Le full frontal dans les séries : de la sexposition à l’acte politique

Publié le par Delphine Rivet,

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Sexposition

“Je n’ai pas de cache-sexe parce que l’intérêt de la scène, c’est ‘est-ce qu’il peut bander ou pas ?’ Et si la nudité est nécessaire à l’histoire, je n’ai aucun problème avec ça.”

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Le pénis, quand il est représenté à l’écran, est, dans 99,9 % des cas, au repos. Les 0,01 % restant sont des prothèses ou des effets spéciaux. Voilà donc, messieurs, comment les séries vous voient : capables des pires violences, mais irrémédiablement flasques, quand, au même moment, les corps féminins sont affichés sans la moindre pudeur et érotisés. Ça va peut-être finir par rentrer un jour : le sexisme qui touche directement les femmes cause aussi des dommages collatéraux aux hommes et à la façon dont on représente la masculinité. Et la plus schizophrène des séries en la matière est sans conteste Game of Thrones.
Longtemps critiqués pour leur traitement des personnages féminins et la sexposition dont elles font invariablement l’objet, les showrunners ont réagi. Hélas, ils ont apporté une réponse tout aussi sexiste à un problème qui l’était déjà. Les rares messieurs à jouer les nudistes dans la série sont (oui, on peut les compter sur les doigts d’une main) : Hodor, à l’épisode 8 de la saison 1 (mais c’est une prothèse), Theon à l’épisode 5 de la saison 1, un ou deux mecs random dans le bordel de Littlefinger, et enfin, un autre anonyme, à l’épisode 5 de la saison 6, qui nous fout son chibre mou sous le nez, en plein écran, avec des verrues pour couronner le tout. Non, vraiment, on s’en serait passé. La preuve que D.B. Weiss et David Benioff n’ont pas compris, ou ne veulent pas entendre, ce qu’on leur reproche.
Mais il faut leur reconnaître un léger mieux en la matière depuis deux saisons environ. Une fois tous les cent ans (on exagère à peine), Game of Thrones a donc une épiphanie concernant le full frontal féminin, qu’elle exploite d’habitude largement pour son seul intérêt décoratif (alors qu’un pénis mou est souvent présenté de façon cocasse). Elle se met alors à l’utiliser pour… – accrochez-vous bien – dire quelque chose. Dingue. D’abord, la nudité féminine est moins fréquente. Ensuite, et c’est d’autant plus important, quand elle est effectivement présente, elle a du sens. Elle n’est pas là pour objectifier celle qui se dévoile, mais pour signifier quelque chose. La célèbre “walk of shame” de Cersei (ce n’était d’ailleurs pas le corps de l’actrice Lena Headey mais une doublure) n’est pas là pour satisfaire le male gaze. De même pour Daenerys, dans l’épisode 4 de la saison 6, qui sort de la hutte en flammes du khal entièrement nue, mais surtout… intacte. La Mère des dragons n’est plus là pour être l’esclave des hommes (ni pour être reluquée par le téléspectateur). La force qui se dégage de cette scène finale ferait presque oublier que Daenerys, comme les autres héroïnes de la série, a été constamment objectifiée et maltraitée jusque-là.

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Récemment, Game of Thrones a perdu une occasion de faire un full frontal qui serait assurément resté dans les mémoires. Non, on ne parle pas du zob de Jon Snow qui restera implacablement rangé dans son fourreau. Dans le deuxième épisode de cette saison 7, Missandei et Ver Gris partagent un moment d’une grande intimité. On est, il faut bien le dire, peu habitué à voir des scènes de sexe sensuelles (et consenties !) dans la série.
Ici, on a envie que les deux protagonistes prennent du plaisir. La caméra se focalise toutefois sur celui de Missandei qui se cambre sur le lit, gémit, pendant que son amant la satisfait. Serait-il si difficile de montrer un homme castré prendre son pied ? Mais comment le représenter ? L’extase masculine ne se résume pas à un pénis en érection et Game of Thrones aurait pu profiter de ce très beau moment de vulnérabilité, où nos deux protagonistes sont nus et se regardent mutuellement, pour accompagner le regard de Missandei et nous dévoiler les parties mutilées de Ver Gris. Non pas par sadisme ou voyeurisme, mais justement pour montrer qu’il n’en est pas moins viril et capable de faire jouir sa partenaire. Game of Thrones a tendance à se dégonfler côté pénis.
Un point pour Game of Thrones, qui a fait quelques progrès concernant le traitement des femmes, donc, mais il y a encore du boulot en ce qui concerne la représentation de la masculinité. Même Jon Snow, fantasme ultime pour beaucoup de fans, ou Jaime Lannister, ne nous feront pas les honneurs d’un petit full frontal. Les hommes sont des guerriers, on ne saurait compromettre leur virilité en montrant leur pénis au repos. Ceux qui ont été émasculés ne méritent donc même pas les faveurs d’une jolie mise en scène. Et c’est dommage, parce que là aussi, il y aurait matière à philosopher. Heureusement, d’autres séries sont montées au créneau pour exhorter les chaînes câblées à “libérer le pénis”.

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Free the penis!

Lena Dunham avec Girls, Sarah Treem pour The Affair, ou Jill Soloway avec Transparent et surtout, plus récemment, I Love Dick, ont ouvert la voie et ont fait du full frontal un acte politique et féministe. Une poignée de showrunners masculins leur ont emboîté le pas, comme les frères Duplass avec Togetherness, Damon Lindelof pour The Leftovers, Bryan Fuller sur American Gods ou, plus timidement, Ronald D. Moore avec Outlander. En août 2015, un an avant que le monde ne découvre le pilote de I Love Dick, Kevin Bacon encourageait ses potes à être moins timides face aux caméras, par souci d’égalité avec l’incessante sexposition dont sont victimes les femmes dans les séries (et au cinéma, bien entendu). “Free your bacon!” sonnait alors comme un cri du cœur, un hymne au zob et un juste retournement des choses. En avril 2016, Emilia Clarke, qui incarne Daenerys depuis 7 saisons, sans doute inspirée par ce message, exhortait à son tour ses camarades masculins à “libérer leur pénis !” Mais pour que les acteurs se baladent la verge au vent, il fallait leur écrire des scènes qui le leur permettent.
Dans le premier épisode de la saison 2 de The Affair, on ne tourne pas autour du pot. Helen est au lit avec son amant, Max, qui est complètement nu, et l’atmosphère dans la pièce est loin de l’érotisme auquel nous a parfois habitués la série. Sarah Treem explique ce choix à Buzzfeed : “Toute cette première scène se focalise sur le fait d’expérimenter le sexe avec quelqu’un qui n’est pas son mari, et à quel point ceci la déprime. Nous avons estimé que la nudité était appropriée pour montrer où elle en était à cet instant.” Un peu plus tard, lors du press tour de la Television Critics Association, elle déclarait : “Nous ne voudrons jamais que cette série devienne une excuse pour montrer des corps de femmes qui ne serviraient qu’à exciter. On veut que ce soit le plus équitable possible.”
Les frères Duplass, à la barre de Togetherness, ont sensiblement la même approche. La moitié du duo, Mark, s’est même littéralement mise à nu dans sa série, pour donner le change. Comme l’expliquent les deux showrunners, c’est devenu comme un jeu, qu’ils nomment “balls equality”, dont la règle veut qu’à chaque paire de seins ou vagin à l’écran, ils doivent être prêts à sortir, eux-mêmes, le service trois pièces. Une bien belle philosophie à laquelle on ne peut qu’adhérer. Pourtant, là encore, un dernier tabou persiste. Une limite infranchissable : le pénis en érection.

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