas bien compris ce que je voulais faire, et puis, au début de la saison 2, ils ont finalement été conquis.
Ils ont ensuite mis de plus en plus de dialogues en Trigedasleng, jusqu’à ce que cela devienne assez commun en saison 3.