Le générique symbolique de Vikings décrypté

Publié le par Adrien Delage,

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“If I had a heart I could love you, if I had a voice I would sing.”

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3 mars 2013. La chaîne américaine History, essentiellement dédiée aux documentaires sur la civilisation, surprend le monde de la petite lucarne en diffusant le pilote d’une série sur la mythologie nordique à travers ses plus fidèles croyants : les Vikings. Dès les premières secondes de “Rites of Passage”, nous sommes transportés en l’an 783 après Jésus-Christ. Là, sur un champ de bataille dévasté s’élève Ragnar (Travis Fimmel), son œil droit gris le désignant comme le digne héritier d’Odin. Avec son frère Rollo, il massacre les derniers survivants alors qu’apparaît au loin le dieu de la mort, de la victoire et du savoir, lui conférant un destin héroïque de conquérant.

Juste après cette séquence d’introduction symbolique, le générique de la série débute. Bien loin des clichés du genre, il nous plonge au cœur d’une lutte maritime sans merci. La mer est frappée par un terrible orage alors que les Vikings chavirent un à un de leur drakkar. Accompagnés de leurs haches et diverses armes de prédilection, ils coulent au fond de l’eau avant que des sirènes viennent à leur rencontre. Ces femmes sont en réalité les neuf filles de Rán, la déesse des eaux.

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Rán représente une facette sombre des dieux. Elle est la souveraine de l’empire des morts noyés. Autour de celle-ci, plusieurs figures de la mythologie nordique apparaissent brièvement dans le générique. C’est le cas de Hel, la déesse des morts, qui surgit entre les éclairs. Elle aurait le don de transformer les sépultures des Vikings en flamboyants navires. Car en vérité, cette impressionnante séquence d’introduction, aussi atmosphérique que mystique, dépeint le passage des guerriers nordiques du monde des vivants vers le Walhalla, le royaume des dieux scandinaves.

L’entre-deux-mondes

Le générique d’introduction de Vikings est d’une opacité et d’une mélancolie presque palpable. Il faut dire que le temps des acteurs qui souriaient naïvement sur une succession de plans tirés de la série en guise d’ouverture est révolu. En cette ère de Peak TV, les génériques du petit écran doivent avoir de la gueule et une esthétique ultraléchée, comme on a pu le constater récemment avec ceux de Westworld ou encore d’American Gods. Dans le cas de Vikings, on doit ce joli tour de force au réalisateur Rama Allen et à son studio The Mill, qui était déjà à l’origine des crédits d’ouverture de True Blood.

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Le générique créé et imaginé par Rama Allen raconte sa propre histoire, tout en faisant le lien avec l’intrigue de la série et plus particulièrement avec le personnage de Ragnar. Cette séquence d’introduction nous transporte dans des heures bien sombres, presque apocalyptiques. Les éléments se déchaînent, exprimés par les immenses vagues de la mer, les éclairs qui grondent dans le ciel ou encore le sang qui s’échappe des cadavres vikings. Un gros travail sur le sound design a d’ailleurs été fourni par le studio pour souligner cette impression que la nature reprend ses droits.

Hormis la voix du chanteur et le fracas de l’écume, aucun son n’est émis alors que les guerriers nordiques sont en train de batailler violemment sur leurs drakkars. Ils devraient grogner, gémir, hurler de douleur dans cet ultime affrontement qui évoque le Ragnarök, l’apocalypse selon la mythologie scandinave. Au lieu de ce brouhaha belliciste, on entend seulement les vagues qui se fracassent sur les rivages et le tonnerre qui transperce les nuages. Comme si la guerre qui se jouait n’était pas à l’échelle humaine mais bien à l’échelle divine.

“Nous suivons le départ d’un Viking du monde des vivants, expliquait Rama Allen à l’époque de la première saison. Il glisse lentement vers les ténèbres entre des ornements de sa vie : son arsenal, son or et ses os. La lumière de ses souvenirs s’atténue avant qu’il ne soit consumé par l’une des Sœurs [les filles de Rán évoquées plus haut, ndlr].” Visuellement, le réalisateur propose un point de vue résiduel, voire lorenzien, des mythes et des légendes nordiques. C’est pourquoi le premier plan large montre un homme sous l’eau, comme coincé entre les deux mondes, descendant lentement mais sûrement vers le chaos et la fin de son existence sur Terre.

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Juste après, Rama Allen filme à l’aide d’un plan subjectif l’immersion du Viking dans l’eau. Il regarde vers les coques des navires qui laissent couler les fameux “ornements” cités par le réalisateur, apportant ainsi un effet de profondeur au plan. Les filles de Rán qui arrivent ensuite représentent le côté sensuel et onirique de la mort imaginée par les Vikings. Ils ont un rapport très particulier avec ses déesses et l’au-delà, qu’ils considèrent comme une réelle étape de la vie et non comme une fin funeste. C’est pourquoi l’homme caresse la joue de la femme, symbolisant toute la douceur que leur apporte leur dernier souffle pour mieux renaître au Walhalla.

Rama Allen a puisé son inspiration dans les Saga de Ragnarr aux braies velues, récits folkloriques du XIIIe siècle retraçant les conflits rencontrés par la société de la terre de glace à l’époque. Ils décrivent la relation des Vikings aux dieux : honorable, inéluctable, sexuelle et omnisciente. Des caractéristiques qui se retrouvent visuellement dans le travail du réalisateur sur le générique. En résumé, l’histoire et le conflit de cette séquence d’introduction relèvent du mythique bien entendu, mais annoncent également le voyage intérieur et viscéral que connaîtra Ragnar tout au long de la série.

La fièvre de la mort

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Difficile de parler du générique de Vikings sans évoquer sa sublime track de fond, composée par le groupe suédois Fever Ray. “If I Had a Heart” est une musique qui plaît aux directeurs musicaux du petit écran. Thomas Golubić l’a utilisée dans la saison 4 de Breaking Bad, afin de souligner le ton sombre et dramatique d’une soirée zombiesque organisée chez un Jesse Pinkman en perdition. Avant d’être utilisée dans la séquence d’introduction de Vikings, cette composition est aussi apparue dans The Following, Person of Interest, Black Sails et même dans la saison 4 de Misfits. Mais dans le cas du show de History, elle a une résonance toute particulière.

Les paroles de la chanson illustrent parfaitement la soif de savoir et de découverte de Ragnar. Elles témoignent de sa curiosité avide et de son besoin inaltérable de parcourir le monde (“This will never end cause I want more”). Les lyrics expriment également la cupidité de l’humanité, sa jalousie envers ses voisins qui découle sur un éternel recommencement des conflits. Une notion qui traversera Vikings tout du long, notamment avec le massacre de la colonie du Wessex en saison 2 ou encore l’attaque ratée contre Paris en saison 4. Ce cycle est d’ailleurs présent physiquement dans la chanson via l’anaphore If I had a voice I would sing”, qui revient à chaque fin de couplet.

“This will never end ’cause I want more

More, give me more, give me more

This will never end ’cause I want more

More, give me more, give me more

If I had a heart I could love you

If I had a voice I would sing

After the night when I wake up

I’ll see what tomorrow brings

If I had a voice I would sing

Dangling feet from window frame

Will They ever ever reach the floor?

More, give me more, give me more

Crushed and filled with all I found

Underneath and inside

Just to come around

More, give me more, give me more

If I had a voice I would sing”

Pour Karin Dreijer, l’auteure et chanteuse de Fever Ray, “If I Had a Heart” est une introspection de son enfance. Mais dans le cas de Vikings, les paroles prennent un autre sens, encore plus sombres et mélancoliques. Elles évoquent littéralement la mort à travers cette voix lancinante et cette tonalité mineure très hypnotique. La faucheuse est une éternelle insatisfaite qui veut toujours plus, qui n’a pas de cœur ni de voix. La mort ne peut ressentir et encore moins aimer, pensant juste à attirer les vivants à elle, comme le symbolisent les filles de Rán à l’écran.

Comme l’expriment les Vikings dans la série, la vie sur Terre est presque une aberration dans leur vision des choses. Ils attendent juste de pouvoir festoyer à la table d’Odin et combattre lors du Ragnarök, acceptant la mort de la manière la plus hédoniste qui soit. D’une façon très poétique, la chanson de Fever Ray met en exergue l’appétit insatiable de la mort, tandis que les images du générique représentent la lente agonie de la vie des Vikings, qui trouveront le bonheur maximal en rendant leur dernier souffle.

La saison 4 de Vikings a brisé le cœur de nombreux emmeans avec la mort, certes prévue depuis le début, mais déchirante de son héros. Michael Hirst et ses scénaristes devront désormais passer le flambeau aux fils de Ragnar, Ivar le Désossé en tête. Le prochain chapitre de la série, élargie à nouveau de dix épisodes, verra Björn prendre la mer pour la Méditerranée. Quant à Ivar et ses fidèles compagnons, ils devront affronter une toute nouvelle armée du Wessex bien décidée à venger le roi Egbert et menée par le charismatique Jonathan Rhys Meyers. Avec peut-être à la clé un léger remaniement du générique comme ce fut le cas pour la saison 4, qui dit au revoir à l’un des derniers antihéros actuels du petit écran.